Juge aux affaires familiales : son rôle dans les procédures de divorce

Le rôle du juge aux affaires familiales est devenu essentiel dans le cadre des séparations ou des divorces conflictuels. Dans quels cas fait-on appel à un enquêteur social ? Comment se passe la médiation familiale ? Rencontre avec Delphine Thouillon, juge aux affaires familiales de Créteil.

Juge aux affaires familiales : son rôle dans les procédures de divorce
© Cathy Yeulet-123rf

En cas de divorce et lorsque la séparation ne se déroule pas par consentement mutuel, les parents sont dirigés vers un juge aux affaires familiales qui devra prendre des décisions, en fonction des différentes situations. Faut-il séparer l'enfant de l'un de ses parents dans son intérêt et pour le protéger, ou y a-t-il une possibilité de renouer le lien en passant par la médiation ? Quel est le rôle d'un juge aux affaires familiales ? Comment parvenir à faire preuve de discernement, notamment lorsque les enfants sont influencés par l'un des parents ? Rencontre avec Delphine Thouillon, juge aux affaires familiales de Créteil.

La juge aux affaires familiales, à l'écoute des enfants

En France, la parole de l'enfant est prise en compte depuis 1993 dans l'article 388-1 du code civil, qui permet que l'on auditionne un enfant. "Mais ce n'est que depuis 2007 que l'audition est de droit, quand l'enfant le demande", précise Delphine Thouillon, juge aux affaires familiales à Créteil. Dans ce tribunal, on estime que les enfants "sont capables de discernement" (comme le précise la loi) à partir de l'âge de 7 ans. Ainsi, lorsqu'il le souhaite, l'enfant peut écrire une lettre à la juge pour demander à être entendu. Il pourra ainsi témoigner de son quotidien et faire valoir ses souhaits. "Son point de vue est un élément du dossier, et on ne fera jamais dépendre de la parole de l'enfant nos décisions, car ce serait trop lourd de conséquences" précise-t-elle. La parole de l'enfant fait donc partie de tous les éléments qui seront pris en compte par le juge.

En cas de conflits, comment parvenez-vous à démêler le vrai du faux ?

Il peut arriver que des enfants déclarent vouloir vivre chez leur père ou leur mère, mais ils sont en réalité "manipulés" ou "influencés" par l'un des parents. S'il ne s'agit pas d'une généralité dans les cas de séparations, ces dossiers sont les plus complexes. "En règle générale, on entend ce qu'a à dire un enfant sans penser que c'est forcément la vérité. L'enfant a besoin de communiquer et d'expliquer ce qu'il vit au quotidien, mais on sait que l'audition n'est jamais neutre", explique Delphine Thouillon. Ce qui est le plus difficile ? "C'est de se dire que l'enfant est peut-être manipulé, mais si je transfère la résidence chez l'autre parent, est-ce vraiment la bonne décision et pour autant, est-ce qu'on prend le risque de chambouler sa vie ?" Au final, déterminer où l'enfant sera le mieux n'est pas toujours une évidence.

Quelles sont les conséquences d'un divorce conflictuel sur les enfants ?

De manière générale, "toute séparation est douloureuse pour un enfant, qui lui, veut voir ses parents réunis", rappelle la juge aux affaires familiales. Aussi, lorsque les parents parviennent à gérer leurs problèmes sans inclure les enfants, la douleur peut être vécue, puis dépassée. En revanche, si les parents restent dans le conflit, la situation devient alors plus compliquée. Plusieurs études ont démontré que les enfants pour lesquels le divorce était très conflictuel ont des difficultés scolaires, certains sont plus enclins à aller vers la délinquance, et d'autres ont du mal à trouver un équilibre dans leur vie personnelle. Dans les cas plus extrêmes, certains adolescents en viennent même à faire des tentatives de suicide pour montrer qu'ils existent. Ce fut le cas d'une "adolescente, qui n'arrivait pas à trouver sa place ni chez l'un ni chez l'autre de ses parents, car ils étaient toujours en train de se déchirer", raconte la juge. Enfin, elle rappelle qu'un enfant qui voit constamment ses parents se dénigrer aura, en grandissant, des relations à l'autre très différentes par rapport aux enfants qui ont eu une éducation où chacun a sa place. 

L'enfant a-t-il un sentiment de culpabilité lorsqu'il choisit de vivre chez papa ou maman ?

"Oui, c'est possible, confirme la juge. C'est ce qu'on appelle "le conflit de loyauté". Néanmoins, il existe des éléments objectifs à leur décision : les enfants sont dans un quotidien et choisir l'un des parents permet parfois à l'enfant de rester dans son école, avec ses camarades de classe, ou de conserver des liens dans un milieu associatif, etc. "Les enfants peuvent faire part de choses matérielles qui font partie de leur vie quotidienne", ajoute la juge.

Dans quels cas faites-vous appel à un enquêteur social pour mener une expertise ?

L'enquêteur social, qui a une formation de psychologue et parfois d'ancien éducateur, est appelé en cas de recours à une enquête sociale par la juge aux affaires familiales. "L'enquête sociale permet à ce professionnel de se rendre au domicile des deux parents, de rencontrer l'enfant, mais aussi d'être au contact de toutes les personnes qui l'entourent, à savoir l'instituteur ou les professeurs, les grands-parents ou encore le nouveau conjoint de l'un des parents", explique Delphine Thouillon. L'objectif est d'avoir une idée de la vie de l'enfant chez ses deux parents. "On fait cette demande, notamment lorsque les éléments du dossier sont insuffisants et que chacun reproche des choses à l'autre avec des versions très opposées de la même situation", précise-t-elle.

Comment fonctionne la médiation familiale ?

La médiation familiale mise en place par la juge aux affaires familiales vise à apaiser le conflit entre deux parents, ou entre les parents et les enfants. "Au tribunal de Créteil, on convoque systématiquement les personnes à une séance d'information à la médiation familiale avant l'audience devant le juge (sauf en cas de violences ou quand les parents habitent trop loin). Cette médiation les amène à réfléchir et à communiquer ensemble de nouveau, dans le but de trouver un terrain d'entente", explique la juge aux affaires familiales. Le problème dans le cas de divorce, c'est souvent la rupture de la communication. D'ailleurs, il arrive parfois que certains couples trouvent une entente sur les modalités de la résidence et des droits de visite ou décident d'une résidence alternée suite à une médiation. "Dans le cadre d'une médiation, chacun dit ce qu'il attend de l'autre, ce qui est important dans sa vie. Cela permet de prendre conscience de la situation et de trouver des compromis, pour arriver à s'entendre", conclut Delphine Thouillon.