Devenir mère sans sa mère : comment surmonter l'épreuve ?

Coralie* a appris qu'elle était enceinte de son premier enfant, trois mois après avoir perdu sa mère, décédée d'un cancer. Entre joie et bonheur, douleur et tristesse, elle nous confie comment elle vit cette première grossesse si particulière. La psychologue Isabelle Pailleau nous livre également ses conseils pour appréhender l'arrivée d'un enfant en l'absence d'un parent.

Devenir mère sans sa mère : comment surmonter l'épreuve ?
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Etre enceinte de son premier enfant, s'apprêter à devenir mère, est une nouvelle étape de la vie, si merveilleuse, que l'on a hâte de partager cet heureux événement avec ses proches, et plus particulièrement avec sa propre mère. Coralie, âgée de 35 ans, est tombée enceinte, à peine trois mois après avoir assisté à l'enterrement de celle qui l'a mise au monde. "C'est à elle que j'aurai aimé annoncer ma grossesse en premier, et ne pouvoir lui dire qu'elle deviendrait grand-mère a été très difficile", nous confie la future maman qui a passé deux bonnes heures à pleurer avant de partager cette heureuse nouvelle avec son père et son frère. Entre le bonheur de porter la vie, la douleur du deuil et les hormones, les émotions sont particulièrement difficiles à gérer en l'absence de l'un des parents. Mais toutes les grandes étapes de la grossesse, la naissance ou encore les premières avancées de bébé marqueront forcément un manque, une nostalgie, explique Isabelle Pailleau, psychologue et auteure de l'ouvrage "J'élève mon enfant du mieux que je peux" aux éditions Eyrolles. Témoignage et conseils de psy pour surmonter cette épreuve enceinte.

Comment vivre sa grossesse sans sa mère ?

"Il est important de travailler son deuil et ne pas hésiter à consulter un psychologue pendant la grossesse (...) Il faut aussi se dire que l'on s'inscrit dans une lignée de femmes qui a donné la vie et qui va continuer à donner la vie". La spécialiste recommande également de se rapprocher d'une personne "faisant fonction"il peut s'agir d'une tante, d'une amie ayant eu des enfants, d'une soeur". Cela peut aussi concerner certaines futures mamans qui estiment que leur mère ne remplit pas leur rôle, et qui préfèrent s'en éloigner au moment de la naissance. "L'essentiel, c'est d'être reconnue par une autre femme à qui l'on peut attribuer symboliquement des fonctions maternelles pour qu'elle nous regarde comme étant devenue mère à notre tour", explique Isabelle Pailleau. Le tout est donc de ne pas s'isoler en pensant que l'on est seule sans personne pour nous aider, mais de créer du lien.

Deuil et hormones de grossesse : comment gérer ses émotions ?

Pour Isabelle Pailleau, gérer ses émotions en plein deuil et enceinte est totalement impossible : "on ne gère rien du tout". Selon elle, "on se laisse traverser par la tristesse et le chagrin, un travail de deuil plus ou moins long doit être fait". Elle recommande d'être accompagnée dans ces moments pour ne pas trop sombrer. "Mais même accompagnée, il y a un chagrin à traverser et une perte à digérer, qui peut prendre du temps" prévient-elle. Il ne faut pas non plus hésiter à pleurer, à évacuer si l'on en ressent le besoin. Il faut accepter que la perte d'un proche est une épreuve douloureuse, tout en acceptant le bonheur d'accueillir un nouvel être. "Ce sont des femmes qui vont être tiraillées entre deux choses : la joie de devenir maman et la tristesse d'avoir perdu leur mère. Ainsi, dans la même journée, on peut être infiniment triste et absolument heureuse et pleine de gratitude pour l'enfant qui arrive ou qui vient de naître".

Quel est le risque de baby blues ou de dépression post-partum ?

"Le baby blues et la dépression post-partum n'épargnent pas beaucoup de femmes, et seront peut-être encore plus forts si l'on n'a pas sa mère autour de soi" reconnaît la spécialiste. D'autant plus si l'on perd sa mère durant sa grossesse puisqu'on va à la fois donner la vie en venant de perdre une vie d'une personne qui nous est chère. "Ce double mouvement "perdre et donner la vie" est très difficile et concerne n'importe quelle perte d'un proche pendant la grossesse", ajoute Isabelle Pailleau.

La question du baby blues est bien évidemment hormonale mais elle est aussi liée à une question de responsabilité. "Tout à coup, on est responsable d'un petit être qui compte sur nous et on a la sensation d'être incapable car on ne sait pas comment s'y prendre, et le bébé qu'on imaginait tout doux et calme s'avère hurler énormément... Résultat : on doit faire face à la réalité entre ce qu'on s'était imaginé et ce qui arrive". Dans une telle situation, pour certaines femmes qui ont été accompagnées et guidées par leur mère depuis leur enfance, qui ont vécu avec une figure maternelle très forte, la difficulté est renforcée si la mère n'est plus là. A l'inverse, les femmes ayant perdu leur mère sans en avoir été proches, "vont se construire autrement, puisqu'il n'y avait pas de lien d'attachement avant".

Quelles sont les étapes les plus difficiles à surmonter pendant la grossesse ?

Pour Coralie, aujourd'hui enceinte de 5 mois, tout a commencé avec l'annonce de grossesse, qu'elle n'a pu partager avec sa maman, qui était sa principale confidente. "Chaque nouvelle étape de ma grossesse est une épreuve. Par exemple, lorsque nous avons appris le sexe du bébé. J'ai angoissé et pleuré plusieurs jours avant notre rendez-vous chez l'échographiste, car au fond, j'espèrais être enceinte d'une petite fille, simplement pour pouvoir lui rendre hommage en lui attribuant l'un de ses prénoms Rose ou Myriam en deuxième prénom. Mais j'ai finalement été très heureuse lorsque le spécialiste nous a annoncé qu'il s'agissait d'un petit garçon" nous raconte la future maman. "La grossesse se déroule bien, et je suis globalement très heureuse, mais parfois, de simples pensées me plongent dans une immense peine. Comme le fait de se dire qu'à la naissance, elle ne pourra jamais le porter dans ses bras, ou que mon fils ne connaîtra sa grand-mère qu'à travers nos récits et des photos de famille, est un déchirement", ajoute Coralie.

Et après la naissance de bébé ? 

Au moment de la naissance, pour le premier anniversaire de l'enfant, ses premiers pas... "Certaines étapes que l'on aurait aimé partager" resteront des moments à la fois heureux et nostalgiques. "J'aurai aimé que ma mère voit mes filles, qu'elle voit mon enfant marcher, etc" sont des phrases qui viendront rappeler le manque. Même chose pour les futurs parents qui ont perdu leur père... De manière générale, on s'attend à perdre nos parents à un âge avancé, quand nos propres enfants sont adultes. 

De quelle manière lui rendre hommage et en parler à son enfant ?

Pour la spécialiste, donner le prénom d'une personne défunte, "c'est aussi faire porter un poids qui est très lourd, ce n'est pas neutre et il faut le faire très en conscience", précise-t-elle. "On peut le faire plus tard, lorsque les choses sont plus apaisées" propose-t-elle. Il y a surtout d'autres façons de rendre hommage à un parent qui nous a quitté : planter un arbre par exemple. "On peut expliquer à son enfant qu'il s'agit de l'arbre de sa mamie, qui n'a pas pu être là, qu'elle n'a pas vécu assez longtemps pour le connaître, mais elle est bien là. On peut aussi créer un album photos, et surtout parler de l'absente pour continuer à la faire vivre dans notre souvenir. Quant à l'âge de l'enfant, il est possible de commencer très tôt à lui en parler, "en l'intégrant de manière naturelle dans la conversation, en lui racontant son histoire, en lui montrant des photos de nous enfant, à ses côtés. On va ainsi faire vivre la lignée familiale de cette façon-là" conseille Isabelle Pailleau.

*Le prénom a été modifié. Merci à Isabelle Pailleau, psychologue, dirigeante de la Fabrique à bonheurs et auteure de l'ouvrage "J'élève mon enfant du mieux que je peux" aux éditions Eyrolles.
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