Marion Hearty : "Je me vois comme une artiste qui peint sur sa toile, sauf que mon pinceau, c'est mon snow"

Dévaler la montagne en utilisant les éléments naturels pour faire des sauts et des figures. Voici en quoi consiste le snowboard freeride, une discipline spectaculaire que pratique Marion Haerty, 31 ans. Rencontre avec cette athlète ambassadrice Mips.

Marion Hearty : "Je me vois comme une artiste qui peint sur sa toile, sauf que mon pinceau, c'est mon snow"
© Mips

Après quatre titres de championne du monde sur le Freeride World Tour, Marion Haerty se réinvente depuis deux saisons sur un nouveau circuit, le Natural Selection Tour, en quête de nouvelles sensations, de nouveaux paysages et de nouvelles concurrentes. La sportive, suivie par Mips, spécialiste des casques de sécurité, se raconte au Journal des Femmes.

Journal des Femmes : Comment avez-vous commencé le snowboard ?
Marion Haerty : 
Je suis née en Alsace, à Colmar. Je ne viens pas d'une famille de sportifs. Petite, j'ai déménagé à Grenoble et nous allions skier dans la station de Chamrousse. Mon frère faisait du snowboard et je voulais l'imiter. J'ai demandé une planche pour Noël. J'avais 10 ans. Un entraîneur de club m'a ensuite repérée, m'a incitée à m'inscrire et à faire de la compétition. C'est ainsi que tout a commencé. J'ai pratiqué plusieurs disciplines : le slopestyle, le boardercross… Le freeride est venu beaucoup plus tard. C'est une discipline qui demande de la maturité, de l'expérience. Cela prend des années pour comprendre la nature, la neige, l'exposition solaire, le vent… J'ai déménagé à Chamonix il y a 7 ans pour me former à la haute montagne et je suis encore en train d'apprendre.

Qu'appréciez-vous le plus dans votre discipline ?
Sa créativité illimitée. Le snowboard freeride ne se borne pas à réaliser un bon chrono comme au ski alpin. Que ce soit lors d'une expédition ou pour un film, je dois créer ma propre descente. Je prends mes  jumelles en bas de la montagne, je regarde là où je veux passer, j'imagine les sauts, les virages entre deux sapins... Je me vois parfois comme une artiste qui peint sur sa toile. Sauf que mon pinceau, c'est ma planche de snowboard.

Vous avez remporté quatre fois les championnats du monde de snowboard freeride. Est-ce une chose à laquelle on s'habitue ?
Non. Une fois arrivé au sommet, j'ai trouvé très difficile d'y rester. J'ai terminé à la deuxième place l'année suivant mon premier titre de championne du monde. J'ai été submergée par les sollicitations, l'attention médiatique et celle des partenaires. Personne ne te prépare à cela. Ça a été très compliqué de rester à mon meilleur niveau.

Quel est votre plus beau souvenir en compétition ?
Le jour où j'ai pris le départ d'une course en Alaska. Le paysage était tellement immense. C'était d'une beauté à couper le souffle. J'ai ressenti une grande émotion. Sans parler de compétition, j'étais heureuse d'être là, au milieu de ces montagnes magiques, entourée d'aurores boréales que je voyais pour la première fois de ma vie. Dingue.

À quoi ressemble l'entraînement d'une snowboardeuse professionnelle ?
Cela dépend de la saison. L'automne, c'est mon bloc physique le plus intense. J'ai trois entraînements par semaine en salle de musculation, puis du cardio (du vélo ou de la course à pied). Je fais également de la pliométrie, du trampoline… Chaque jour est différent, je ne m'ennuie pas. L'hiver, côté snow, je ride tous les jours avec une pause tous les quatre jours. Mais au quotidien, c'est aussi beaucoup de travail sur le bien-être : dormir 9 heures par nuit, avoir une bonne alimentation, faire de la méditation, du yoga… Ce sont des pratiques qui m'aident à me ressourcer. L'été, je m'essaie à d'autres sports : de l'escalade, du parapente... J'aime changer, pour ne pas m'endormir sur mes acquis et recréer de la fraîcheur. Car quand on fait de la compétition depuis 15 ans, on peut parfois se lasser.

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Marion Haerty en action sur son snowboard © Mips

Au cours de toutes ces années de pratique, qu'est-ce-que le sport vous a apporté ?
Le sport, c'est une école de vie. On apprend énormément sur soi, sur sa personnalité. Et en apprenant à mieux se connaître, on comprend mieux l'humanité. C'est ce pour quoi je suis le plus reconnaissante. Pratiquer le snowboard m'a aussi appris à être flexible et à rapidement m'adapter. Dans ce sport, les conditions de neige changent constamment. On se réorganise, on s'habitue à un nouvel environnement. Je me suis retrouvée un nombre incalculable de fois à l'autre bout du monde avec des gens que je ne connaissais pas. C'est très intéressant pour la sociabilité.

Est-ce que le fait d'être une femme dans un sport extrême vous a déjà causé des difficultés ?
Non. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui ne m'ont pas imposé de normes sociales. Ils m'ont toujours laissé jouer avec mes voisins. Quand ils me voyaient rentrer le soir avec un T-shirt tout sale, ils se disaient juste que j'avais passé une bonne journée. Il a cependant parfois été difficile pour moi de me sentir légitime dans ce milieu, de gagner le respect de la gent masculine. Mais j'ai toujours été entourée d'hommes bienveillants qui m'ont tiré vers le haut.

Quelles sont les sportives qui vous inspirent au quotidien ?
Toutes ces femmes qui se dépassent chaque jour. J'adore Justine Dupont, la surfeuse de grosses vagues. Elle va bientôt devenir maman et j'ai hâte de suivre ses futures aventures. Je suis également admirative de la kayakiste Nouria Newman, de l'aventurière Sarah Marquis, de la grimpeuse Liv Sansoz ou de Lilou Ruel en parkour.

Vous arrive-t-il d'avoir peur avant une descente ?
La peur m'aide à placer le cursus de mon engagement. Si elle est trop importante, c'est que je n'ai pas ma place. Si elle est présente, mais gérable, je sais que je vais devoir faire attention. Mais selon moi, à partir du moment où l'on sort de chez soi, on prend des risques. Je me sens personnellement plus à l'abri en montagne que seule en pleine nuit à Grenoble. J'ai grandi dans cet environnement, je connais les risques liés à la nature. Il y a un côté magique à entrer en osmose avec elle pour la comprendre et non la combattre.

Techniquement, que faut-il mettre en place pour pratiquer en toute sécurité ?
Au niveau matériel, il faut porter son casque, une protection dorsale et son Arva, un kit contenant une pelle, une sonde et un appareil pour détecter les victimes d'avalanches. À chaque début de saison, nous avons également des formations afin de gagner quelques précieuses secondes en cas d'accident. Il faut aussi être formé à la lecture des conditions météorologiques. Il y a de nombreux outils à notre disposition. À nous de les utiliser correctement pour gagner en sécurité en montagne.

Quels sont vos objectifs pour la saison à venir ?
J'espère faire un top 3 sur le Natural Selection Tour cette année. Mes concurrentes sont très fortes, avec un gros bagage technique. J'ai aussi envie de continuer à promouvoir le snowboard, poster de belles images et vidéos sur les réseaux sociaux. J'ai toujours aimé cette partie créative. Certains athlètes la voient comme une contrainte, mais ce n'est pas mon cas.

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