Marie Riou, navigatrice : "Il faudrait que l'on pense aux femmes naturellement, sans les quotas"

Multiple championne du monde, Marie Riou a embarqué aux côtés de trois autres navigateur-ice-s sur le bateau Biotherm pour une étape de The Ocean Race. L'occasion de discuter avec le "Journal des Femmes" de son sport, de sa carrière et de sa récente maternité.

Marie Riou, navigatrice : "Il faudrait que l'on pense aux femmes naturellement, sans les quotas"
© Marie Riou lors de l'Ocean Race 2023 par Anne Beaugé

Navigatrice bretonne née en 1981, Marie Riou a l'habitude de prendre la mer. Multiple championne du monde – sur 420 (un type de voilier) en 1999 et sur Nacra 17 (un modèle de catamaran) en 2013, 2014 et 2016, la sportive remporte en 2018 la Volvo Ocean Race et devient la première femme, aux côtés de ses deux autres coéquipières, à décrocher cette victoire. Cinq ans plus tard, elle participe à nouveau à cette course autour du monde, devenue entretemps The Ocean Race, sur le bateau de la marque Biotherm. Ce qui a changé en quelques années ? L'athlète a accouché de son premier enfant fin 2022. Pour le Journal des Femmes, Marie Riou revient sur son parcours, ce que cela signifie, de passer sa vie sur l'eau, et ce que cela implique, d'être une athlète doublée d'une jeune maman.

Le Journal des Femmes : À quel âge avez-vous commencé à naviguer ?
Marie Riou : J'ai commencé à faire du bateau en club, à Brest, à l'âge de 8 ans, d'abord pour le plaisir d'être sur l'eau avec mes copain-ine-s, puis dans le cadre de premières compétitions. J'ai ensuite suivi des études de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), tout en ayant, en parallèle, des projets olympiques. À Athènes, d'abord, en 2004, où j'étais remplaçante sur un dériveur en double féminin, puis à Londres en 2012 [sur un équipage à trois qui terminera à la 6ème place, ndlr], et enfin à Rio de Janeiro en 2016 avec un Nacra 17 en duo mixte.

Quand avez-vous commencé la course au large ?
Après les Jeux olympiques de Rio. Ce qui m'a entraîné à participer à la Volvo Ocean Race avec un équipage de neuf navigant-e-s, composé de sept hommes et de deux femmes. Nous avons réalisé un tour du monde avec escale [qu'iels ont donc remporté, ndlr] du 14 octobre 2017 au 30 juin 2018. J'en garde un souvenir génial. Par la suite, j'ai fait des embarquements à droite à gauche et une croisette en double avec Amélie Grassi, mon dernier engagement avant la maternité. Actuellement, je suis en pleine reprise, j'ai embarqué avec le skipper Paul Meilhat et son équipe pour The Ocean Race [anciennement la Volvo Ocean Race, ndlr]. La particularité de la team réunie par Paul Meillat sur son bateau sponsorisé par Biotherm, c'est qu'elle comprend toujours a minima deux femmes sur les quatre personnes à bord, et ce en plus de la journaliste chargée de produire du contenu sur le bateau. Une ambition de parité qui va au-delà de celle exigée par le règlement de la course, qui stipule qu'il faut au moins une femme par navire.

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Marie Riou et l'une de ses coéquipières sur le bateau Biotherm pendant The Ocean Race © Anne Beaugé

Quel est le principe de cette course ?
Ce tour du monde avec escales en équipage part d'Alicante et enchaîne ensuite le Cap Vert, Cape Town (Afrique du Sud), Itajaí (Brésil), Newport (Etats-Unis), Aarhus (Danemark), Kiel (Allemagne), La Haie (Pays-Bas) et Genève (Suisse). À chaque étape, le bateau Biotherm a changé au moins un-e membre de son équipage pour insuffler un peu de fraîcheur à bord. L'étape dans les mers du Sud a été particulièrement éprouvante, puisqu'elle a duré 36 jours et s'est déroulée dans des conditions musclées. J'ai participé, pour ma part, à la traversée reliant Itajaí à Newport.

Comment avez-vous été embarquée sur ce projet ? 
J'ai contacté le skipper, Paul Meilhat, pour savoir si son équipage était complet. Il m'a d'abord répondu que je pouvais les rejoindre sur la dernière étape. Finalement, Paul m'a appelé à dix jours de la quatrième étape pour me proposer de les retrouver à Itajaí. J'ai demandé 24 heures de délai avant de donner ma réponse, pour réfléchir à l'organisation que cela demandait, vérifier avec mon compagnon qu'il pouvait s'occuper de notre enfant de huit mois pendant cette période, etc. C'était le cas, donc l'aventure a pu débuter.

Comment s'est passée l'arrivée au sein de l'équipage ?
Sur le bateau, la team doit toujours être composée de 4 ou 5 personnes. En plus de Paul Meilhat, le skipper français, la team Biotherm comprend en alternance la Portugaise Mariana Lobato, les Français-es Amélie Grassi, Anthony Marchand, Damien Seguin, Anne Beaugé (la journaliste) et Ronan Gladu, le Chinois Minghao Zhang, ainsi que les Britannique Alan Roberts et Samantha Davies. La voile est un petit milieu, donc même si je n'avais jamais navigué avec les autres membres de l'équipage, nous nous étions déjà croisé-e-s, nous avions déjà discuté. Quatre jours avant le départ, nous nous sommes retrouvé-e-s pour naviguer ensemble, puis nous avons fait connaissance tout au long de l'étape. À bord, nous avions un système de quart : toutes les trois heures, nous devions être sur le pont, avec un-e autre membre de l'équipage en décalage d'une heure et demie. Les trois heures pendant lesquelles nous étions off servaient à récupérer et dormir. C'était aussi le moment pendant lequel on prenait le temps de discuter. On parlait de performance, de stratégie, mais aussi d'un peu tous les sujets, on se découvrait. De manière générale, pendant une traversée, s'il y a des personnes qui nous énervent, ce n'est pas un problème, le voilier est grand et on arrive à faire avec. Mais en l'occurrence, pendant les 18 jours que j'ai passé sur le bateau Biotherm, l'ambiance était super chouette, d'autant qu'au début, les conditions étaient plutôt légères, donc la vie à bord était très simple. À deux jours de l'arrivée, en revanche, nous avons connu une grosse dépression.

Pouvez-vous nous décrire le déroulé de l'étape ?
Nous avons pris un super départ, mais ce n'est pas évident de rester pendant 18 jours en tête de course. Le long du Brésil, nous étions au contact avec les cinq bateaux, donc c'était super, il y avait du jeu. Puis, nous avons passé la zone de l'Équateur, qui est une zone sans vent également appelée "le poteau noir". Nous sommes resté-e-s bloque-é-s pendant huit heures sous un nuage sans bouger, alors que les autres bateaux avaient réussi à s'échapper. Nous avons essayé de cravacher pour les rattraper à la fin de l'étape et nous avons finalement terminé à la troisième place [sur cinq, ndlr].  Pendant cette étape, l'un des bateaux a dématé au large de Rio et a abandonné, puis un autre a cassé. Donc certes, nous avons fini troisième, mais malgré des avaries mineures, le navire est arrivé à bon port et en bon état, ce qui était l'objectif de l'équipe.

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Marie Riou sur le pont lors de la course The Ocean Race © Anne Beaugé

À quoi ressemble une journée à bord ?
Elles ne sont jamais identiques. Il peut y avoir une manœuvre pendant notre quart, ou bien l'on doit changer une voile. Dans ce cas, on est tous les quatre sur le pont pour aller plus vite. Celleux en vigilance regardent les classements qui tombent toutes les heures, suivent les concurrents, établissent la stratégie, récupèrent les fichiers météo du matin ou du soir…

À quoi pense-t-on, pendant tout ce temps passé en mer ?
On laisse les pensées divaguer en regardant les couchers de soleil, en assistant à des moments magnifiques… C'était la première fois que je laissais ma fille aussi longtemps depuis sa naissance, donc régulièrement, je me demandais ce qu'elle et son père faisaient par exemple. D'autant que lors des trois heures de repos, on ne dort pas vraiment. Les conditions, à bord, sont dures, donc même si on est fatigué-e-s et que l'on s'endort tout de suite, on est souvent réveillé-e-s. Et on pense à la vie sur terre, on se demande ce qu'il s'y passe. Je réfléchis aussi souvent à la chance que j'ai. Mon métier est ma passion, j'ai la chance d'être embarquée sur des bateaux de haute technologie, qui vont très vite, donc je profite un maximum.

Comment vous êtes-vous préparée physiquement et mentalement à cette traversée ?
Je suis en reprise, c'est ma première traversée depuis la naissance de ma fille, donc j'avais recommencé à m'entraîner physiquement. Je pratique un peu les sports de glisse, de la planche à voile, du surf, du wingfoil, en parallèle de trainings réguliers. Des footings, du vélo, du gainage, à ne pas négliger parce que les positions ne sont pas très confortables et que l'on a vite mal au dos à bord. Un peu de bras, aussi, pour pouvoir manœuvrer. Mais j'étais loin d'être à 100 % lorsque j'ai embarqué. Au début, j'ai pensé : "Oh la la, est-ce que ce n'est pas un peu trop tôt ?", mais au fur et à mesure, j'ai repris mes marques sur le bateau. Physiquement, j'étais à mon minimum. C'était dur, parce que je pensais : "Les autres sont prêt-e-s, mais toi tu es plus faible". Sauf que l'on formait une équipe et que les autres membres étaient toujours là pour m'aider. Il ne faut pas oublier qu'en voile, c'est important d'être fort-e physiquement, mais il y a différents facteurs de performance.

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Marie Riou et le reste de l'équipage Biotherm © Anne Beaugé

Question pratique : comment est-ce que ça se passe quand on a ses règles à bord ?
Généralement, on se pose la question avant. Certaines personnes prennent la pilule en continu, d'autres se font prescrire des pilules qui ne donnent pas de règles, bref, on s'organise. La vie sur un bateau est très sommaire. Pour faire ses besoins, on dispose d'un seau et d'un pisse-debout…

Vous avez accouché il y a peu, en quoi est-ce que cela a rendu votre expérience différente ?
Peut-être que j'ai pris un peu moins de risque sur les manœuvres, sur le fait d'aller à l'avant. J'ai davantage pensé à m'attacher, à mettre mon gilet de sauvetage. Mais c'est un sentiment que j'ai dans ma vie quotidienne depuis que je suis mère, ce n'est pas seulement lié à mon métier.

En tant que sportive, comment avez-vous envisagé cette maternité ?
Lorsque j'avais des projets olympiques, ce n'était pas simple d'envisager d'avoir un-e enfant, parce que la pratique sportive demande énormément de temps : je passais 200 jours par an hors de la maison. Avec mon compagnon, après de nombreuses discussions, nous avons pensé que le moment était venu. Mais, ce n'est pas une décision simple, parce que cela demande de faire une pause de 12 à 18 mois. D'autant que désormais, j'embarque en tant qu'équipière, je n'ai pas de sponsors ou de projets, c'est à moi de démarcher les skipper-euse-s. Donc, lors d'un arrêt aussi long, on se demande si on va nous oublier, si on va avoir d'autres opportunités…  

De manière générale, au long de votre carrière, comment était-ce d'être une femme dans un univers très masculin ?
La chance que l'on a, en voile, c'est qu'il existe beaucoup d'épreuves mixtes ou de règles qui imposent des femmes dans les courses. Mais c'est à double tranchant. D'un côté, c'est ce qui m'a permis de participer à la Volvo Ocean Race en 2018. D'un autre, il faudrait que l'on pense aux femmes naturellement, sans ces quotas. J'ai fait mes preuves, je mérite ma place, je suis une navigatrice au même titre que n'importe quel homme est un navigateur. C'est justement le discours de Paul Meilhat, qui embarque autant d'hommes que de femmes sur The Ocean Race.

Quels sont vos prochains objectifs sportifs ?
Je suis embarquée sur un projet 100 % féminin, The Famous Project, qui fera une tentative de record de tour du monde en équipage, mené par Alexia Barrier. Nous partirons en 2025 de Brest, sur un multicoques qui a pour objectif de boucler le voyage en moins de 40 jours. C'est un projet génial : naviguer avec une équipe de nanas sur des bateaux qui vont hyper vite…

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