Rescapée d'un cancer, aide-soignante de nuit et championne de France de marathon, Anaïs Quemener est la star d'un docu génial

Depuis le 10 octobre 2023, le documentaire "Anaïs" est disponible sur SalomonTV. Un film inspirant et émouvant, qui retrace le parcours de la marathonienne Anaïs Quemener

Rescapée d'un cancer, aide-soignante de nuit et championne de France de marathon, Anaïs Quemener est la star d'un docu génial
© Salomon

Tout juste deux semaines après avoir réalisé 2h29'01 au marathon de Berlin, Anaïs Quemener est montée sur la troisième marche du podium des 20 kilomètres de Paris le dimanche 8 octobre 2023. Mais où est-ce que cette coureuse aux paillettes aux coins des yeux et au sourire contagieux va-t-elle puiser son énergie ? Dans Anaïs, un documentaire disponible gratuitement sur la chaîne YouTube de son sponsor Salomon depuis le 10 octobre, la talentueuse réalisatrice Hélène Hadjiyianni tente de nous apporter une réponse. Elle a suivi cette athlète le jour et aide-soignante la nuit durant trois mois, lors de sa préparation pour le marathon de Paris 2023. Une plongée intime, émouvante et passionnante au cœur de la vie d'Anaïs Quemener et de sa "meute", son club de cœur mais aussi sa famille, et qui retrace le parcours d'une passionnée que même un cancer du sein découvert à l'âge de 23 ans n'aura pas empêché de chausser ses baskets pour aller courir. Interview. 

Journal des Femmes : Comment votre passion pour l'athlétisme a commencé ?
Anaïs Quemener :
J'ai toujours vu ma famille courir : mon père, mes grands-pères avant lui... J'ai baigné dans cette culture du sport, du dépassement de soi. C'était naturel de me diriger vers la course à pied. J'ai intégré un club à 9 ans. À cet âge, on fait tout : du lancer de balles, du saut en longueur, du 1000 m, du cross. Mon père était déjà entraîneur et cette passion a perduré parce qu'on ne m'a jamais forcée. J'allais courir pour m'amuser, retrouver mes copain-ine-s. Il n'y avait aucune contrainte. À l'adolescence, j'en ai aussi fait un peu. Mais j'en avais un peu marre de me lever tôt le dimanche matin pour m'entraîner ou faire des compétitions. Pourtant, au final, ça m'a jamais vraiment lâché.

Pourquoi avoir décidé de vous lancer sur marathon ?
Ça s'est fait naturellement : j'ai commencé par le cross, le 1000 m, le 3000 m, le 10 km… La distance m'a toujours fait rêver. Quand j'étais plus jeune, on regardait les marathons à la télévision, les championnats du monde, d'Europe. Malgré le décalage horaire, on se levait à 2 ou 3 heures du matin pour suivre les courses. C'était presque un passage obligatoire, je savais que j'allais y venir. J'ai fait mon premier marathon à 21 ans et j'ai adoré. Dès que j'ai passé la ligne d'arrivée, j'ai eu envie de recommencer. Et pourtant, au départ, c'était un pari avec mes copain-ine-s du club. Nous nous étions inscrits un mois plus tôt pour participer au marathon de Rotterdam.

Que ressentez-vous lorsque vous courez ? 
C'est compliqué à expliquer, parce que c'est un sentiment qui me prend aux tripes. C'est le feu. C'est le feu dans tout mon corps. J'adore courir, je n'attends que ça. Quand je prends le départ d'une course, quand j'accroche un dossard, je me mets dans ma bulle et je n'ai qu'une hâte : courir. 

Anaïs Quemener lors du Marathon de Berlin 2023 © Margaux Le Map / Salomon

À quoi ressemble l'une de vos semaines d'entrainements en période de préparation marathon ? 
Je cours beaucoup. Le mois précédent le marathon de Berlin, je parcourais entre 180 et 190 kilomètres par semaine. Ce qui correspond à 20 heures d'entraînement environ. Si mon emploi du temps me le permettais, j'essayais de faire du bi-quotidien : un footing le matin et une séance le soir. Et si ce n'était pas possible, j'allais au travail et j'en revenais en courant pour augmenter mon kilométrage un peu plus facilement. Je suis très heureuse, car tout s'est bien passé, je ne me suis pas blessée, ce n'était que du plaisir. 

Avec une telle intensité, vous devez avoir une très bonne hygiène de vie ? 
On ne peut pas vraiment dire ça (rires). Le sommeil, je peux m'améliorer, l'alimentation aussi même si j'ai fait des efforts depuis le marathon de Paris. Je vois une nutritionniste désormais, mais avant c'était pizza à gogo. J'en ai encore mangé une l'avant-veille du marathon de Berlin. Quand tu cours 190 kilomètres par semaine, il faut aussi savoir se faire plaisir. Mais je sais que la nutrition a son importance, je l'ai appris par la force des choses sur mes courses. Je mets des choses en place petit à petit avec ma nutritionniste. Ce sont des petits détails qui peuvent faire toute la différence. 

Vous avez eu un cancer du sein à l'âge de 23 ans. Comment l'avez-vous découvert ? 
Tout bêtement, en prenant ma douche. J'ai senti une boule dans mon sein. Je n'ai pas réagi tout de suite. J'avais 23 ans, je faisais du sport, je me sentais en forme. Il n'y avait pas de raison ! J'ai quand même pris rendez-vous avec ma gynécologue, qui m'a dit que c'était hormonal après un examen assez expéditif. Environ six mois plus tard, alors que je travaillais aux urgences, j'ai demandé à une autre médecin de regarder. Elle m'a prescrit un bilan qui est revenu parfait. Mais un an plus tard, la boule était toujours là et elle commençait à grossir et déformer mon sein. Si c'était un kyste, je voulais le faire enlever. On m'a prescrit une ponction, une biopsie et une échographie mammaire au mois de juin. Les résultats ont mis du temps à arriver. Ils sont tombés début août, la veille de l'anniversaire de mon père. J'ai compris tout de suite en voyant la tête du médecin. Je lui ai demandé si c'était un cancer, il m'a répondu "Oui" ,mais il m'a dit qu'il n'allait pas me laisser comme ça. Et j'ai tout de suite rencontré l'oncologue qui m'a suivi. Je me dis souvent que si je n'étais pas tombé sur lui, je n'aurais pas vécu les choses de la même manière. Il me faisait rire. Quand j'arrivais dans son cabinet, il me disait "Mais qu'est-ce que tu fais là toi, tu pourrais être ma petite fille !" Je répondais que je n'avais rien demandé à personne. Quoi qu'il arrive, ces rendez-vous étaient toujours des bons moments.

Combien de temps a duré le traitement ? 
J'ai fait huit mois de chimiothérapie, puis deux mois de radiothérapie et ensuite je me suis fait opérer avec une ablation du premier sein, puis le deuxième car mon cancer était génétique. J'ai eu plusieurs opérations de reconstruction qui n'ont pas fonctionnées et j'ai finalement tout retiré en 2019. Je me sens beaucoup mieux comme ça, je n'ai pas de douleurs et je peux dormir sur le ventre ! Et mentalement, c'est important de ne plus avoir de corps étranger en moi. J'étais une jeune adulte lorsque j'ai eu ce cancer. Aujourd'hui, j'ai 32 ans et ce qui est marrant, c'est que je me sens beaucoup plus féminine aujourd'hui que lorsque j'avais mes seins.

Comment le sport vous a aidé dans cette période compliquée ? Votre oncologue vous a-t-il toujours soutenu dans votre pratique ? 
À moitié. Il m'a toujours encouragé à courir, mais pas forcément en compétition. Et moi, je voulais faire de la compétition. On a un peu filouté avec mon père, en allant voir un autre médecin qui me connaissait bien et qui a accepté de me rédiger un certificat médical pour pratiquer la course en compétition, tout en me disant de faire très attention, d'être à l'écoute de mon corps. En sortant du cabinet, je voulais déjà m'inscrire à un 10 km. Je faisais déjà beaucoup de sport avant la maladie. Je ne pouvais imaginer ne pas en faire pendant le traitement. Je ne pouvais déjà plus travailler ! Lorsque je me rendais au club, pendant une heure, j'oubliais que j'étais malade. 

Vous êtes aujourd'hui marraine de l'association Cassiopeea qui soutient la pratique sportive pour les malades du cancer...
Quand je suis tombée malade, j'ai voulu rencontrer des gens comme moi, qui étaient malades mais qui avaient aussi envie de faire du sport. Plusieurs associations proposaient du yoga, du stretching… Ce sont de supers activités, mais ce n'est pas mon truc, je voulais me dépasser. J'ai alors fait la rencontre de la présidente de l'association Cassiopeea. Elle avait déjà participé au Marathon des sables. Son profil m'a parlé. J'étais encore sous chimiothérapie lorsqu'on a fait connaissance. J'ai pu discuter avec elle des traitements, elle a répondu à toute mes questions dans une grande bienveillance. Et lorsque j'ai gagné le titre de championne de France de marathon en 2016, elle m'a proposé de devenir marraine. J'ai évidemment accepté. On accompagne les malades mais aussi les aidants qui sont trop souvent oubliés. 

Vous êtes aujourd'hui encore aide-soignante de nuit. N'avez-vous eu jamais envie de vous lancer dans une carrière d'athlète à temps plein ? 
Mon métier de soignante est clairement une vocation. J'adore ce que je fais. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, j'aimerai avoir un peu plus de temps à consacrer au sport. Je ne me posais pas la question avant. La course à pied n'est pas vraiment un sport qui paye. Mais depuis le marathon de Berlin, j'ai des opportunités qui se présentent et je me sens plus légitime. J'ai demandé un aménagement de temps à mon employeur. Je ne sais pas si cela va être accepté, mais ma demande a été entendue. C'est le moment ou jamais. Mais je me pose aussi des questions : est-ce que le plaisir que j'éprouve à courir restera le même ? J'ai trouvé un équilibre aujourd'hui. Si j'augmente ma charge d'entraînement, est-ce que je ne risque pas de me blesser ? C'est un vrai cheminement. 

Vous venez de réaliser 2h 29min01' au marathon de Berlin. Comment s'est passée votre course ? 
Je suis hyper chanceuse, car j'ai couru avec Ricardo et Mustapha, deux garçons de mon club qui ont à peu près le même niveau que moi et pendant 36 km, on était ensemble. C'est précieux, parce qu'on a pu partager la préparation ensemble, les entraînements mais aussi le quotidien. Je n'ai pas réussi à avoir de dossard élite, ce qui m'aurait permis de partir dans un sas préférentiel et de m'échauffer jusqu'au dernier moment. Donc les cinq premiers kilomètres, on a un peu slalomé entre les gens. Au 10ème kilomètre, on avait 20 secondes d'avance, puis 30 secondes au semi et ça a commencé à m’inquiéter. C'est devenu difficile pour moi au 35ème kilomètre, mais j'ai serré les dents, le plus dur était fait. Je me suis laissé distancer par les garçons, mais nous sommes tous les trois arrivés en une minute de temps. 

Vous vous retrouvez à un peu plus de deux minutes des minimas olympiques. Est-ce un objectif pour vous ? 
Oui, mais pas forcément pour ceux de Paris. C'est dans moins d'un an, ça me paraît compliqué. Et je ne veux pas faire que du marathon. Je veux continuer le cross, la piste, les 10 km, le semi-marathon. Pour moi, c'est le plaisir avant tout, je ne suis pas une athlète professionnelle. Je vais tout de même tenter de faire descendre mon record personnel sur marathon à Valence. Les minimas seront durs à aller chercher mais je n'ai rien à perdre à essayer. 

Qu'est-ce que représentent les Jeux olympiques pour vous ? 
Un rêve de petite fille. C'est un graal de pouvoir y participer, même en tant que spectatrice. Mais mon plus grand rêve, c'est de rester en bonne santé et de continuer à prendre du plaisir dans ce que je fais. Et ça, ça n'a pas de prix. 

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