Nantenin Keïta : "Mon rêve, c'est que n'importe quelle personne en situation de handicap puisse pratiquer le sport qu'elle aime"

Médaillée d'argent et de bronze à Pékin, de bronze à Londres et d'or à Rio, Nantenin Keïta sera de retour en 2024 pour vivre les Jeux paralympiques à Paris. Rencontre avec une athlète qui va à toute vitesse.

Nantenin Keïta : "Mon rêve, c'est que n'importe quelle personne en situation de handicap puisse pratiquer le sport qu'elle aime"
© Nantenin Keïta après avoir remporté la médaille d'or sur 400 mètres aux Jeux paralympiques de Rio de Janeiro le 17 septembre 2016 par Mauro Pimentel/AP/Sipa

Nantenin Keïta fait partie des 33 athlètes de la team Decathlon. En 2024, elle s'apprête à vivre sa dernière paralympiade, des JO "à la maison" qui ont une saveur particulière pour la spécialiste du 400 mètres qui se présente comme "une femme albinos, déficiente visuelle et sportive de haut niveau".

Quand avez-vous débuté votre carrière d'athlète ?
J'ai toujours été sportive, mais je me suis vraiment mise à l'athlétisme grâce à ma professeure d'EPS, à 14 ans. Elle a inscrit toute ma classe à une compétition pour déficient-e-s visuel-le-s. C'est lors de cet événement que j'ai été repérée par la fédération. À l'époque, j'étais en classe de quatrième. J'ai commencé par faire une ou deux compétitions par an et à suivre les stages de l'équipe de France. Le tout premier, c'était une semaine, à Nice, avec ma meilleure copine. Je n'avais pas du tout compris que j'étais là pour m'entraîner deux fois par jour ! Et puis finalement, le déclic est arrivé en 2002, lorsque j'ai perdu aux championnats du monde [elle avait alors obtenu la médaille d'argent, ndlr]. Jusque-là, je faisais mes études à côté, j'étais inscrite en club et je m'entraînais deux fois par semaine.

Pouvez-vous nous expliquer comment se déroulent les compétitions ?
Il y a un 400 m par catégorie et par genre. Les personnes déficientes visuelles qui courent avec un guide ne sont pas mélangées aux autres, parce qu'elles ont besoin de deux couloirs sur la piste [qui en compte généralement 8, ndlr]. En ce qui me concerne, je cours toujours seule sauf à l'entraînement, car rester concentrée sur l'environnement extérieur demande beaucoup d'énergie. Dans ces cas-là, mon coach fait l'échauffement avec moi, puis, dès que l'on attaque le corps de séance, il se place à des points stratégiques de la piste, parce qu'il ne peut pas suivre mon allure. Je vais bien plus vite que lui [rires].

Quelles sont les plus grandes fiertés de votre carrière à ce jour ?
Ma médaille d'or à Rio de Janeiro en 2016. Elle arrive après deux paralympiades sans. À cette époque, j'avais une amie dans l'équipe de France qui réussit aussi à atteindre son objectif. C'était génial, nous sommes parties plein de fois en stage ensemble, nous avons partagé cette aventure et nous avons réussi à remporter la victoire toutes les deux. C'était la médaille d'or de tout le monde. Ma médaille de bronze à Londres sur le 100 mètres a aussi été importante. Je suis certes arrivée troisième, mais je n'avais suivi que sept mois d'entraînement et à une semaine des Jeux, je n'arrivais même plus à marcher.

Quel est le processus de sélection pour concourir dans votre discipline ?
Pour les Jeux paralympiques d'athlétisme, il y a plusieurs modes de sélection. Lors des championnats du monde d'athlétisme de 2023, chaque sportif-ve qui a fini entre la première et la quatrième place a ouvert une place pour son pays aux Jeux paralympiques. En 2024, les championnats du monde se dérouleront à Kobe, et seul-e-s les deux premier-ère-s ouvriront des places pour leurs nations. Il y a aussi des quotas selon la puissance du pays.

Comment conjuguez-vous vie professionnelle et carrière d'athlète ?
Je travaille chez Malakoff Humanis, où je suis chargée de la qualité de vie, du bien-être au travail et de la diversité au sens large. Depuis le début de ma carrière, j'exerce au service ressources humaines. Ce métier correspond à ce que je valorise depuis que je suis jeune; je retrouve notamment ce côté accompagnement qui m'est cher. Je bénéficie d'un emploi du temps aménagé, je suis au bureau deux jours par semaine, et le reste du temps, je m'entraîne avec deux coaches différents.

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Nantenin Keita lors des mondiaux de para athlétisme à Paris en 2023 © David Winter//SIPA

Vous avez connu une longue période de blessure en 2022 et 2023. Comment supportez-vous ces périodes sans entraînement ?
Ce n'est vraiment pas facile. C'est pour cette raison qu'il est primordial, pour moi, d'avoir une activité professionnelle. J'essaye de bien m'entourer, de mettre en place un protocole afin de pouvoir constater que j'avance et que je suis sur le bon chemin, avec de la kiné, de la nutrition... Quand je ne peux pas courir, je fais beaucoup de vélo et de gainage. C'est aussi le moment pour moi de comprendre ma discipline et pourquoi je me suis blessée. Le sport de haut niveau, c'est très ingrat : quand on est dedans, on est dedans, et quand on s'arrête une semaine, on se sent redevenir débutant-e.

Vous aviez dit que Tokyo seraient vos derniers Jeux, vous revoilà en 2024 pour vos nouveaux "derniers Jeux". Comment appréhendez-vous l'après ?
Je n'y pense pas trop, parce que j'ai envie d'être à fond dans les Jeux paralympiques de Paris. Heureusement, j'ai la chance d'avoir une activité professionnelle qui m'intéresse énormément. Mais il va quand même falloir que je trouve une passion qui m'apporte autant d'émotion que le sport de haut niveau.

Pouvez-vous nous parler de votre rôle dans l'organisation des Jeux paralympiques de 2024 ?
Je suis au conseil d'administration du COJOP [le comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques, ndlr], ce qui signifie que ma voix compte puisque je participe au vote des décisions. Par ailleurs, en tant qu'athlète, j'ai forcément un rôle à jouer sur le développement des parasports. Moi, mon rêve, c'est que demain n'importe quelle personne en situation de handicap puisse pratiquer l'activité physique qu'elle aime.

Trouvez-vous que le regard sur le sport paralympique a changé ?
En France, nous avions pas mal de retard à rattraper par rapport à d'autres nations, mais nous progressons dans le bon sens. Mais il y a encore beaucoup à faire par les journalistes, par exemple, mais aussi par les sportif-ve-s et l'ensemble de la population. En fait, il faut se servir des Jeux pour mettre un gros coup de projecteur sur le sport en général et sur le parasport en particulier.

Quelles améliorations peut entreprendre la ville de Paris pour accueillir comme il se doit les personnes en situation de handicap ?
L'organisation des JO travaille sur l'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Les Jeux olympiques et paralympiques de manière générale constituent un boosteur d'activité avec des moyens humains et financiers mis en place. Ce qui est intéressant, c'est que des personnes directement concernées participent à ce projet, ce qui a beaucoup plus d'impact.

Depuis quand faites-vous partie du team Decathlon ?
J'ai intégré la team Decathlon en 2022, à sa création. C'est le premier équipementier qui a signé avec moi. Yohann Diniz, qui est un ancien champion de marche athlétique, sait de quoi il parle. Il a construit une équipe avec de belles personnes qui pratiquent toutes sortes de disciplines. Ce qui permet à chacun-e de s'inspirer des points forts des autres sports. Au quotidien, faire partie de cette team facilite le quotidien, pour s'entraîner et s'équiper. C'est aussi l'opportunité de parler de l'inclusion, du paralympique, des handicaps. Et de rencontrer des athlètes que je n'aurais jamais connu-e-s sans Decathlon !

Decathlon a l'habitude de développer des produits avec ses athlètes. Travaillez-vous sur des innovations pour les personnes en situation de handicap ?
J'ai été sollicitée à plusieurs reprises pour détailler les problématiques spécifiques auxquelles je suis confrontée. Pour moi, l'enjeu, c'est de réussir à me changer rapidement malgré les indications inscrites en petits caractères, réussir à associer les couleurs des vêtements entre elles, pouvoir ouvrir ou fermer un habit facilement… Decathlon nous a proposé des produits confectionnés en ce sens pour savoir ce que l'on en pense. Mais finalement, qu'il faudrait, ce sont des vêtements plus simples à enfiler et accessibles à tout le monde.

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