Laurianne Melierre : "Voyager à vélo a changé ma vie"

Enfourcher sa bicyclette, glisser un pique-nique dans sa sacoche et partir vers l'inconnu (ou presque). En 2019, lorsque Laurianne Melierre s'est engagée à passer des vacances à vélo, elle ne s'imaginait pas que ce voyage allait bouleverser son rapport au corps, son environnement et sa liberté. Une histoire inspirante, qui donne des envies d'ailleurs et d'aventure, que l'ancienne journaliste et aujourd'hui fondatrice de l'agence de rédaction et stratégie éditoriale PLUME, nous a racontée autour d'un thé glacé.  

Journal des Femmes : Le sport, c'est une histoire de famille ? 
Laurianne Melierre : Ça a toujours été important, surtout pour ma mère, que je fasse une activité. Mais je me lassais très vite. J'ai fait un an de judo, un an d'équitation, un an d'athlétisme… Un an de tout ! Puis je me suis tournée vers la natation. J'ai même été dans une classe spécialisée en 6^ème et en 5^ème et j'adorais ça. Il y a un truc apaisant avec l'eau, ce rythme que tu trouves avec ta respiration. Puis adolescente, j'ai arrêté le sport et je me suis mise à détester ça. J'étais très grande et mal à l'aise avec mes mouvements, la coordination. L'école ne m'a pas aidée : on m'a fait croire que j'étais nulle, j'étais choisie en dernier quand il s'agissait de faire des équipes… Et cela m'a suivi jusqu'à mes 25 ans. Je ne me considérais absolument pas comme sportive.

Quand avez-vous commencé à faire du vélo ?
En 2018, j'ai fait un voyage en Colombie avec l'une de mes amies, Marion. L'année d'après, nous avions très envie de repartir ensemble, mais ce n'est pas possible de retraverser la moitié de la planète en avion chaque été. Moi, j'avais toujours eu ce rêve en tête de faire "le Tour de France des fromages". Marion faisait déjà du vélo en ville, alors elle m'a proposé de faire l'itinéraire entre Bordeaux et Biarritz. Six jours et cinq nuits. Je suis partie avec un vélo qu'elle m'avait prêté, deux sacoches, une tente et on bivouaquait sur la route. Avant le départ, quand nous parlions de ce projet autour de nous, les gens essayaient de nous décourager : "C'est dangereux", "Vous n'êtes pas sportives"… Mais ce voyage a complètement changé ma vie.

De quelle manière ?
À l'époque, je n'avais pas le permis. C'était la première fois que je me déplaçais de manière aussi libre. On faisait entre 50 et 70 kilomètres par jour. On se réveillait très tôt, avec le soleil, et on roulait jusqu'à 18 heures le soir. On cherchait alors un endroit abrité où cacher notre tente : un champ, une forêt, un lac… On se lavait à la bouteille, on faisait des rencontres et on achetait de quoi manger sur le chemin. Je ne faisais pas de sport à ce moment-là, donc ça n'a pas été facile, mais je me suis dépassée et j'ai découvert que mon corps pouvait être puissant. Je me souviens encore du sentiment de fierté que j'ai ressenti en voyant le panneau "Biarritz". On avait réservé deux nuits dans un bel hôtel pour cette arrivée. Ce soir-là, on a bu une coupe de champagne et on a dû dormir 12 heures d'affilée.

Qu'est-ce que ce voyage a changé pour vous ?
En rentrant, j'ai repris le sport. D'abord une fois par semaine, puis deux, puis trois. Je teste des disciplines différentes : du yoga, du pilates, du HIIT, du cycling ou des exercices de mobilité. Je me suis aussi mise à utiliser le vélo tous les jours pour me déplacer. Ce mode de déplacement m'a redonné confiance en ma ville. Je m'habille de façon plus libre. Je ne me fais pas harceler dans la rue parce qu'ils n'ont pas le temps, je vais trop vite ! Ça n'enlève pas le problème du sexisme, mais je me sens plus en sécurité. Même ta posture change quand tu roules. Ça t'apprend à lever la tête et à prendre pleinement ta place dans l'espace public. Je m'oriente aussi beaucoup mieux et je sais à quoi correspond 1 kilomètre, aussi bien en termes de distance, de temps, que d'énergie.

Combien de voyages à vélo avez-vous entrepris depuis ?
Transcendée par cette expérience, je suis partie dans le Lot ce même été. Puis en Bretagne l'année d'après, entre Quimper et Belle-Île. Avec une autre amie, nous avons roulé en Auvergne, dans le parc naturel du Livradois. Je suis aussi allée de Paris au Barn Hôtel, j'ai découvert Portland à vélo et fait un itinéraire entre Strasbourg et Bale. Et bientôt, le Japon. Une femme que j'ai rencontrée à vélo m'a raconté avoir fait le voyage entre l'Alaska et le Guatemala durant neuf mois. Je ne dis pas que je vais le faire la semaine prochaine mais j'aimerais tenter un trip itinérant au cours duquel je traverserai plusieurs pays.

Avez-vous déjà eu peur ?
Je me souviens d'une petite frayeur en Auvergne. On avait prévu de manger dans une auberge le soir, mais elle était fermée quand nous sommes arrivées et nous n'avions rien. Ce soir-là, un couple de sexagénaire nous a sauvées en partageant son casse-croûte avec nous. On dormait dans la forêt et pendant la nuit, on a été réveillées par une famille de sangliers. Sur le fond, ils sont juste curieux, ne te font absolument aucun mal, mais ça peut être surprenant.

Vous venez de créer Free The Cycle – le club. Comment vous est venue cette idée ?
Lors de notre premier trip à vélo, nous avons raconté nos aventures sur Instagram sur le compte @freethecycle. Nous ne sommes pas vraiment le genre de personnes que l'on imagine quand on parle de cyclisme. En général, ce sont des hommes qui ont la trentaine ou qui sont vraiment plus âgés que l'on voit sur des vélos. Très vite, une petite communauté s'est formée, des personnes comme nous qui ne se considéraient pas comme des cyclistes ou des sportif-ve-s, mais qui avaient envie d'apprendre. Avec ce club, on veut passer à l'étape supérieure. Chaque mois, nous organiserons une ride sur une demi-journée, une journée ou plusieurs jours. Chacun-e vient avec son vélo. Ça peut être un vélo pliant, un vélo électrique, un Velib'… Peu importe. Le but, c'est de partager ces moments, reprendre le pouvoir sur notre manière de se déplacer et de kiffer ! Le club sera ouvert aux femmes et aux personnes non-binaires. Premier départ en juillet !

En termes de matériel, de quoi a-t-on besoin pour se lancer ?
Pour notre premier voyage, on a dû investir chacune 100 euros : une tente, un casque, des sacoches et des tendeurs. Depuis peu, je commence à acheter des accessoires un peu plus sympas, mais je n'ai toujours pas de vélo à 3000 euros. Je continue d'en emprunter pour mes voyages et pour la ville, j'ai un Brompton (vélo pliant) que j'emmène partout avec moi.

Quels sont les conseils que tu donnerais à une personne qui veut se lancer ?
Ne pas utiliser Google Maps pour les itinéraires, mais Komoot qui est beaucoup mieux calibré pour les cyclistes. Et pour remplir vos gourdes, il y a des robinets dans chaque cimetière.