"J'ai fait une fausse couche en plein confinement"

Julie et son mari souhaitaient un deuxième enfant. Après deux interruptions médicales de grossesse, ils se lancent dans leur "bébé de la dernière chance". Mais la deuxième échographie révèle une fausse couche.

"J'ai fait une fausse couche en plein confinement"
© Alexander Korzh

Julie et son mari sont parents d'une petite fille de cinq ans. Mais leur chemin vers la parentalité a été un véritable parcours du combattant. Après deux interruptions médicales de grossesse pour cause d'anomalie génétique chez le bébé, le couple s'est tourné vers une autre option pour agrandir la fratrie. La jeune femme raconte ce "bébé de la dernière chance", perdu dans le tourbillon d'une fausse couche lors du premier confinement"Mon mari et moi sommes porteurs d'une mutation génétique non identifiée. A deux reprises, je suis tombée enceinte et l'échographie a révélé une maladie chez mes bébés. Ces deux fois, j'ai du m'orienter vers une interruption médicale de grossesse et faire un deuil périnatal après avoir donné naissance à mes enfants sans vie. Nous n'avons pas lancé les examens pour connaître le nom de cette mutation génétique dont nous sommes porteurs, c'est très long et nous voulions concevoir à nouveau. Comme nous avons une chance sur quatre d'avoir un bébé malade, nous avons fait le choix d'une PMA (procréation médicalement assistée) avec don de gamète, pour casser notre spirale infernale. Je me disais : peu importe qu'il ait mes gènes, tant que je porte ce bébé. Notre lien allait se créer naturellement, in utero.

A la seconde où je vois mon bébé à l'écran, je comprends

Nous sommes donc allés en Espagne pour cette PMA, car les délais en France sont extrêmement longs. Entre 3 et 5 ans en moyenne, dans la mesure où notre pays manque de donneurs et de donneuses. On a fait ce voyage à Barcelone pour cette dernière option de grossesse. Je savais, en y allant, que si cela ne fonctionnait pas, je m'arrêterai là. Nous avons été pris en charge rapidement. Notre premier rendez-vous était en mai 2018, en décembre 2019 j'étais implantée. Entre deux, les piqûres, ovules et comprimés hormonaux ont permis à mon corps d'être prêt à recevoir ce don. A Noël dernier, j'étais enceinte. Je savais que cette grossesse allait être angoissante, notre historique de deuil périnatal nous a appris que tout peut arriver. Sur cette anxiété s'invite le coronavirus... 

Alors que la situation explose en Europe, je suis déjà arrêtée car très malade. J'ai des nausées intenses, mais je me dis que c'est bon signe. Nous nous rendons à l'échographie du premier trimestre qui s'avère positive. L'échographiste nous rassure tout de suite : "Cette fois-ci, on remet les compteurs à zéro, il y a peu de risques d'une maladie génétique, tout va bien." Mais je demande à avoir une échographie poussée chaque mois, contre trois échographies pour une gestation classique. A la suite de ce premier examen, la France est confinée. Je suis dans mon 4ème mois de grossesse, lorsque je me rends à l'échographie suivante. J'ai déjà senti mon bébé bouger, mais depuis quelques jours, je ne sens plus rien. Je ne m'alarme pas, car je sais qu'à ce stade il est courant de ne rien sentir. Mon mari n'a pas le droit de venir avec moi à cause du protocole sanitaire, il ne peut même pas m'attendre dans la salle d'attente. J'y vais donc seule. A la seconde où l'échographiste pose la sonde sur mon ventre, je comprends qu'il y a un problème. Sur l'écran géant de contrôle, mon bébé ne bouge pas, les lumières sur la machine ne clignotent pas. J'ai l'habitude des échos qui se passent mal... Je vois qu'il n'y a pas d'activité cardiaque et que mon enfant est mort. Cela fait au moins une semaine qu'il a perdu la vie, selon le professionnel, qui m'informe que je fais une fausse couche. Une première pour moi. 

"L'échographiste veut me faire accoucher"

J'apprends qu'il existe plusieurs types de fausses couches. Soit le corps comprend que le fœtus n'est plus en vie et l'évacue naturellement. Soit l'organisme ne le comprend pas et garde le bébé inerte. Il faut alors procéder à un accouchement ou à une intervention chirurgicale, qu'on appelle un curetage, sous anesthésie générale. L'échographiste veut me faire accoucher. J'ai déjà vécu ça deux fois et je ne m'en sens pas la force, je suis effondrée. Il appelle ma gynécologue. Je les entend se disputer au téléphone, elle s'oppose à une énième délivrance sans vie pour moi et insiste pour un curetage. Je suis seule dans la salle, je pleure et je les entend s'affronter. Ce moment est délirant. Mais ma gynécologue obtient gain de cause. Nous sommes au tout début du confinement et elle ne peut pas venir s'occuper de moi à la maternité. Je m'y rends donc pour rencontrer l'obstétricien de garde. L'hôpital, qui se prépare à accueillir des patients atteints du Covid-19 est littéralement désert. Seule une femme enceinte attend avec moi. Elle est effondrée parce que sa sage-femme a oublié son rendez-vous. Cette rencontre est très douloureuse pour moi. J'attends plusieurs heures, je tombe sur un anesthésiste qui ne m'explique les choses qu'à moitié. Il me bâcle. C'est ma première anesthésie générale et je ne sais même pas qu'il faut arriver à jeun. Je suis terrifiée. De son côté, l'obstétricien est très mal à l'aise face à ma situation, il me traite comme si j'étais une bombe sur le point d'exploser. A la fin de ce cycle infernal de consultations, on me renvoie chez moi pour 48 heures avec un médicament à prendre pour préparer mon corps au curetage. 

Dire au-revoir à son bébé, seule, à cause du confinement 

Je suis extrêmement malade à cause de ces comprimés. Nous annonçons à notre fille que nous avons perdu le bébé. Pendant ces deux jours, je m'interroge : ai-je fait un mouvement qui l'a tué ? Mangé quelque chose qu'il ne fallait pas ? Pourquoi je ne me suis pas alertée plus tôt ? Comme on est en pleine psychose coronavirus, je me demande si je ne l'ai pas attrapé...  Je me rends à l'hôpital, toujours seule. Mon mari n'a toujours pas le droit de m'accompagner, il doit m'attendre sur le parking. Une de nos amies brave le confinement pour venir garder notre fille. L'équipe médicale me rassure et m'accompagne bien dans cette épreuve. Après l'intervention, j'apprends que mon bébé devait être mort depuis quelques temps car une infection s'est développée. Malgré un caryotype et un bilan infectieux, on n'a jamais su ce qui s'était passé. J'ai commencé à voir un psy qui m'a permis de comprendre que j'étais en état de stress post-traumatique. Durant le reste du confinement, j'ai commencé à faire mon deuil, avec difficulté tout de même. Comme ma fille n'allait pas à l'école, je ne pouvais pas m'accorder de vrais moments de tristesse. Je me cachais lorsque j'étais submergée. J'ai commencé à aller mieux lorsqu'elle a repris l'école et que j'ai eu le temps de vivre ce dernier deuil périnatal."