Anne-Sophie Bernadi : à la rencontre de la voix du biathlon

Sept ans qu'elle accompagne Julia Simon, Quentin Fillon-Maillet, Emilien Jacquelin et les autres dans leurs joies, leurs peines et leurs exploits. Anne-Sophie Bernadi, 33 ans, sera de retour dès le 25 novembre 2023 aux commentaires de la coupe du monde de biathlon sur la chaîne L'Équipe.

Anne-Sophie Bernadi :  à la rencontre de la voix du biathlon
© Bernard Papon

Depuis sept ans, elle est la voix que tous-tes les fans de biathlon connaissent. Anne-Sophie Bernadi, journaliste de la chaîne L'Équipe, commente chaque week-end les courses de la Coupe du monde qui fait son grand retour ce 25 novembre. Mais pour celle qui a fait ses débuts dans le milieu du rugby, l'acclimatation n'a pas été facile. Elle raconte au Journal des Femmes son parcours.

Journal des Femmes : Comment êtes-vous devenue journaliste sportive ?
Anne-Sophie Bernadi :
J'ai grandi à Collioure avec un papa directeur d'une école de rugby. Le dimanche après-midi, j'allais encourager mon frère ou mes copains sur le bord du terrain. Mais je n'étais moi-même pas sportive. J'ai fait une licence de lettres au cours de laquelle je me suis un peu ennuyée. À un âge auquel on demande aux étudiant-e-s de choisir leur voie, on m'a proposé de devenir journaliste. J'avais l'impression que j'avais le choix entre ce métier, celui de médecin, d'avocat ou de professeure. Je me suis lancée sans grande conviction. En 2013, j'ai fait un stage à la rédaction de Ouest France, à la Roche-sur-Yon. Le service des sports avait besoin de quelqu'un-e pour couvrir la coupe du monde de rugby des – de 20 ans. Personne ne voulait du sujet, je venais du Sud-ouest… et ça a été la révélation. Je me suis trop amusée et j'ai compris que j'avais envie de raconter des histoires. J'ai aussi fait preuve d'opportunisme, car je savais que les rédactions sportives avaient une grande envie de féminiser leurs rangs.

En tant que femme dans un milieu plutôt masculin, avez-vous rencontré des difficultés ?
C'est un sacré paradoxe, car je pense que je suis arrivée dans ce milieu à un moment auquel, à compétences égales, on préférait embaucher une femme plutôt qu'un homme. Je suis à la chaîne L'Équipe depuis 2016. C'est un média jeune, qui vit avec son temps, je me suis toujours sentie soutenue et entourée. Mais être une femme m'a demandé de prouver deux  fois plus. Pas aux yeux de ma hiérarchie, mais aux yeux des téléspectateur-rice-s. J'ai une grosse sensibilité "sport", mais pas la même culture que certain-e-s de mes collègues. Il a fallu que je travaille deux fois plus et je crois que mes erreurs ont été moins tolérées que celles d'autres journalistes. Dès que j'avais le malheur de dire quelque chose d'incorrect, le petit monde des réseaux sociaux expliquait aussitôt que c'était parce que je suis une femme.

Comment passe-t-on de spécialiste de rugby à commentatrice de biathlon ?
Je viens du même coin que Martin et Simon Fourcade. J'avais déjà regardé des courses et lu des articles, mais je ne connaissais pas toutes les subtilités de la discipline. J'ai commencé par être JRI (journaliste reporter d'images) sur la Coupe du monde après la démission d'un de mes collègues. Tout s'est bien passé et la saison suivante, la direction a décidé de changer de commentateurs. On m'a dit : "Passe le test, cela peut vite arriver que quelqu'un soit malade". Je n'en avais pas vraiment envie. J'y croyais tellement peu que j'ai triché. Je savais quelle course j'allais commenter, je l'ai regardée 4 fois, et j'ai récité mon texte. À la fin, on m'a dit que j'avais été la moins bonne. Mais Arnaud de Courcelles, le directeur de la rédaction à l'époque, m'a expliqué que j'étais celle dans laquelle il percevait le plus de potentiel. Et il ne m'a pas laissé le choix.

Vous avez essuyé beaucoup de critiques à vos débuts...
Oui, ça a été très difficile de faire face aux remarques des réseaux sociaux. Je prenais la suite de Guillaume Claret, qui était un grand spécialiste de biathlon, j'étais une femme, je n'y connaissais rien… Et surtout, je ne prenais aucun plaisir. Après le premier week-end de course, j'ai dit à Arnaud de Courcelles : "S'il te plaît, arrêtons le massacre". Il a refusé et a affirmé,qu'il fallait essayer encore un peu. Puis au bout de trois mois environ, cela a commencé à aller mieux. Mais cela a pris du temps pour que je me lâche. Aujourd'hui encore, je refuse de revoir ces premières courses. Le biathlon a aussi des fans très assidu-e-s, donc lorsque la chaîne L'Équipe est arrivée avec l'envie de populariser ce sport et de faire de la pédagogie, ça n'a pas été facile. On posait des questions dans nos commentaires qui pouvaient prêter à sourire pour les spécialistes. Mais nous avons réussi à emporter des gens avec nous et nous nous sommes nous-mêmes laissé-e-s emporter par cette vague. À ce jour, c'est la plus belle expérience de ma carrière.

Aujourd'hui, qu'aimez-vous le plus dans votre métier ?
Ne pas savoir ce qui m'attend dans la journée. Quand je mets mon casque pour commenter une course de biathlon, je n'ai aucune idée de ce qui va se passer. Il faut que je sois très réactive, que je m'adapte. C'est un travail qui laisse une grande place à l'émotion. Le commentaire est, de toute façon, subjectif. Nous avons en plus pris le parti de supporter les Français-es à la chaîne L'Équipe donc je me suis attachée à nos athlètes. Je sais que si l'un-e d'entre elleux remporte une course, je vais m'émouvoir, être exaltée. Pour quelqu'un de très organisé comme moi, ça met beaucoup de légèreté dans la vie. 

À quoi ressemble votre vie durant la saison de biathlon ?
Je travaille du mercredi au dimanche. C'est un rythme auquel j'ai pris goût. Depuis l'épidémie de Covid-19, nous avons renforcé notre présence en plateau. Par exemple, il peut nous arriver de prendre l'antenne à 11 h et de la lâcher à 18 h si nous avons deux courses à couvrir dans la journée. Cette année, en mars, nous aurons aussi droit à une tournée aux États-Unis et au Canada. Grâce au décalage horaire, nous allons, pour la première fois, avoir du biathlon en prime time.

Comment expliquez-vous cette passion française pour le biathlon ?
Elle a d'abord été portée par des personnalités. Il y a évidemment Martin Fourcade, qui a tout gagné et qui a aussi une personnalité exceptionnelle, avec de belles valeurs. Il a été un formidable ambassadeur pour son sport. Et même s'il a pris sa retraite, le niveau reste très élevé en équipe de France. Quentin Fillon-Maillet, Emilien Jacquelin, Julia Simon, Anaïs Chevalier Bouchet ont pris le relais. Le biathlon est aussi un sport dont les bases sont faciles à comprendre. Pour gagner, il faut bien tirer et skier vite. C'est très télégénique. Et puis quand on regarde une course, il y a la neige, les montagnes. C'est une véritable bouffée d'air frais ! Les champion-ne-s sont accessibles, la discipline est paritaire, attentive à l'écologie et populaire. Lorsque l'on se rend au Grand-Bornand, on découvre que le public vient des quatre coins de la France pour soutenir les athlètes.

Quel est votre plus beau souvenir aux commentaires du biathlon ?
C'est une question difficile. Je pense à la poursuite d'Emilien Jacquelin lors des mondiaux de Pokljuka en 2021. Il tire à toute vitesse et remporte la course, je le compare alors à Lucky Luke. J'ai adoré ce moment, tout comme la victoire de Julia Simon et Antonin Guigonnat deux jours plus tard sur le relais mixte simple. C'était totalement inattendu, j'étais en folie. Il y a aussi eu le titre mondial des garçons sur le relais en 2023 où les Norvégiens étaient ultra-favoris. En revanche, je ne citerai pas la dernière course de Martin Fourcade. C'était plutôt triste.

Quels seront les enjeux de cette saison 2023/2024 ? 
Chez les garçons, il va falloir battre Johannes Boe, l'ogre norvégien. Aujourd'hui, on a arrêté de s'agacer de le voir tout remporter et on a des yeux d'enfant en le regardant être le meilleur biathlète du monde. Mais il n'est pas invincible. Du côté des Français, on a beaucoup d'espoir avec Quentin Fillon-Maillet, mais aussi Emilien Jacquelin, chouchou du public, qui revient après une saison difficile psychologiquement. Chez les filles, Julia Simon est encore donnée favorite pour remporter le Gros Globe de Cristal (la récompense attribuée au vainqueur du classement général de la coupe du monde). On attend également Lou Jeanmonnot et le retour de Justine Braisaz-Bouchet après sa grossesse. Chez les filles, il y a une grosse densité. L'année dernière, les Françaises sont quasiment toutes montées sur un podium !

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