Capricieux, manipulateur, jaloux…Et si on arrêtait d'interpréter les comportements de nos enfants ?

Non, un enfant n'est ni jaloux, ni capricieux, ni manipulateur ! Cette fâcheuse tendance à interpréter les comportements des enfants porte un nom : l'adultomorphisme. Qu'est-ce que ça signifie au juste ? Explications avec Héloïse Junier, psychologue.

Capricieux, manipulateur, jaloux…Et si on arrêtait d'interpréter les comportements de nos enfants ?
© pingpao-123rf

L'adultomorphisme désigne cette tendance que nous avons, nous les adultes, à interpréter les comportements des jeunes enfants comme s'ils étaient des adultes miniatures, donc comme s'ils avaient un cerveau adulte, des pensées d'adulte, un raisonnement d'adulte, des intentions d'adulte. "On oublie qu'ils ont un cerveau profondément immature ! Plein de mots découlent de cet adultomorphisme : on va dire que l'enfant est jaloux, capricieux, sadique (je l'ai déjà entendu en crèche !), manipulateur, espiègle, calculateur, comédien. Or, tous ces qualificatifs se rattachent à l'adulte et non au jeune enfant !", argue Héloïse Junier, psychologue et spécialiste du sujet.

Dans quels cas parle-t-on d'adultomorphisme ?

L'adultomorphisme peut se manifester dans de nombreuses situations du quotidien. Par exemple, si un enfant regarde l'adulte dans les yeux en faisant quelque chose d'interdit (comme monter sur la table basse), l'adulte va penser que l'enfant est provocateur. C'est ce que l'on pourrait appeler une illusion "cognitive". Cela n'est pas le cas. "L'enfant est programmé pour grimper sur les objets volumineux, notamment ceux qui incluent une plateforme, ce qui est le cas de la table. On sait également qu'il manque d'inhibition, c'est-à-dire qu'il a du mal à se contrôler et à suivre systématiquement les consignes des adultes. L'enfant monte donc sur la table, spontanément. Non pas pour embêter l'adulte, mais parce qu'il s'agit donc d'un comportement pour lequel il est prédisposé", développe la psychologue de l'enfance.

Autre cas de figure, un enfant qui arrête de pleurer dès qu'on le prend dans les bras n'est pas "capricieux", il exprime simplement son besoin de recevoir de l'attention et d'être rassuré. De la même manière, quand un enfant mord un de ses camarades qui s'intéresse à son jouet, il n'est pas "jaloux", il exprime sa frustration. L'enfant n'est pas non plus "manipulateur", il ne dispose pas des capacités neurologiques nécessaires pour amener un adulte à faire ce qu'il souhaite. 

En quoi cette tendance est-elle néfaste pour le développement de l'enfant ? 

Le souci de l'adultomorphisme est qu'il donne lieu à de mauvaises interprétations du comportement de l'enfant, à un mauvais décryptage. Le plus souvent, les interprétations sont négatives, c'est-à-dire que l'on va attribuer à l'enfant des intentions négatives, malveillantes. Or, si l'on pense que l'enfant veut nous nuire, qu'il a fait exprès de faire cette action pour nous embêter, qu'il nous manipule, nous provoque, on risque d'être beaucoup plus agressif à son égard. "Dans ce sens, l'adultomorphisme favorise les violences à l'égard de l'enfant", commente notre interlocutrice. 

Comment ne pas mal interpréter le comportement de nos enfants ?

Il est difficile de ne pas interpréter le comportement de nos enfants. Car, même quand on a conscience que l'enfant n'est pas en capacité de raisonner comme un adulte, on tombe dans le piège. "Le plus souvent, je conseille aux familles de se répéter - lorsqu'ils sont face à leur enfant qui a un comportement inadapté - les phrases suivantes : "Il fait ce qu'il peut, il n'a que 3 ans" ou encore "Il ne fait pas ça contre moi, il n'a que 3 ans". Mais, aussi, faut-il ne pas être dépassé par notre propre colère à l'instant T, ce qui n'est pas simple non plus ! ", préconise Héloïse Junier.

Merci à Héloïse Junier, psychologue de l'enfance, docteure en psychologie et co-autrice de la BD "Ma vie d'enfant" (Dunod, 2023)
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