Comment la mode a détourné le masque facial ?

C'est l'accessoire au cœur de l'actualité... Comme tout ce qui se porte, le masque facial n'a pas échappé au détournement de la mode et fait son chemin sur les tapis rouges comme les podiums. Étude d'un accessoire prudent et éloquent.

Comment la mode a détourné le masque facial ?
© Bertrand-Hillion Marie-Paola/ABACA

On l'oublie bien souvent à l'ère de l'influence et de la suprématie des marques, mais les changements dans la mode sont parfois provoqués par un besoin, un nouvel usage. Illustration parfaite, le masque facial qui recouvre nez et bouche se répand doucement mais surement dans les tendances.

Question de perception

En Occident, bas les masques. La loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdit la dissimulation du visage en public. Même en temps de crise sanitaire, le masque est très mal perçu. Une note diffusée au sein de la police révélée notamment par Le Parisien stipule "Il est absolument proscrit de porter le masque sur la voie publique ou à l'accueil du public". Question de pénurie, certes, mais également de perception. Pourtant, de l'autre côté du globe, le masque véhicule une signification tout à fait différente. 

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Marine Serre automne-hiver 2019-2020 © PIXELFORMULA/SIPA

En Chine, son port se serait répandu dans les année 1910 pour endiguer une épidémie de pneumonie. Comme le démontre l’anthropologue Christos Lynteris dans son récent article sur le New York Times, le masque aurait une fonction médicale mais aussi sociale : il est le témoin d'un comportement responsable. En Asie, son usage lié aux environnements sur-pollués comme aux autres troubles de santé individuels, s'est développé, facilité par une culture qui prône l'intérêt collectif. Se masquer pour protéger les autres est un acte encouragé et valorisé. C'est ainsi que de nombreuses marques se sont emparés de l'accessoire facial, que l'on retrouve paré de motifs sur les étales des marchés de toute l'Asie.

Mais il n'est pas seulement un produit de consommation de masse. Les marques de luxe ont eu vite fait de s'emparer de la tendance pour séduire cette clientèle. Fendi a commercialisé un masque en soie monogramme et Off-White une version logo plus épurée. Si son efficacité (nulle) n'est pas mise en avant, son esthétique, elle, tape dans le mille. Nicki Minaj, Beyoncé ou le rappeur Future font du masque un atout style. On l'a même vu en front row du dernier défilé Chanel, où, à l'heure où le Coronavirus semblait se rapprocher doucement, une invitée a orné son masque de camélias pour l'occasion. L'instrument de protection est devenu un accessoire de mode. 

Protection d'apparence

Tendance par la force des choses, le masque facial a soudain beaucoup plus à dire. Sa double fonction, à la fois de protection et de dissimulation, en fait un accessoire puissant. La jeune chanteuse pop Billie Eilish en fait une signature sur les tapis rouges. Il accompagne le message de l'artiste qui prône la mode comme façon de soustraire son corps aux regards. Au même titre que les pantalons baggy et autres superpositions XXL qu'elle arbore, le masque est une forme de travestissement. Une dissimulation paradoxalement voyante, qui brouille les lignes et lui permet de garder la maîtrise de son apparence. 

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Billie Eilish aux Grammy Awards 2020 © Arroyo-OConnor/AFF/ABACA

Fort de sa symbolique et aussi de son usage croissant, le masque facial est devenu un terrain de jeu pour certains designers qui accessoirisent avec les silhouettes de leurs défilés. Strassé chez The Blonds automne-hiver 2020, en version dentelle punk pour Alexander Wang au printemps-été 2019, bondage chez Gareth Pugh la même saison... Mais plus que quiconque, la créatrice Marine Serre l'explore en profondeur dans ses collections. C'est la seule à avoir collaboré avec un fabricant de masques anti-pollution (R-PUR). Sa mode "du futur" comme le stipule son compte Instagram, questionne les inquiétudes de notre temps avec pour thèmes les catastrophes climatiques, l’exode. Dans ce registre, le potentiel dystopique du masque révèle tout son charme. À plus forte raison lorsqu'il devient aussi rare que précieux dans la "vraie" vie. Les marques du groupe Kering (Balenciaga, Saint Laurent) annoncent se lancer dans le masque chirurgical, cette fois en version homologuée pour fournir les hôpitaux.