"J'ai 22 ans, je suis étudiante en école de commerce et je participe aux premiers championnat du monde féminin de moto"

De juin à octobre 2024 se tiendra le tout premier championnat du monde féminin de vitesse moto. Un événement qui débutera en Italie et s'achèvera en Espagne, auquel participera Emily Bondi, une jeune athlète de 22 ans.

"J'ai 22 ans, je suis étudiante en école de commerce et je participe aux premiers championnat du monde féminin de moto"
© Emily Bondi

À 22 ans, Emily Bondi aurait pu se contenter d'être une simple élève en école de commerce. Elle aurait partagé son quotidien entre les cours, l'entreprise où elle effectue son alternance et les soirées étudiantes. Si la jeune femme suit bien un cursus à l'IESEG, elle est aussi championne de France de moto toutes catégories et se prépare au tout premier championnat du monde féminin de vitesse moto. Entretien avec une athlète qui va à toute allure.

Journal des Femmes : Quel est votre lien avec le sport ?
Emily Bondi :
J'ai toujours eu un fort esprit de compétition. Petite, je me souviens même avoir dit à ma mère que je trouvais injuste d'être la deuxième de ma fratrie; je n'étais pas d'accord avec le fait d'être numéro 2. Donc toute mon enfance, je me suis mesurée à mon grand frère. Je pensais : "Peu importe qu'il soit un garçon et moi une fille, il faut que je le batte". Alors, quand il a commencé le horse ball [sport équestre qui se joue avec une balle pourvue de 6 anses, ndlr], j'ai fait comme lui. Ce sport, dont les compétitions sont mixtes, a complètement aboli l'idée, dans mon esprit, qu'il y avait des disciplines réservées à tel ou tel genre. J'ai aussi fait beaucoup de ski alpin, à une époque. J'adorais Tessa Worley [double championne du monde de slalom géant, ndlr]. C'était un peu mon icône, je la regardais souvent avant d'aller faire mes compétitions. 

Et votre lien avec la moto ?
Mes parents en ont toujours fait, c'était leur moyen de transport, donc je montais avec eux quand j'étais enfant. J'étais tellement petite, à l'époque, que mes bras ne faisaient pas le tour de leur taille, donc ils m'asseyaient devant eux. J'ai vécu en Chine toute mon adolescence et lorsque je suis revenue en France à 18 ans, j'ai passé mon permis moto. Et puis en septembre 2022, j'ai rencontré mon copain, champion de motocross, qui m'a dit que ce n'était pas seulement un moyen de locomotion. Il m'a fait découvrir la compétition et j'ai tout de suite pensé que ce serait super cool d'essayer.

Deux ans plus tard, vous êtes championne de France. Comment vous êtes-vous entraînée pour arriver à ce niveau ?
Les compétitions de moto se préparent en faisant du physique. Je vais à la salle de sport pour faire du cardio et du renforcement musculaire au moins quatre fois par semaine. C'est aussi beaucoup de roulage, je m'entraîne sur circuit deux fois par mois. Tant que la haute saison n'a pas repris, je me rends beaucoup en Espagne pour bénéficier des infrastructures et des conditions climatiques idéales.

Comment arrivez-vous à financer votre activité sportive ?
Grâce aux sponsors. Mon plus gros soutien, c'est Zelos, une structure belge qui essaye de faire émerger des pilotes. Je suis aussi en discussion avec des marques susceptibles de vouloir apparaître sur les motos, les combinaisons ou les casques. C'est le plus gros de mon travail : au-delà de ma performance et de ma préparation physique, je dois aller chercher des sponsors, travailler ma communication, mon marketing… Il faut quand même dire que les profils féminins sont rares dans la moto, donc les entreprises se montrent intéressées par les sportives et sont souvent partantes pour les accompagner. Par ailleurs, de mon côté, Zelos m'aide aussi dans le cadre de mes études, puisque je suis en alternance au sein de la société et que mon travail, aujourd'hui, c'est de me concentrer sur ma carrière. En fait, l'IESEG a mis en place un aménagement de sportive de haut niveau pour que je puisse être pilote professionnelle. Ce qui m'ôte une sacrée épine du pied : depuis le mois de janvier, je n'ai plus à jongler entre les entraînements, les cours, les courses et les partiels.

Quels sont les aspects de votre sport que le grand public n'imagine pas ?
Il ne faut pas croire qu'une moto de course, c'est de nouveaux pneus et go, on va rouler. Nos engins, on les met à rude épreuve, ils vont très vite, très fort. Il faut donc faire fréquemment des vidanges, changer les liquides… Il m'arrive souvent de tomber, donc même si on répare sur le circuit, il y a toujours des pièces à mettre à neuf, un bug à corriger, un coup de polish à donner. Ce n'est pas inné, il y a beaucoup de choses que je ne sais pas faire et pour lesquelles je suis aidée par mon copain. Et puis au-delà de bichonner les motos, il faut, quand j'en ai besoin, que je fasse la démarche pour acheter une nouvelle carrosserie, que je trouve un partenaire pour la financer, que je fasse du contenu sur les réseaux sociaux pour promouvoir ce partenariat [son compte Instagram est suivi par plus de 22 000 personnes, ndlr]… 

En quoi est-ce que la moto est un sport stratégique ?
Il y a plein de facteurs qui entrent en jeu. C'est une discipline qui procure beaucoup d'adrénaline et qui suscite un vrai sentiment de liberté. Dans les lignes droites, où on peut aller très vite, on exploite la notion d'interdit. En fait, c'est un sport très mental, puisqu'il faut prendre sur soi et ne pas avoir peur de tourner la poignée à fond. D'autant que pour être rapide, il faut freiner le plus tard possible. Pendant la course, je me répète en boucle : "Ne va pas trop vite. Construis. Étudie ce qu'il se passe, les failles de tes concurrentes. Une fois que tu as vu en quoi tu es meilleure que les autres, choisis le bon moment pour attaquer."

Que ressentez-vous quand vous enfilez votre casque ?
J'ai mal au ventre. Ce n'est pas le moment le plus agréable, mais je sais qu'il faut le faire. Parce que lorsque je descends de ma moto, si j'ai bien fait le job, le sentiment qui m'envahit est dingue. 

Comment appréhendez-vous la notion de danger ?
La moto, ça peut faire mal, donc quand on tourne sur la piste, il y a toujours un moment où on réduit l'allure à cause de la conscience du danger. Mais aujourd'hui, nous sommes très bien protégées : nous avons des airbags, des combinaisons en cuir… Je suis moi-même tombée plusieurs fois et jusqu'ici, c'était la moto qui était amochée.

Comment sont perçues les femmes dans ce milieu ?
Il y a toujours des préjugés quant à notre niveau et notre allure sur le circuit. Mais dans le haut niveau, les pilotes connus nous considèrent comme leurs égales et sont toujours là pour nous donner des conseils. De manière générale, les catégories femme sont en train de s'ouvrir pour essayer d'attirer d'autres sportives. Par ailleurs, les catégories de haut niveau ne sont pas fermées aux athlètes féminines. 

Quels sont vos objectifs lors du championnat du monde féminin de vitesse moto ?
Mes objectifs, en 2024, sont de développer mes capacités sportives pour acquérir un niveau que je n'ai pas encore. Je n'y vais pas pour remporter un titre, mais pour me perfectionner et un jour, être championne du monde. J'espère aussi que cette compétition inspirera des jeunes filles, qui dans 5 ans nous rejoindront sur les circuits pour tout déchirer.

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