Inceste, vers la fin d'un tabou ?

Depuis la parution, le 7 janvier 2021, du livre de Camille Kouchner, "La Familia Grande", mettant en cause son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, les témoignages des victimes d'inceste pleuvent sur les réseaux sociaux. Tandis que la parole se libère, la question du consentement et du délai de prescription de l'action publique sont désormais présentes dans la sphère publique et politique. Le Journal des Femmes fait le point.

Inceste, vers la fin d'un tabou ?
© butus/123RF

Qu'est-ce qu'un inceste ?

L'inceste est une agression sexuelle (attouchement, viol) commise par un parent ou tout autre personne ayant une autorité de fait ou de droit sur une victime mineure. "La maltraitance sexuelle envers un mineur est définie par le fait de forcer ou d'inciter ce dernier à prendre part à une activité sexuelle. Ceci constitue une atteinte à son intégrité physique et psychique, le mineur n'ayant pas la maturité et le développement suffisants pour en comprendre le sens et/ou les conséquences", écrit la Haute Autorité de Santé dans ses recommandations publiés en mai 20111.

Chiffres de l'inceste

Selon un sondage Ipsos réalisé pour l'association Face à l'inceste2, 10 % des Français déclarent avoir été victimes d'inceste, soit 6,7 millions de personnes. 78 % des victimes sont des femmes, 22 % des hommes. Autre enseignement de ce sondage, 32 % des Français connaissent au moins une victime d'inceste dans leur entourage.

Selon les chiffres avancés par la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, une fille sur cinq et un garçon sur treize sont victimes de violences sexuelles avant leur majorité.

Que dit la loi au sujet de l'inceste ?

Les articles 222-32-1 et 222-32-2 du Code pénal qualifient ainsi les violences sexuelles incestueuses : les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis par :

  1. Un ascendant (parents, grands-parents, ndlr) ;
  2. Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce (les cousins et cousines ne sont pas pris en compte dans le texte, ndlr) ;
  3. Le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux points 1. et 2. ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes points 1. et 2., s'il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

La loi Schiappa a par ailleurs porté de 20 à 30 ans après la majorité de la victime le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs. Une personne victime d'inceste durant son enfance peut actuellement porter plainte jusqu'à l'âge de 48 ans.

Quels sont les peines et risques encourus par l'auteur de l'inceste ?

Face à la loi, l'inceste est une circonstance aggravante. Ainsi, un viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle "lorsqu'il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait". Pour une agression sexuelle, la peine de prison passe à 7 ans, au lieu de 5. Si l'agresseur détient l'autorité parentale sur la victime, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité. Elle pourra également statuer sur le retrait de l'autorité parentale pour l'ensemble d'une fratrie.

Comment repérer et aider un.e mineur.e victime d'inceste ?

Les enfants victimes d'inceste peuvent être repérés par un professionnel de santé, par un professionnel de l'enfance ou par l'entourage de la victime. Parfois, l'enfant lui-même peut révéler être victime d'inceste. Il est important aussi que les proches de l'enfant restent vigilants et à l'écoute car, selon les chiffres du sondage Ipsos pour Face à l'inceste, 32 % des Français connaissent une victime d'inceste. Dans une interview à Parents.fr3, la psychiatre Muriel Salmona énumère plusieurs signes qui doivent alerter : mal-être, repli sur soi, colère explosive, troubles du sommeil, de l'alimentation, conduites addictives, angoisses, phobies, énurésie… "Cela ne signifie pas que tous ces signes chez un enfant sont forcément révélateurs d'une violence, poursuit-elle. Mais ils méritent que l'on s'y attarde avec un thérapeute".

Le 119 est le numéro national d'accueil téléphonique d'enfance en danger. Les enfants et adolescents peuvent le composer ainsi que les adultes suspectant qu'un enfant est en danger. L'écoutant rédige un compte-rendu transmis à la Crip (cellule de recueil des informations préoccupantes) qui étudiera les informations et mobilisera les professionnels compétents. Si la situation l'exige, il pourra contacter les services d'urgence, comme la police, la gendarmerie et/ou le Samu.

L'inceste peut être responsable de grave troubles psychotraumatiques qui conditionneront la vie de la victime à court, moyen et très long terme. Mais les victimes peuvent aller mieux avec une prise en charge adaptée. "Plus la prise en charge est rapide, plus elle s'avère efficace", note la HAS dans ses recommandations.

Quelles sont les associations d'aide aux victimes d'inceste ?

Une parole qui se libère en 2021

Le livre de Camille Kouchner, La Familia Grande (Editions du Seuil), dans lequel elle accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d'inceste à l'encontre de son frère jumeau a eu l'effet d'une bombe. Cette prise de parole a ouvert la voie à une vague de témoignages sur les réseaux sociaux notamment avec le hastag #MeTooInceste. Si les chiffres cités plus haut témoignent en effet d'un phénomène massif, il n'en reste pas moins tabou, même si les lignes commencent à bouger.

Samedi 23 janvier 2021, dans une vidéo, Emmanuel Macron a salué "le courage" de ceux qui avaient osé prendre la parole4. "On est là. On vous écoute. On vous croit", a déclaré le chef de l'Etat promettant de renforcer la loi contre l'inceste. Les premières mesures ont été annoncées : la prise en charge intégral d'un accompagnement psychologique pour les victimes et la création de deux visites de dépistage et de prévention au primaire et au collège.

Le consentement et la prescription au cœur des débats

Au cœur des réflexions du gouvernement, les questions du consentement et du délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs. Sur le consentement, "aujourd'hui, le dispositif tel qu'il existe pousse à d'abord s'interroger sur le comportement de l'enfant, puisque l'on pose la question de son consentement. Or on constate tous une dissymétrie entre un enfant et un adulte", a déclaré au Parisien (abonné) Adrien Taquet, le secrétaire d'Etat en charge de la protection de l'enfance5.

Aujourd'hui, seuls les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Dans son manifeste pour l'imprescriptibilité des crimes sexuels, la psychiatre Muriel Salmona plaide pour l'imprescriptibilité pour "les crimes et délits sexuels aggravés commis sur des mineurs en cas de commission par leur auteur d'un même crime ou d'un même délit sexuel aggravé contre d'autres mineurs et lors d'une amnésie traumatique ou de troubles psychotraumatiques". La professionnelle explique : "il faut beaucoup de temps aux victimes avant de réaliser ce qui leur est arrivé, de retrouver la mémoire, de ne plus être écrasées par la peur, la culpabilité et la honte, de ne plus être terrassées par le traumatisme, et de pouvoir avoir la force de parler et de porter plainte. Pour d'innombrables victimes, quand elles sont enfin en état de le faire, il est trop tard, la prescription les en empêche".

Sources :

1 www.has-sante.fr

2 aivi.fr

3 www.parents.fr

4 www.youtube.com

5 leparisien.fr