Caroline Sinno : "Comme mon père et ma grand-mère, je suis devenue grimpeuse"

En levant la tête lors d'une balade en forêt de Fontainebleau, vous pourriez bien l'apercevoir haut perchée. À 39 ans, Caroline Sinno est une grimpeuse spécialiste de l'escalade en extérieur qui n'hésite pas à s'aventurer là où aucune femme n'est encore jamais allée. Tout en partageant avec d'autres cette passion qui lui apporte tant. Interview.

Caroline Sinno : "Comme mon père et ma grand-mère, je suis devenue grimpeuse"
© Arkose

Créatrice de l'entreprise Crimp Oil, qui vend des huiles de massage et fondatrice de l'association Girls in Bleau pour rendre plus accessible l'escalade aux femmes, Caroline Sinno est une passionnée de grimpe. L'athlète, soutenue par Arkose, le leader de la grimpe, dévoile son quotidien et les secrets de ce sport, qui explose depuis quelques années.

Journal des Femmes : Comment avez-vous commencé l'escalade ?
Caroline Sinno :
C'est une histoire de famille. L'escalade a toujours fait partie de ma vie. Mon père et ma grand-mère grimpaient, donc nous faisions des sorties en famille à Fontainebleau quand j'étais petite. Nous allions aussi dans les Alpes durant les vacances, où je me suis initiée à la voie. Puis arrivée au lycée, j'ai déménagé à Annecy et je me suis inscrite en club. C'est là que j'ai commencé à atteindre un bon niveau.

Qu'est-ce que vous aimez le plus dans ce sport ?
Plus qu'un sport, l'escalade est un art de vivre. Il y a certes un côté physique, c'est un sport qui muscle tout le corps, mais j'apprécie vraiment le côté mental de la grimpe. Chaque bloc est différent, chaque rocher est comme une énigme à décrypter. Et plus on avance dans la difficulté, plus cela devient cérébral.

À quoi ressemblent vos entraînements ?
Je m'entraine 4 à 5 fois par semaine sur les rochers. J'essaie d'appréhender des mouvements, de tester des combinaisons. L'hiver, lorsqu'il fait froid, je peux faire des séances plus spécifiques de force ou de résistance en salle. Mais comme je ne fais pas de compétition, je n'ai pas d'échéance à préparer et de pic de forme à atteindre. Donc j'essaie d'être à 80 % de mes possibilités toute l'année.

Sans compétition, quels sont les défis que vous vous lancez ? 
La forêt de Fontainebleau est un secteur mythique pour tous les grimpeurs. Mais peu de femmes se sont attaquées aux blocs difficiles. Je suis un peu une pionnière dans mon domaine. Je tente ces premières ascensions féminines, j'ouvre des blocs. J'ai une multitude de choix et tout à faire. Donc j'organise des sessions pendant lesquelles j'essaie des mouvements, je teste des petites sections. Cela peut prendre plusieurs jours pour venir à bout d'un bloc ! Il faut beaucoup de patience et de persévérance. Pour la suite, j'aimerais réussir des blocs 8b+, c'est le plus haut niveau féminin à Fontainebleau. Et puis aussi m'exprimer sur des falaises.

Êtes-vous accompagnée lorsque vous tentez ces ascensions ?
Oui. C'est quelque chose que l'on voit peu, mais lorsqu'on s'attaque à des blocs dangereux, c'est indispensable. Au niveau logistique, il faut comprendre que l'on doit parfois transporter plusieurs crash pads (des matelas pour tomber) jusqu'au lieu de grimpe. Si tu dois faire 3 ou 4 aller-retour jusqu'à la voiture puis transporter les 40 kg sur ton dos seule, c'est compliqué d'être performante derrière. Donc, on voit souvent des pères ou des copains qui sont là pour accompagner. Ils peuvent aussi nous parer en cas de chute pour éviter que notre tête tape sur un rocher par exemple. Cela permet d'être plus confiante, de tenter des choses sans crainte.

Peut-on vivre de sa passion pour l'escalade aujourd'hui ?
C'est très difficile. Il y a très peu de grimpeurs qui arrivent à en vivre décemment. En France, je pense qu'on peut les compter sur les doigts d'une main. La plupart ont un métier à côté. Personnellement, j'ai un diplôme d'ingénieure et un master en marketing, mais je ne me voyais pas être salariée à la fin de mes études. Donc j'ai créé mon entreprise, Crimp Oil, que je gère à côté de mon quotidien de sportive. Ce sont des huiles de massage que peuvent utiliser les grimpeurs contre les tendinites, pour limiter les blessures, récupérer activement ou pour aider à la reconstitution de la peau parfois malmenée par notre pratique. Je suis aussi soutenue par Arkose. J'ai aussi de la chance de pratiquer un sport qui fait rêver. Sur Instagram, certaines de mes vidéos ont été vues plus de trois millions de fois !

Vous avez aussi créé une association, "Girls in Bleau"...
Oui, depuis 2020, nous réunissons, une fois par mois un groupe de femmes pour grimper en forêt de Fontainebleau. Avec une dizaine d'initiatrices, nous les accompagnons et nous les formons avec bienveillance. L'escalade reste un sport assez masculin, surtout en extérieur. Mais le nombre de pratiquantes a explosé depuis le confinement. Sur certaines grosses sorties, nous avons été jusqu'à 50 ! L'adhésion est peu chère pour rendre accessible la pratique à un maximum de participantes.

Auriez-vous un conseil à donner à quelqu'un-e qui souhaiterait commencer l'escalade ?
Ne brûle pas les étapes. Avant d'être dans la performance, il faut apprécier l'art de vivre, le fait d'être dans la nature, d'être connecté-e aux éléments. Le reste viendra ensuite.

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