Rencontre avec Samantha Davies, la navigatrice qui fait rimer solidarité et performance

Figure emblématique de la voile, la navigatrice britannique Samantha Davies vogue depuis 2017 sur le bateau Initiatives-Cœur. Le 29 octobre 2023, elle prendra le départ de la Transat Jacques Vabre aux côtés de Jack Bouttell. Interview.

Rencontre avec Samantha Davies, la navigatrice qui fait rimer solidarité et performance
© Initiatives-Coeurs

Le 3 octobre 2023, la navigatrice Samantha Davies recevait des mains de la professeure Francine Leca, la médaille de l'ordre national du Mérite. Une distinction venue couronner sa carrière (elle a notamment terminé à la quatrième place du Vendée Globe en 2009) et son engagement auprès de l'association Mécénat Chirurgie Cardiaque. Car depuis 2017, à chaque fois que cette femme de 49 ans s'élance lors d'une course sur le bateau Initiatives-Cœur, elle aide à récolter des dons destinés à sauver des enfants défavorisé-e-s atteint-e-s de malformations cardiaques. Venu-e-s de pays où il n'est pas possible de les opérer, iels sont accueilli-e-s et pris en charge en France. Une grande cause que portera Sam Davies lors de la prochaine Transat Jacques Vabre. 

Journal des Femmes : Comment avez-vous commencé la voile ?
Samantha Davies : Je n'ai pas vraiment eu le choix. Je suis née dans une famille où on naviguait. Mes deux grand-pères étaient des marins professionnels, l'un dans les sous-marins, l'autre sur un chantier naval. Donc mes deux parents avaient grandi sur des bateaux et étaient passionnés eux aussi. Quand je suis née, ils ont investi dans un voilier. Ils pensaient que c'était plus sécurisé avec un bébé. Dès qu'ils ont pu, ils m'ont envoyé prendre des cours de natation. Je pense avoir appris à nager avant de savoir marcher ! J'ai ensuite fait de la natation synchronisée, longtemps, avant de me mettre à la voile à l'adolescence.

La voile est un milieu au sein duquel il y a moins de femmes que d'hommes. Comment, durant toutes ces années au plus haut niveau, avez-vous réussi à tirer votre épingle du jeu ?
Je n’ai jamais trop réfléchi à ça. Pourtant, je suis allée dans une école de filles et j'ai fait de la natation synchronisée, donc dès le début de ma vie, je ne me suis pas du tout approchée des garçons. Mais je pense que je viens d'une époque à laquelle Florence Arthaud et Tracy Edwards avaient déjà tout changé dans le milieu. Pour moi, ce n'était pas interdit. Et puis, j'avais aussi vu ma mère qui naviguait comme mon père. Je ne me suis jamais posée de questions. C'est simplement ce que je voulais faire.

En 1998, vous avez participé à la première tentative de tour du monde avec un équipage 100 % féminin aux côtés de Tracy Edwards. Pouvez-vous nous raconter cette aventure ?
J'ai été très chanceuse. Je voulais terminer mes études d'ingénieur avant de me lancer et le projet de Tracy Edwards a été retardé, ce qui m'a laissé le temps d'y prendre part. Nous étions peu à avoir l'expérience de la course au large. J'étais jeune, enthousiaste, je souriais, j'arrivais à l'heure, je m'entendais avec tout le monde. J'étais l'équipière idéale ! Et c'était incroyable pour moi de décrocher un job sur bateau, rémunéré, alors que je venais de finir mes études. Les opportunités comme celle-là étaient peu nombreuses. Nous étions sur les temps du record du monde lorsque nous avons démâté. Nous n'avons pas été ridicules !

Alexia Barrier avec "The Famous Project" va bientôt retenter cette expérience...
Ça va être génial ! Je compare beaucoup Alexia Barrier et Tracy Edwards. Ce sont des femmes qui osent, qui foncent, là où moi j'ai tendance à me mettre des limites. Elles sont la preuve que l'on peut sans cesse se dépasser.

Vous venez de recevoir la médaille de l'ordre national du Mérite. Qu'est-ce que cette distinction représente pour vous ?
C'est un honneur pour moi. J'ai eu la chance que ce soit Francine Leca, fondatrice de Mécénat Chirurgie Cardiaque et professeure émérite, qui me remette cette médaille. Elle m'impressionne beaucoup. Je suis très fière de la réussite du projet Initiatives-Cœur car on ne fait pas "que" sauver des enfants. Nous avons aussi de grandes ambitions sportives et nous prouvons chaque jour, grâce aux actions de chacun, qu'il est possible d'allier les deux. Oui, on peut défendre une cause et gagner des courses. Et je pense d'ailleurs que le futur du sport se trouve là.

Comment est né votre engagement avec Initiatives-Cœur ?
Lors de ma participation au Vendée Globe, en 2012, j'étais la voisine de ponton de Tanguy de Lamotte, alors skipper du bateau Initiatives-Cœur.. C'est un ami, on se connaissait depuis longtemps et j'étais hyper heureuse de voir qu'il avait réussi à mener un projet dans lequel la place accordée à la cause sur le bateau était plus importante que celle des partenaires. Puis en 2015, il m'a appelé pour venir naviguer avec lui en double et j'ai découvert l'association et ses actions. Je me suis rendue dans les locaux de Mécénat Chirurgie Cardiaque, j'ai suivi des consultations, je suis allée rendre visite à une famille d'accueil à Nantes. J'ai même assisté à la chirurgie à cœur ouvert d'une petite fille. C'était une immersion totale qui m'a donné envie, moi aussi, de m'engager. J'ai donc pris sa suite sur le bateau en 2017.

Le bateau Initiatives-Coeur © Initiatives-Coeur

Vous prendrez fin octobre le départ de la transat Jacques Vabre. Comment se déroulent les dernières semaines avant le départ d'une telle course ?
Chaque course est différente, mais on essaie d'affiner la préparation du bateau. Avec mon co-skipper, Jack Boutell, on a fait la plus grosse partie des navigations et des entraînements fatigants. Donc désormais, on vérifie le matériel, on parle stratégie, météo. Le bateau doit être positionné sur le village de course au Havre dix jours avant le départ. On ne pourra plus naviguer alors que c'est le moment où on a clairement envie de foncer. C'est parfois frustrant, donc on bouge pour ne pas devenir fous !

Vous avez l'édition 2024 du Vendée Globe en ligne de mire. Pourquoi cette course est-elle mythique pour vous ?
C'est la seule course autour du monde en solitaire qui existe, sans assistance et sans escale. Dans notre monde moderne, pendant deux mois et demi, on se retrouve seul à faire le tour de la planète simplement grâce à la force du vent. C'est incroyable. Et puis le faire avec Initiative Cœurs est une partie de ma motivation. Le Vendée Globe, je l'ai déjà fait et je ne le referai pas sans un projet qui a du sens. Les deux sont liés.

Quel est votre plus beau souvenir vécu en mer ?
J'en ai tellement. Mais j'ai envie de citer mon dernier passage du Cap Horn en mars 2023. Après une traversée difficile, c'était un peu la porte de sortie de l'enfer. Les conditions étaient magnifiques : un rayon de soleil, de la neige tout autour. Le timing était parfait. En plus, même si j'aime naviguer en solo, c'était un moment partagé en équipage et j'adore ça.

Est-ce qu'il vous arrive d'avoir peur ?
Oui. Mais j'ai appris à ne plus avoir peur d'avoir peur. Car cette crainte peut aussi être très utile, par exemple pour avoir la bonne réaction dans une situation de crise. Ou pour te signaler que tu n'es pas bien préparée à une échéance. Sur une course, ton bateau peut casser, tu peux te faire mal ou devoir affronter une tempête… Tu envisages toutes ces éventualités à l'entraînement et cette préparation vient calmer les appréhensions, qui sont saines. En revanche, je travaille avec un préparateur mental pour mieux gérer la peur qui freine ou zappe ton énergie. On essaie de trouver des techniques, mais je n'ai pas encore toutes les solutions.

Qu'est-ce que le sport vous a apporté et continue de vous apporter dans la vie ?
Tellement de choses. J'ai toujours fait du sport et en tant que maman, c'est important que mon fils en fasse aussi. N'importe quel sport ! C'est important pour la santé physique et mentale bien sûr, mais aussi pour le relationnel. Les valeurs que le sport vous inculque vous serviront dans votre métier. Et puis si j'ai un problème à gérer, je sais que faire de l'exercice va m'aider à trouver la solution. C'est une sorte de méditation d'où je reviens avec des réponses. 

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