"C'est mon restaurant à moi" : ce soin que Chantal s'offre chaque semaine malgré sa retraite minuscule
Même quand elle doit compter chaque dépense, Chantal garde un plaisir rien qu'à elle. Un rendez-vous qui change toute sa semaine.
Dans la longue liste des dépenses que beaucoup réduisent avec l'inflation, le superflu disparaît souvent en premier. Mais Chantal, 69 ans, refuse de toucher à son rituel du jeudi. Pour s'offrir ce moment, elle a tout sacrifié : pas de restaurant, pas de voyages, pas de sorties coûteuses. C'est son seul luxe, une parenthèse sacrée qu'elle ne manquerait pour rien au monde. Une heure où elle quitte son quotidien pour retrouver celle qu'elle appelle avec tendresse "sa petite fée".
Depuis plus de vingt ans, dans la ville de Saumur, en Maine-et-Loire, Chantal prend sa voiture pour parcourir les cinq minutes qui la séparent de ce lieu si familier. Toujours le même trajet, les mêmes rues, les mêmes habitudes. Elle arrive avec son sac en cuir serré contre elle, son rouge à lèvres posé un peu trop vite, et ce sourire discret qu'elle garde pour les jours qui comptent.
Ce n'est pas un simple rendez-vous. C'est un refuge. Ici, on lui retire son manteau, on remarque son pull bleu, on lui parle doucement. Quand l'eau chaude coule sur sa tête, elle ferme les yeux. C'est son moment suspendu. Elle pense à ses petits-enfants, au repas du soir, aux choses simples. Et quand la brosse démêle ses cheveux, le mystère s'éclaire : Chantal est chez le coiffeur. Elle a l'impression que tout se remet à sa place, à commencer par elle. Chaque semaine, elle retrouve Léa, sa coiffeuse, trente ans plus jeune. Elles échangent des nouvelles, des anecdotes, des projets. Chantal sort les dessins de sa petite-fille ; Léa lui raconte sa prochaine escapade. C'est une relation douce, sans pression, qui fait du bien. Une bulle.

Parfois, on lui dit qu'elle pourrait économiser. Elle sourit. Elle sait ce que ça représente sur sa retraite, alors que le prix moyen d'une prestation femme oscille désormais entre 42 et 65 euros selon l'UNEC. C'est un budget conséquent pour une pension modeste. Mais elle ne fume pas, ne boit pas, ne voyage plus. Alors elle le répète sans honte : "Mon coiffeur, c'est mon restaurant à moi." Ce n'est pas seulement entretenir une coupe. C'est se sentir debout, présente, alignée avec elle-même.
Après le salon, Chantal reprend sa voiture et suit toujours le même parcours. Elle s'arrête chez le boulanger qui l'accueille d'un "Toujours impeccable, Chantal !" . Plus loin, la fleuriste lui glisse qu'elle a bonne mine. Dans la petite supérette du quartier, on lui dit encore qu'elle est élégante aujourd'hui. Rien d'extraordinaire. Mais ces phrases-là, elle les garde. Elles prolongent son jeudi. Elles la relient au monde.
Plus qu'une coquetterie, ce rendez-vous est sa respiration. C'est le moment où elle reste fidèle à elle-même : soignée, vivante, debout. Car le jeudi, ce n'est pas seulement sa coiffure qui se redresse, c'est son moral. Un sentiment d'exister qu'aucun voyage ou restaurant ne pourrait remplacer.