Tokophobie : d'où vient cette phobie de l'accouchement ?

Appréhender l'accouchement, c'est normal. Mais, chez certaines femmes, cette peur devient une véritable phobie pouvant même conduire à abandonner son désir de devenir mère. Baptisé "tokophobie", ce phénomène reste méconnu. À quoi est-il dû et comment le surmonter ? On fait le point avec Mathilde Bouychou, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité.

Tokophobie : d'où vient cette phobie de l'accouchement ?
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"Toutes les femmes enceintes ont peur de l'accouchement, c'est parfaitement normal. Cela devient problématique lorsque cette peur devient paralysante au point d'entraîner une conduite d'évitement et parfois de renoncer à avoir un enfant", pose d'emblée Mathilde Bouychou. Si elle est relativement rare, la tokophobie est alimentée par le climat culturel et social actuel. Heureusement, des solutions existent pour s'en libérer.

Qu'est-ce que la tokophobie ?

Du grec "tokos" (accouchement) et "phobos" (peur), la tokophobie désigne la peur panique de l'accouchement, souvent associée à la peur de la douleur et/ou de la mort. Chez certaines femmes, l'angoisse est telle qu'elles renoncent à leur désir de maternité. Depuis 1997, la tokophobie figure dans la Classification internationale des maladies de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

  • Cette phobie peut être consciente, auquel cas la femme exprime clairement sa peur et met tout en œuvre pour éviter de tomber enceinte ou pour éviter l'accouchement par voie basse. 
  • On parle aussi de phobie inconsciente, auquel cas la femme se plaint de douleurs diverses et variées et exprime une angoisse latente dont elle ne parvient pas à déterminer l'origine.
  • On parle de tokophobie primaire quand cette peur concerne une première grossesse
  • La tokophobie secondaire désigne les femmes ayant déjà été enceintes.

Quelles sont les causes de la tokophobie ?

Les peurs liées à l'accouchement peuvent être multiples. La tokophobie peut être due à :

Une histoire traumatique

Le fait d'avoir vécu un précédent accouchement traumatique ou que sa propre naissance ait été traumatique peut déclencher une tokophobie. "Quand on est enceinte et que l'on va accoucher, le bébé qu'on a été est réactivé. La manière dont il a été attendu, porté, dont il est né, refait surface d'un point de vue sensoriel et émotionnel, ce sont des mémoires implicites", indique la psychologue spécialisée en périnatalité. 

La peur de lâcher prise 

Certaines femmes ont peur de l'accouchement parce que c'est un moment de lâcher prise, un instant qu'on ne maîtrise pas. "Les femmes sont face à un événement qu'elles ne peuvent pas contrôler et tant qu'elles ne l'ont pas vécu, il est difficile de se le représenter. On peut lire des témoignages, regarder des vidéos, mais chaque expérience est singulière. Il y a une part d'inconnu très importante", détaille notre interlocutrice. 

Un suivi surmédicalisé

On dit que la grossesse n'est pas une maladie et pourtant, le suivi est surmédicalisé en France, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. "On parle beaucoup des risques liés à l'accouchement et il existe de nombreuses représentations sociales et culturelles assez inquiétantes sur l'accouchement, ce qui alimente les peurs des femmes", argue Mathilde Bouychou.

La peur de dévoiler son intimité 

L'accouchement est un grand moment d'intimité qui peut être mis à mal. Les femmes ayant été victimes de violences sexuelles peuvent très mal le vivre, car cet événement peut venir réactiver des choses de l'ordre du trauma. D'où l'importance de bien exprimer ses besoins à l'équipe médicale.

Des témoignages effrayants 

Sous couvert de libération de la parole, les grossesses et les accouchements qui se passent mal sont surmédiatisés. Or, les accouchements de rêve, ça existe ! "Il est important de lire d'autres récits, d'autres témoignages qui ne parlent pas que des aspects négatifs de l'accouchement pour pouvoir déconstruire ces représentations et en construire d'autres. Il faut surtout garder à l'esprit que chaque expérience est différente !", précise la spécialiste. 

Quelles sont les conséquences de la tokophobie ? 

Certaines femmes ont tellement peur de l'accouchement qu'elles vont renoncer à tomber enceinte ou vont demander une césarienne dite de convenance. D'autres encore peuvent procéder à une IVG alors qu'elles désiraient ce bébé ou développer des symptômes tels que maux de ventre, palpitations, sueurs, froids et anxiété tout au long de leur grossesse.

Que faire si on a vraiment peur de l'accouchement ?

Plusieurs pistes peuvent aider une femme à surmonter la tokophobie. "Il est intéressant de regarder ce temps de la grossesse et de l'accouchement sous le prisme de l'empowermement, et pas seulement sous le prisme du risque. Les femmes doivent prendre conscience du pouvoir de leur corps dont elles ont été extrêmement dépossédées au cours de ces dernières décennies. Si on fait le travail de les reconnecter à leur corps, à leurs compétences, à ce qu'elles savent faire depuis la nuit des temps (donner la vie), l'accouchement peut se révéler une expérience extraordinaire et puissante lorsqu'elle est accompagnée en ce sens", développe la psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité.

Par ailleurs, même s'il est vrai que l'accouchement est un moment à risque et que tout peut basculer en quelques minutes, on peut décider de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, car cela a une réelle influence sur la manière dont l'accouchement va se dérouler. Quand l'angoisse est trop envahissante, il est important de se faire accompagner parce que la peur amène à se déconnecter de son corps et de son bébé.

Des techniques de relaxation comme la sophrologie ou l'hypnose peuvent aider à gérer ses émotions et à appréhender cette peur panique de l'accouchement. La thérapie comportementale et cognitive (TCC) et l'EMDR sont des thérapies extrêmement efficaces pour déconstruire des schémas erronés. Pour certaines femmes, envisager l'accouchement par voie basse est impossible, auquel cas la césarienne dite de "confort" pourra être discutée avec l'équipe médicale.

La tokophobie concerne-t-elle aussi les hommes ? 

Certains hommes peuvent être angoissés à l'idée de voir leur femme souffrir pendant l'accouchement. Ils peuvent même avoir peur de la perdre. Un suivi psychologique est alors nécessaire, car il ne faut pas que les craintes du futur papa se répercutent sur sa femme. Il doit tout mettre en œuvre pour la soutenir. 

Merci à Mathilde Bouychou, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité. Vous pouvez la retrouver dans le podcast Parentalité(s), éduquer c'est comprendre.
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