Jeanne Collonge, triathlète longue distance : "Après ma grossesse, je culpabilisais de laisser ma fille pour aller m'entraîner"

Le 14 octobre 2023, Jeanne Collonge, 36 ans, prenait le départ des championnats du monde Ironman à Kona, à Hawaï. Une course pleine d'émotion pour cette triathlète française de 36 ans, qui y avait déjà participé six ans plus tôt, alors enceinte de sa fille.

Jeanne Collonge, triathlète longue distance : "Après ma grossesse, je culpabilisais de laisser ma fille pour aller m'entraîner"
© Jeanne Collonge lors des championnats du monde d'Ironman le 14 octobre 2023 par FinisherPix

3,8 km de natation suivis de 180 km à vélo et de 42,195 km de course à pied. C'est le format classique d'un Ironman, nom donné à la plus longue compétition de triathlon. Depuis 1978, des milliers d'athlètes, professionnel-le-s ou amateur-rice-s s'y sont frotté-e-s. La Française Jeanne Collonge, elle, a participé aux championnats du monde à Hawaï, le 14 octobre 2023, et a bouclé le parcours en 9h27, lui offrant la 32ème place mondiale. Débriefing.

Journal des Femmes : Comment se sont déroulés ces championnats du monde Ironman ?
Jeanne Collonge:
Les championnats du monde sont toujours une échéance importante. Mais je savais que les conditions climatiques (la chaleur et l'humidité) ainsi que le parcours relativement plat ne seraient pas à mon avantage. Finalement, je suis contente de ma course. La natation s'est bien passée, même si j'ai l'impression que j'aurais pu aller un peu plus vite. À vélo, j'ai respecté les allures demandées par mon entraîneur, ce qui fait que lorsque j'ai entamé mon marathon, je me sentais presque fraîche. Jusqu'au 30ème kilomètre, j'ai gagné des places et puis j'ai heurté le "mur" de plein fouet. C'était long, je me sentais seule au monde sur ces grandes routes sans spectateur-rice-s. J'ai eu un regain d'énergie à trois kilomètres de l'arrivée. J'ai sprinté, ce qui m'a permis de rattraper deux filles.

Vous aviez fait la même course il y a six ans. Vous étiez alors enceinte de 3 mois. Qu'est-ce que cela représente pour vous de revenir à Kona avec votre fille comme supportrice cette fois ?
C'était très fort. Il y a six ans, il n'était pas prévu que je tombe enceinte avant la course. J'ai décidé de la faire, même si je ne suis pas allée au bout. Le parcours était difficile, j'avais évidemment de l'appréhension. Alors lorsque j'ai obtenu ma qualification cette année, j'étais très heureuse de pouvoir prendre ma revanche et y emmener ma fille. Elle est désormais à un âge où elle comprend très bien ce que je fais. Elle dit d'ailleurs souvent qu'elle aimerait faire comme moi, même si je ne la pousse pas en ce sens et qu'elle décidera le moment venu.

Avez-vous eu des difficultés à revenir au plus haut niveau après votre grossesse ?
Oui, mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, je n'ai pas eu de difficultés sur le plan physique. J'avais continué le sport, en modifiant l'intensité, pendant ma grossesse. Alors quand j'ai repris, j'ai tout de suite senti que ça allait. Mais cela a été difficile mentalement. J'ai beaucoup culpabilisé de laisser ma fille pour aller m'entraîner. Il m'a fallu du temps pour comprendre que c'était mon métier et pas juste un plaisir. J'allaitais également mon bébé, ce qui faisait que je devais tout calculer afin d'être rentrée à temps pour qu'elle mange. Nous étions un véritable duo et je ne m'attendais pas cette fusion.

Selon vous, que pourrait-on faire pour faciliter le retour des athlètes après une maternité ?
Il faut commencer par en parler. Personnellement, je ne savais pas que l'on pouvait avoir ce type de difficultés. Et un congé paternité plus long pourrait également aider à mieux appréhender ce changement de vie.

Jeanne Collonge lors des championnats du monde à Kona en 2023. © FinisherPix

Comment avez-vous commencé le triathlon longue distance ?
J'ai commencé la natation quand j'avais 5 ans et j'en ai fait jusqu'à mes 17 ans. C'est un sport difficile et j'ai ressenti le besoin d'essayer d'autres disciplines. Entretemps, j'avais participé à des cross au collège et au lycée. Je gagnais ces courses même si je ne m'entraînais pas et surtout, j'aimais ça. Comme ma mère pratiquait aussi le triathlon, je me suis essayée à la discipline et tout a été très vite. J'ai été sélectionnée en équipe de France dès ma première année de pratique. J'adorais la nage en eau libre et la liberté qu'apportait le vélo, même si j'avais du mal à m'exprimer sur cette partie de course. En 2009, j'ai pris part au triathlon longue distance de l'Alpe d'Huez et ça a tout de suite matché. J'aime quand ça grimpe, j'aime les efforts solitaires. La veille de la course, je me souviens que j'avais peur, mais j'étais surexcitée. Je me demandais comment mon corps allait réagir. Sur courte distance, on se fait mal, mais c'est limité dans le temps. Sur un Ironman, il y a des hauts et des bas. Il faut gérer ces bas, mais aussi ces hauts pour ne pas tomber trop bas ensuite. C'est une véritable introspection.

Comment s'organise l'année d'une triathlète professionnelle comme vous ?
La saison se déroule entre avril et octobre. Je me fixe plusieurs échéances durant cette période. Les premières courses me permettent de me remettre dans le rythme, de reprendre mes automatismes, puis je gère mes pics de forme. Dans une année, je peux faire jusqu'à trois Ironman. C'est le maximum et ça demande déjà beaucoup au corps.

Comment s'entraîne-t-on pour pratiquer du triathlon longue distance ?
Chaque semaine, je m'entraîne entre 25 et 35 heures. Je vais rouler cinq fois dans la semaine, je nage cinq ou six fois et je cours cinq fois également. Les séances peuvent être plus ou moins longues et plus ou moins intenses, seule ou en groupe. Il n'y a jamais de monotonie, c'est ce que j'aime et ce qui fait qu'une carrière de triathlète peut durer aussi longtemps. C'est une vraie passion pour moi. Même si j'arrête le haut niveau un jour, j'aurai toujours envie de faire du triathlon.

Quelle est votre plus souvenir en compétition ?
Mes victoires à l'Embrunman, ma course de cœur que j'ai remportée trois fois. En 2012, j'avais décidé de m'inscrire 10 jours avant le départ. À l'époque, je m'entraînais à Nice. J'avais demandé à mon entraineur si je pouvais faire la course. J'en avais trop envie. Il avait peur que je ne sois pas prête, alors le lendemain, nous avons grimpé un col à vélo et il m'a donné son feu vert. Je n'avais rien à perdre. Sans aucune pression, j'ai gagné avec 30 minutes d'avance. J'étais sous le choc, c'était une émotion folle. J'ai aussi remporté la course l'année suivante, en étant plus attendue cette fois. J'ai ensuite connu une période de creux. Mais en août 2023, je suis de nouveau remontée sur la plus haute marche du podium, dix ans après ma dernière victoire. Ça restera un merveilleux souvenir pour moi. 

Quels sont vos objectifs pour la saison prochaine ?
J'aimerais prendre part à l'Embrunman en août prochain et aux championnats du monde Ironman qui auront lieu à Nice en 2024. J'ai vécu là-bas, je connais les routes par cœur. Mais il va falloir que je me qualifie et pour cela, je vais devoir participer à un autre Ironman avant et bien me classer. Je vais devoir être tactique et choisir la bonne course.

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