La sororité, fondation d'une 4e vague féministe ?

Née dans les années 1970, la sororité, lien entre les femmes basé sur la solidarité, est aujourd'hui un pilier du féminisme. Oubliée un temps, elle est revenue au goût du jour avec la quatrième vague féministe, emmenée notamment par le mouvement #MeToo.

La sororité, fondation d'une 4e vague féministe ?
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Qu'est-ce que la sororité ?

"Sororité : nom féminin, solidarité entre femmes (considérée comme spécifique)", explique Le Robert en ligne. Désormais politique, la sororité, qui s'oppose à une fraternité non-universelle, veut unir les femmes sous une même bannière, au-delà des dissensions, contre l'oppression du patriarcat.

Le collectif Georgette Sand en donne une définition, en anaphore, dans une tribune publiée sur son site en 2019 :  "Le fait de reconnaître l'autre femme comme ma sœur, c'est se reconnaître victime d'une situation d'oppression spécifique et partagée – la domination masculine. Le fait de reconnaître l'autre femme comme ma sœur, c'est faire de la considération, de l'entraide, et non de la rivalité, la fondation des interactions féminines. Le fait de reconnaître l'autre femme comme ma sœur, c'est se donner les moyens d'agir. Le fait de reconnaître l'autre femme comme ma sœur, c'est faire advenir un ordre social bouleversé où les femmes seraient réellement les égales des hommes. La sororité, c'est se donner les moyens de nous venir en aide et de lutter ensemble".

D'où vient le concept de sororité ?

"Et même les femmes qui les haïssent ont bénéficié du courage de chacun des mouvements féministes. J'aimerais qu'elles le sachent ou qu'elles le sentent, car c'est le livre de l'amitié que je voudrais écrire, ou plutôt le livre de ce qui n'existe pas encore, d'un sentiment et d'un mot qui ne sont même pas dans le dictionnaire et qu'il faut bien appeler, faute de mieux, la 'fraternité féminine'", écrivait la féministe Benoîte Groult dans son best-seller Ainsi soit-elle, publié en 1975.  

L'autrice définit ici la sororité, un terme déjà popularisé outre-Atlantique par la féministe Robin Morgan et son recueil de poésies Sisterhood is powerful (La sororité est puissante en français). Présent dès la deuxième vague féministe qui s'étend de la fin des années 1960 et durant les années 1970, le concept de sororité est déjà au cœur de l'Hymne des femmes en 1971, emblème du Mouvement de libération des femmes (MLF). En voici un extrait : "Seules dans notre malheur, les femmes, L'une de l'autre ignorée, Ils nous ont divisées, les femmes, Et de nos sœurs séparées. Le temps de la colère, les femmes, Notre temps, est arrivé, Connaissons notre force, les femmes, Découvrons-nous des milliers".

Le concept recule et tombe peu à peu dans l'oubli jusqu'à il y a peu. Dans le sillage de l'affaire Weinstein, des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, la sororité a réémergé. "Le mouvement #MeToo, c'est vraiment cette idée que moi aussi, ça m'est arrivé. Il y a un jeu de miroirs : ce que je vois dans l'autre femme, comme sœur, je le vois chez moi. C'est une sorte d'union dans la désunion, un mouvement qui traverse les classes sociales, les différentes appartenances… La sororité énonce le fait qu'il y a une oppression qui s'appelle la domination masculine et qui touche toutes les femmes", écrit la maîtresse de conférence en philosophie de l'éducation Bérengère Kolly, relayée dans la tribune du collectif Gorgette Sand, citée plus haut.

La sororité est désormais le terreau d'une quatrième vague féministe qui, après la dénonciation des violences sexuelles, doit renverser l'ordre établi du patriarcat. Le collectif Georgette Sand théorise ainsi cette quatrième vague: "si #MeToo a recensé autant de violences, ce n'est pas seulement parce que les violences des hommes sur les femmes font l'objet d'une acceptation générale. C'est aussi parce que ces dernières sont trop souvent dans des situations de subordination professionnelle ou familiale. La vraie révolution consiste à bouleverser cet ordre-là ensemble".

Liberté, pilosité, sororité...

Le collectif féministe Liberté, pilosité, sororité, fondé à l'été 2018 et non mixte, milite contre l'injonction à s'épiler qui pèse sur les femmes. Lui, et d'autres, illustrent l'essor des collectifs féministes ces dernières années, s'appuyant sur la sororité. Les femmes s'organisent pour dénoncer la domination du patriarcat comme le collectif Collages féminicides également non-mixte, ou s'unissent dans leur domaine pour y agir avec solidarité et concertation, pour faire front commun. Quelques exemples :

  • Prenons la une, dans le journalisme
  • Les intermittentes, pour les intermittentes du spectacle
  • Pour une M.E.U.F. (médecine engagée, unie et féministe), association de soignant.e.s
  • etc.

Liberté, égalité, "sororité"

La devise de la République française "Liberté, égalité, fraternité" est remise en cause au profit de la sororité. Totem de la République, le détourner, le renverser contribuerait à poser les bases d'une nouvelle égalité entre les femmes et les hommes. "Liberté, égalité, sororité" est aujourd'hui de toutes les manifestations pour les droits des femmes. Il s'affiche sur des tee-shirts, des chaussures et s'impose comme le slogan d'une génération.

Le mot est toutefois critiqué et plusieurs féministes le remettent en cause. A sororité, Camille Lextray, figure du collectif féministe Collages féminicides, préfère le terme adelphité, "qui inclut toutes les personnes qui subissent les oppressions de genre, pas seulement les femmes. C'est l'idée que l'on reconnaît être toutes victimes des violences patriarcales, et qu'on s'unit pour lutter ensemble", explique-t-elle dans une interview croisée à Elle.

Le terme d'adelphité est également défendu par la féministe et autrice Florence Montreynaud.

Réjeanne Sénac, directrice de recherche CNRS au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), pense elle aussi à remplacer fraternité par adelphité mais préfère encore le terme de solidarité "car il permet de dépasser l'analogie familiale et donc de penser une interdépendance au-delà des frontières de l'humain et entre humains", a-t-elle expliqué aux Fameuses, un réseau d'entrepreneuses. "De manière générale, notre présent est à la confluence de tous nos héritages. Aujourd'hui, l'enjeu est de déterminer si ce passé doit rester la règle. La question est de savoir dans quelle société nous souhaitons vivre demain. Et quels moyens nous nous donnons pour la faire advenir. La première étape doit forcément être critique. La réflexion sur notre devise, un totem républicain, constituerait aussi un moment important. Cette proposition n'est pas une prise de position rhétorique, il s'agit de participer de la mise en œuvre de l'égalité et de la liberté pour tou·te·s et chacun·e, cette utopie politique censée être au cœur de notre vivre-ensemble républicain", poursuit-elle.

Pour aller plus loin sur la sororité

  • La revue Soror, qui brosse des portraits de femmes inspirantes
  • Mes biens chères sœurs de Chloé Deleaume, éditions du Seuil, 2019. "Ceci est une adresse. Aux femmes en général, autant qu'à leurs alliés. Je vous écris d'où je peux. Le privé est politique, l'intime littérature", écrit l'autrice qui érige dans cet essai, la sororité comme outil de puissance virale.
  • Portrait de la jeune fille en feu, un film de Céline Sciamma, 2019
  • Le podcast La Poudre par la journaliste féministe Lauren Bastide
  • La newsletter Les Glorieuses
  • Pour les enfants, La Reine des Neiges est un concentré de sororité puissante. Les sœurs Anna et Elsa sauvent leur royaume, deux fois, grâce leur solidarité, leur complémentarité et sans aucune aide masculine (surtout vrai dans le second volet).
  • Des comptes à suivre sur Instagram : Inside Women, Jemenbatsleclito, T'as joui ?, Clit Revolution...