"C'est super l'école différente, j'ai hâte d'y retourner"
Entre enthousiasme, appréhension et colère, parents, enfants et enseignants nous racontent leur rentrée après deux mois d'interruption.
Plus d'un millions d'écoliers, élèves de maternelle et d'élémentaire ont repris le chemin de l'école cette semaine. Une rentrée sous haute surveillance, avec un impératif de sécurité sanitaire absolue, après près de deux mois d'interruption en raison de la pandémie de Covid-19.
Remettre ou non les enfants à l'école, un choix difficile pour les parents
Pour les parents, cette rentrée hors-norme était aussi attendue que redoutée. Rares sont ceux à avoir décidé de remettre leurs enfants à l'école sans peser longuement le pour et le contre. Marie, maman d'une petite fille de 8 ans, a choisi de garder sa fille avec elle : "Nous vivons dans une région qui a été très durement touchée par le coronavirus et je n'ai pas l'impression que tout ça soit vraiment derrière nous. J'ai confiance en l'école, je sais que tout a été mis en place, mais je suis plus tranquille de savoir ma fille à la maison". D'autres parents qui auraient souhaité remettre leurs enfants à école n'en ont finalement pas eu la possibilité, faute de places disponibles. "On avait prévenu notre fils qu'il retrouverait ses copains aujourd'hui, et puis finalement, il y a eu un changement de dernière minute dans l'organisation des classes. Mon fils a donc dû rester à la maison... Cette rentrée a un goût amère pour lui et pour moi", explique Sybille, maman de deux enfants âgés de 4 et 9 ans.
"La maîtresse avait très chaud sous son masque". Lucien, 7 ans et demi
Paule et son compagnon espéraient que leurs deux enfants retourneraient à l'école aujourd'hui. Finalement seul Lucien, 7 ans et demi, a pu faire sa rentrée des classes. Après de longues semaines passées à la maison, le petit garçon était ravi de retourner à l'école. "Il s'est levé de très bonne humeur. En arrivant à l'école, j'ai trouvé que l'ambiance n'était pas anxiogène. Je l'ai laissé sereinement.", explique Paule. Son école primaire étant classée REP+, les effectifs y sont déjà réduits, mais Lucien ne s'attendait pas à retrouver si peu de camarades : "on nous avait prévenu qu'ils seraient 6 en classe et finalement ils n'étaient...que deux !" raconte sa maman. En rentrant pour déjeuner, le petit garçon était enthousiaste, heureux que la maîtresse soit très disponible pour s'occuper d'eux : "elle avait très chaud sous son masque et aurait bien voulu l'enlever... Mais elle ne pouvait pas", raconte Lucien. "Pendant la récréation on a fait des ombres chinoises et j'ai aussi jouer avec la toupie que j'avais eu le droit d'apporter", ajoute-t-il. Une matinée d'école (presque) comme les autres et un véritable crève-cœur pour Louise, sa grande sœur de 10 ans et demi. La fillette a tenu a accompagner sa maman pour aller chercher son frère. "Elle avait envie de savoir qui il avait croisé, s'il avait vu des 'grands' de CM2. C'est vraiment dur pour elle.", confie Paule.
Distanciation sociale, lavage des mains régulier, les élèves ont dû apprendre à composer avec une nouvelle forme de normalité. "C'est son monde, même si ce n'est plus le même monde. Il y a ces repères.", observe Paule. La maman de Louise et Lucien se félicite aujourd'hui d'avoir pris la décision de remettre son fils à l'école, après avoir beaucoup douté. "On verra comment ça se passe dans les jours à venir, mais je crois vraiment qu'on va s'en sortir tous ensemble, en étant solidaires.", conclut-elle.
"C'est super l'école différente, j'ai hâte d'y retourner", Philomène, 5 ans
Ce jeudi 14 mai a aussi marqué le jour de la reprise pour Philomène, 5 ans, élève de moyenne section. "Elle était très contente d'y retourner, elle qui pendant ces deux mois n'a presque jamais parlé ni de l'école, ni de ses camarades", explique Hellen, sa maman. En arrivant devant l'établissement, mère et fille ont découvert en espace très quadrillé, avec un marquage au sol pour sécuriser la circulation. "Sur le moment j'ai senti monter en moi une bouffée de stress, face à cet environnement tout à coup si austère et étrange. Mais voir l'ATSEM et la maîtresse si joyeuses, accueillantes et enthousiastes m'a rapidement rassurée."
Tout a long de la journée, Hellen a reçu des vidéos et des photos envoyées par l'enseignante de sa fille : "J'ai pu voir l'intérieur de la classe et le grand sourire de ma fille ! Les enfants avaient chacun leur matériel dans une poche en plastique posé sur la table. Je sais qu'ils ont fait du coloriage, chanté la comptine des gestes barrières et fait du sport dans la cour de récréation", explique-t-elle. Les images des enfants à la cantine, très éloignés les uns des autres sur de grandes tables, lui ont en revanche serrées le cœur. Philomène quant à elle, n'a pas semblé le moins du monde perturbée par ces changements. En rentrant de l'école, la petite fille n'a pas caché son enthousiasme : "C'est super l'école différente, j'ai hâte d'y retourner. Mais j'ai aussi hâte que le coronavirus se dégage pour que je retrouve ma classe au complet parce que la salle elle est vraiment trop vide."
Du côté des enseignants, entre joie et colère
Pour les enseignants, après deux mois de classe à distance, la fatigue et l'inquiétude étaient palpables ce matin. Et la joie immense de retrouver leurs élèves n'est pas parvenue à apaiser la colère qui anime bon nombre d'entre eux. Mathilde, maîtresse de CP, est très amère face au double discours du ministère de l'Education. "Il y a la communication et il y a la réalité du terrain. explique-t-elle. Parce qu'il faut aussi composer avec les capacités matérielles et humaines des communes." Mathilde, dont tous les petits CP sont gardés par leurs parents, doit finalement prendre en charge une classe de niveaux différents. "Je me retrouve "pionne" d'une étude surveillée de CE2-CM1-CM2. Sept enfants qui ne pourront pas bouger de leur chaise si ce n'est 15 min deux fois par jour". L'enseignante et ses collègues espéraient pouvoir retrouver un semblant de normalité et renouer le dialogue avec leurs élèves, il n'en est rien. Pire, pour Mathilde, cette situation accroît encore les inégalités entre les élèves. "Quand le ministère dit que cette reprise est nécessaire pour assurer le retour des décrocheurs, c'est faux ! Nos élèves les plus en difficulté (tous niveaux confondus) ne reviennent pas. Les volontaires étaient les premiers de la classe, ceux à qui l'école manque car ils y connaissaient le succès. Les gamins qui y étaient en difficulté, voire en échec, ont tout fait pour ne pas y revenir."
En plus de ses heures de cours, l'enseignante va devoir assurer le suivi à distance de sa classe de CP. Difficile voire impossible à gérer pour cette maman de trois enfants qui n'ont, eux, pas repris l'école. Ses élèves lui manquent, et eux aussi lui sont très attachés. Alors elle promet de faire régulièrement des visios : "Je ne veux pas que mes élèves se sentent abandonnés par leur maîtresse. Mais cela va me demander des efforts démentiels...."
Parmi les enseignants, rares sont ceux à vivre une rentrée sereine. Patricia, maîtresse de CE2 en région parisienne, partage le sentiment de Mathilde. "Je suis triste de cette situation, déjà épuisée nerveusement. Car il ne faut pas oublier que pèse sur nos épaules un poids énorme", explique-t-elle. Pour l'heure, l'enseignante se focalise sur ses élèves, qu'elle a retrouvés ce matin avec un grand bonheur. "C'est un nouveau rythme, une nouvelle organisation. Les enfants aussi sont chamboulés, mais ils s'adaptent." L'adaptation, à n'importe quel prix, définitivement le maître mot de cette rentrée hors-norme.