Mamans en prison : de l'importance de la communication Trois questions à Christiane Taubira, Ministre de la Justice

Vous semblez émue par les témoignages poignants. Qu'est-ce que vous en retenez ?

christiane taubira, ministre de la justice, a été touchée par le sujet.
Christiane Taubira, Ministre de la Justice, a été touchée par le sujet. © Luigi Mistrulli/ Sipa Pre/SIPA

Christiane Taubira : Les établissements qui sont présentés sont des établissements que je connais bien, de l'intérieur, puisque j'y suis allée plusieurs fois. Les situations particulières, on en connait quelques-unes, on les suppose aussi. Moi je pense, vraiment, que ce qu'il y a en plus, très nettement, dans ce film, c'est d'abord sur la forme et sur la méthode. Le temps qui est pris, y compris pour présenter des silences, qui donne du relief à une détresse, qui frappe les femmes détenues ou juste libérées, qui frappe aussi leur entourage, c'est-à-dire leurs enfants. D'ailleurs l'angle privilégié pour ce film, c'est le ressenti des enfants, l'absence de perspectives, les interrogations, les angoisses et la vie, le parcours de ces enfants. Il y a de très beaux portraits d'enfants. Je pense à Alexandrine et à ce petit garçon aussi, cette petite fille dont on se demande quelles questions elle posera dans cinq ans ... Donc c'est un film qui a cette qualité-là, qui a cette valeur ajoutée considérable. Et puis, c'est un film qui rappelle que les histoires de prison sont des histoires humaines, sont des histoires personnelles, que chaque histoire est singulière. Par conséquent, il nous faut avoir le courage d'avoir un regard sur la singularité de chacune et nous défaire un peu de ces oripeaux de jugements que nous nous sentons, chacun, autorisé à porter. Il y a, dans une démocratie, une institution judicaire qui juge, c'est son rôle et c'est tout. Le reste, cela relève de la façon dont on sait vivre ensemble, la manière dont on n'écrase pas celui qui est déjà à terre, celle de tendre la main pour que celui qui a vacillé, celle qui a vacillé en l'occurrence, puisse se remettre debout et retrouver son propre chemin et le tracer.

Il y a une surveillante qui ne répond pas à la question "est-ce que c'est bien, judicieux, d'avoir des enfants en détention", vous-même, quel regard vous portez sur la maternité en détention ?
La réponse n'est pas simple. C'est une interrogation qui traverse plusieurs pays européens. J'ai des échanges avec l'Italie, les Pays-Bas, la Suède. La Suède est un pays qui a une pensée sociale très construite sur la punition, sur la peine et l'incarcération. Les pays Scandinaves en général, et la Norvège aussi, sont des pays qui, depuis longtemps, près de 20 ans, ont accepté la peine en milieu ouvert, donc la peine, la sanction qui s'exécute dans la société. Mais, cette maternité en détention est un vrai sujet. Il me parait, à priori aussi impitoyable de séparer un enfant de sa maman dès la naissance que de maintenir ces enfants dans un lieu clôt, limité pendant 18 mois et de différer cet arrachement, ce déchirement. Il n'y a pas de solution idéale et on comprend le malaise de cette surveillante, qui est, à la fois, d'une grande humanité et d'un grand professionnalisme. Et tout ça, ça peut se concilier, en effet.

Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a rendu un rapport recommandant des suspensions ou des aménagements de peines pour les mères détenues ayant un enfant de 18 mois ou moins en septembre. Le dossier a-t-il avancé ?
Le rapport et la réponse ne sont pas encore publiés, il vous faut patienter un petit peu. Je fais des réponses très circonstanciées à toutes les requêtes, recommandations ou observations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Notre CGLPL est de très grande qualité professionnelle et humaine, et c'est une institution essentielle pour nous assurer que la prison reste une institution républicaine et donc un lieu qui est contrôlé par l'état de droit. Maintenant, le sujet est difficile, comme le sujet du téléphone est difficile. Il y a des personnes, par exemple, qui sont sur la position qu'il ne faut pas enfermer les mamans. Mais, qu'est-ce qu'une société peut entendre si on lui dit que l'on n'enferme pas du seul fait de la qualité de maman. Déjà, si la société accepte d'entendre qu'il y a une complexité sur ces sujets, nous arriverons à construire des solutions les plus ajustées, les plus subtiles, les plus efficaces possibles. Mais, il faut d'abord accepter la complexité du sujet, si on ne fait pas ça, on endoctrine et on empoisonne la réflexion des uns et des autres sur des prétendues solutions simples qui ne fonctionnent pour personnes et nulle part.

Interview réalisée avec France Info.

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