Marie-José Pérec : "J'avais envie de marquer l'Histoire"

Sa carrière sur le tour de piste, ses difficultés, ses combats d'aujourd'hui sans oublier les Jeux olympiques de Paris 2024 qui approchent… Le Journal des Femmes s'est entretenu avec la triple championne olympique, Marie-José Pérec.

Marie-José Pérec : "J'avais envie de marquer l'Histoire"
© Marie-José Pérec lorsqu'elle remporte le 200 mètres aux Jeux olympiques d'Atlanta le 1er août 1996 par Mary Evans/Sipa

On pourrait laisser le palmarès de Marie-José Pérec parler pour elle : un premier titre de championne olympique sur 400 m en 1992, deux autres à Atlanta en 1996 sur 200 m et 400 m. Sans oublier ses titres mondiaux et européens. Mais l’athlète, dont la carrière a commencé tardivement, alors qu'elle est repérée à l'âge de 15 ans par sa professeure de sport, a des choses à dire. De sa foulée puissante, la Guadeloupéenne a marqué l'Histoire de l'athlétisme français, malgré les épreuves qui n'ont pas manqué de jalonner son parcours, à une époque où la santé mentale des sportif-ve-s n'était pas un sujet. À moins d'un an des Jeux olympiques de Paris, le Journal des Femmes a rencontré l'ancienne championne, aujourd'hui engagée avec Carrefour pour le bien manger et le sport santé.

Journal des Femmes : Qu'est-ce que le sport a apporté à votre vie ?
Marie-José Pérec :
Il m'a appris à être indépendante. Lorsque l'on pratique un sport individuel, on doit se prendre en charge, surtout quand on est loin de sa famille, comme j'ai pu l'être au début de ma carrière. Même si on se téléphonait et qu'on s'écrivait aussi de belles lettres à l'époque (rires). Le sport de haut niveau apprend aussi à évoluer au sein d'un groupe, le dépassement, le partage, le respect de soi et des autres. C'est l'école de la vie. Et les enfants qui pratiquent un sport deviennent souvent des citoyen-ne-s éveillé-e-s.

Quelle est la plus belle émotion qu'il vous ait fait vivre ?
Je dirais lorsque Mohamed Ali a allumé la vasque dans le stade olympique d'Atlanta en 1996, lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux. Parce que quand j'étais enfant, je devais avoir 7 ou 8 ans, je me souviens de ma grand-mère écoutant ses combats de boxe à la radio. Pas pour le combat en lui-même, mais pour l'homme qu'il était. Alors, vivre ce grand moment lors de la cérémonie d'ouverture a beaucoup compté.

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Marie-José Pérec sur le podium à Atlanta le 1er août 1996 © Mary Evans/Sipa

Au cours de votre carrière, vous vous êtes d'abord entraînée en France, puis aux États-Unis. Quelles différences avez-vous constatées dans la manière de coacher les athlètes ?
La mentalité est très différente. Les Américain-ne-s n'hésitent pas à dire qu'ils sont les plus grand-e-s, les plus beaux-belles, les plus fort-e-s. Quand on se retrouve avec des gens comme ça à l'entraînement, on a l'impression que tout est possible, que tous nos rêves sont réalisables. Cela m'a donné des ailes de m'entrainer au sein de ce groupe. Je savais pourquoi je le faisais. C'est facile de se lever le matin, de se faire mal à l'entraînement, de moins sortir que les jeunes du même âge lorsqu'on connaît les raisons de ces sacrifices.

Vous êtes aujourd'hui considérée comme une légende du sport français. Comment vivez-vous ce statut d'icône ?
Les gens ont cette impression; pas moi. Je ne me considère pas comme telle. Mais c'est vrai que j'ai une carrière exceptionnelle.

Pendant votre carrière, vous avez souvent dit que vous étiez en "mission" pour la Guadeloupe. Que vouliez-vous exprimer ?
Lorsque je suis arrivée en France, les Antillais-es avaient une image de personnes qui faisaient la fête, qui dansaient, qui n'avaient pas de but dans la vie… Ce qui me gênait beaucoup. Tous les Antillais-es ne savent pas danser, moi la première ! Je n'aimais pas la manière dont nous étions traité-e-s et catalogué-e-s. En m'entraînant avec sérieux, en remportant des médailles, je voulais modifier cette image. Cela m'a donné beaucoup de force. Si je n'ai jamais ressenti de racisme dans le monde du sport, je l'ai perçu dans la société. Ma grand-mère disait souvent que nous n'étions que de passage et que chacun-e devait choisir la trace qu'il ou elle allait laisser. J'avais envie de marquer l'Histoire, de faire quelque chose de fort.

Lorsque vous avez décidé d'arrêter votre carrière, aviez-vous pensé à votre reconversion en amont ?
Pendant toute ma carrière, j'ai entendu dire que l'après allait être très dur. Lorsque l'on est sportif-ve de haut niveau, on a des échéances chaque année à une date et à une heure précise. Il est difficile de passer à autre chose lorsque l'on est habitué à ces montées d'adrénaline. Surtout que nous n'étions pas préparé-e-s à cette situation. La majorité des athlètes a des périodes de petites ou grosses déprimes lorsqu'ils ou elles s'arrêtent. Pour moi, ce fut difficile, car je n'ai pas arrêté ma carrière comme je le voulais. Je suis partie des JO de Sydney, c'est devenu un feuilleton mondial… J'ai appris que je ne pouvais pas tout maîtriser. Il y a des choses qui nous échappent dans la vie et je l'ai vraiment mal vécu. Puis, j'ai commencé les voyages humanitaires avec l'Unesco. Cela m'a aidé, de faire des choses pour les autres, de me sentir utile, pour revenir à la vie normale sans être à la recherche de cette "ivresse" que l'on ressent quand on fait de la compétition.

Comment le corps gère-t-il le passage d'une vie de sportive à celle d'une personne "normale" ? 
C'est très variable, certain-e-s athlètes restent très en forme et d'autres prennent du poids. Personnellement, j'ai pris quelques kilos parce que je ne m'entraîne plus intensément. Mais je mange sainement, j'ai gardé de bonnes habitudes. Ma mère était très à cheval sur la manière de s'alimenter, donc je n'ai pas eu de souci de côté-là. En revanche, je n'ai pas fait de sport pendant dix ans. Puis, suite à un pari, je me suis retrouvée à courir le marathon de New York pour récolter des fonds pour une association. C'est plus facile d'aller au bout de soi lorsque l'on porte une cause.

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Marie-José Pérec en août 1997 © Mary Evans/Sipa

Est-ce que vous courez encore aujourd'hui ? 
Je cours de temps en temps. Pendant quelques années, j'ai aussi fait du sport avec un groupe de maman qui voulaient des conseils. Mais nous discutions plus que nous ne nous entraînions (rires). Je fais aussi un peu de vélo et je reste très active. Pendant les vacances, ma famille et moi sommes toujours en mouvement, pas du genre à rester allongé-e-s sur des transats. 

Pourquoi avoir choisi de vous engager avec le groupe Carrefour ?
Dans la société d'aujourd'hui, les gens ont des vies intenses et prennent moins de temps pour cuisiner. Carrefour est une entreprise qui travaille pour que notre rapport à l'alimentation change. Avec les Jeux olympiques qui se dérouleront en France en 2024, les athlètes ont la chance d'avoir une voix qui porte. Il est important de faire passer des messages sur l'alimentation, l'activité physique. Il faut qu'on tire quelque chose de cet événement pour la santé publique.

Comment allez-vous prendre part à ces Jeux olympiques ?
En tant qu'ancienne sportive, je suis une ambassadrice de ces Jeux. Mon travail, je pense, sera d'accompagner les jeunes et les moins jeunes à faire plus de sport. C'est le message que j'aimerais faire passer.

Avec ces Jeux à domicile, les attentes qui reposent sur les athlètes français-e-s sont importantes malgré des moyens pas toujours mis en place pour faciliter leurs performances. Que pourrait-on améliorer selon vous ?
On parle beaucoup de gagner un certain nombre de médailles, mais je pense qu'il faut rester positif. À chaque édition des Jeux olympiques où je me suis rendue, il y a eu des polémiques avant la compétition. Mais ça se passe toujours bien ! Si la France n'arrive pas à remporter le nombre de médailles annoncé, ça ne sera pas grave. Il faut encourager les sportif-ve-s, les soutenir et les accompagner quoi qu'il arrive comme certains sponsors le font aujourd'hui.

La santé mentale est aujourd'hui un sujet que les sportif-ve-s abordent facilement. Quelle était la situation à votre époque ?
Je suis sûrement l'une des premières à en avoir parlé. À mon époque, on ne comprenait pas. Les gens lynchaient les athlètes qui n'étaient pas au rendez-vous lors d'une échéance importante, le coaching mental n'existait pas ou très peu. Ça a beaucoup évolué et pour cela, grâce à Simone Biles et Naomi Osaka. Je les remercie pour tous ces jeunes athlètes qui arriveront derrière. La parole se libère et c'est génial. 

Propos recueillis par Sarah Duverger et Tanissia Issad

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