Comment la parole de l'enfant est-elle entendue en cas de divorce ?

La réalisatrice Delphine Cinier a enquêté sur les enfants pris à partie dans le cadre du divorce de leurs parents, souvent instrumentalisés et pris en otage entre un père et une mère qui se disputent leur garde. Le documentaire "Séparation, les enfants d'abord", diffusé le mardi 25 février 2020 sur France 5, s'immisce dans les salles d'audiences et le bureau de la juge aux affaires familiales, qui prend en considération la parole de l'enfant. Comment les jeunes sont-ils entendus ? Interview.

Comment la parole de l'enfant est-elle entendue en cas de divorce ?
© Katarzyna Białasiewicz-123rf

En France, un couple sur deux est exposé à la rupture, et les divorces ne se déroulent pas toujours dans les meilleures conditions. Dans le cadre du documentaire "Séparation, les enfants d'abord", la réalisatrice Delphine Cinier s'est intéressée aux séparations difficiles, celles dont les enfants sont au cœur des conflits, instrumentalisés et pris en otage par les parents. "Il s'agit de dossiers de conflits intenses. Depuis le divorce par consentement mutuel, où l'on peut se séparer à l'amiable chez les avocats, les cas de divorces qui se retrouvent sur le bureau du juge aux affaires familiales sont par conséquent des dossiers difficiles", explique la réalisatrice.

Lila, Iris et Adrien, Louis et Ninon... Les enfants entendus dès 7 ans

Au tribunal de Créteil, les enfants sont jugés capables de discernement par la justice à partir de 7 ans. A cet âge, ils peuvent faire part de leur volonté de vivre chez l'un ou l'autre de leur parents en écrivant une lettre à la juge aux affaires familiales qui prendra en compte la parole de l'enfant en fonction des situations. "Pour Louis et Ninon, nous avons mis en valeur la parole de l'enfant lorsqu'elle est entendue dans le bureau du juge" . En effet, le père a reconnu son attitude autoritaire et violente sur ses enfants qui ont demandé à vivre exclusivement chez leur mère. Résultat : le père a un droit de visite, et les enfants ont le choix de le voir s'ils le souhaitent. "A l'inverse, Iris et Adrien n'ont pas été entendu par le juge aux affaires familiales, qui a estimé qu'ils avaient été manipulés par leur mère", précise Delphine Cinier. Autre cas : celui de Lila, âgée de 4 ans. La petite fille avait 18 mois lorsque ses parents se sont séparés, mais le conflit est tel que la fillette n'a pas vu son père depuis 5 mois au moment du tournage. Trop petite pour être entendue, la juge fait alors appel à une équipe de professionnels (enquête sociale, expertise médico-psychologique, etc) pour évaluer ses désirs. "C'est à travers ces trois cas que j'ai tenté de montrer quelle était la place de la parole de l'enfant dans ces dossiers conflictuels et comment leurs mots étaient entendus, jugés vrais ou faux, ou instrumentalisés", précise la réalisatrice.

Quand le désir de l'enfant prime sur la décision de justice

Dans le cas d'Iris et Adrien, qui n'ont pas été entendus par la juge (car instrumentalisés par leur mère), une médiation familiale a été mise en place, mais se conclut par un échec. Les enfants ont l'obligation de se rendre chez leur père un week-end sur deux, mais refusent de le voir. "Ce documentaire pose la question de cette "justice impuissante" dans ces cas extrêmes, car malgré la décision de justice, Iris et Adrien ne veulent toujours pas aller chez leur père. On ne peut pas forcer un enfant ou le mettre de force dans la voiture" souligne Delphine Cinier qui confirme qu'à l'heure actuelle, le papa n'a pas vu ses enfants depuis un an.

Choisir un parent plutôt que l'autre : quelles conséquences sur les enfants ?

Prendre en considération la parole de l'enfant est essentiel, notamment dans les cas de maltraitance. Mais parfois, leur demander de choisir chez qui ils ont envie de vivre peut avoir des conséquences à l'âge adulte. "Dans ces relations conflictuelles, on dit que la parole de l'enfant est influencée par le "parent gardien" (qui est souvent la maman)", précise la réalisatrice. "C'est une énorme responsabilité que l'enfant porte sur ses épaules parce que toute sa vie, il se souviendra avoir témoigné contre son père" explique Delphine Cinier. Il peut donc y avoir des conséquences avec le parent qui ne comprend pas toujours pourquoi son enfant le dénonce ainsi. En France, 74% des enfants pris dans le conflit de la séparation ne voient plus l'un des deux parents, mais 85% d'entre eux le retrouvent à l'âge adulte. Ainsi, "lorsque l'enfant change d'avis, il y a un retard à rattraper !" On peut donc se poser la question : est-ce vraiment la place d'un enfant d'être devant un juge et de devoir prendre partie pour l'un de ses parents ?" 

"Il faut préparer la séparation comme on prépare un mariage"

"Je pense que lorsqu'ils se séparent, les parents ont tendance à confondre leur histoire de couple et leur histoire familiale. Les enfants deviennent alors spectateurs des histoires de grands, ce qui fragilise l'enfant jusqu'à l'âge adulte. Les parents doivent donc se rendre compte de l'impact émotionnel du divorce sur les enfants, surtout en cas de conflits", ajoute la réalisatrice. Elle recommande d'ailleurs aux couples de se faire aider en cas de rupture conflictuelle, de comprendre que leur relation amoureuse ne concerne pas leurs enfants, afin de les mêler le moins possible. "On devrait préparer sa séparation comme on prépare un mariage et surtout, ne pas utiliser les enfants comme une "arme" contre l'autre parent", conclut-elle.

"Séparation, les enfants d'abord", documentaire de Delphine Cinier, diffusé le mardi 25 février 2020 à 20h50 sur France 5.