Enfant doué : se sentir compris au sein de sa famille

On sait qu'il est très difficile pour un enfant doué de trouver une attitude compréhensive chez les adultes qui s'occupent de lui.

Enfant doué : se sentir compris au sein de sa famille
© Vadim Guzhva-123rf

Bien évidemment, comment peut-on repérer un enfant doué au sein d'une classe, surtout quand il ne tient pas à se faire remarquer, et, d'une façon générale, les indices, parfois très discrets, ne sont pas compris dans leur pleine signification. On s'attendrait alors à ce que les parents comprennent les réactions de leur enfant, qu'ils l'aient ou non identifié comme un enfant doué dont il est préférable de connaître le mode d'emploi spécifique. Et même alors, ils ont encore tendance à le ramener aux notions ordinaires définissant un enfant de son âge. Ils n'ont pas envie de le différencier, ce qui pourrait signifier le stigmatiser. Ils préfèrent le considérer comme tous les enfants, ce qui revient à considérer comme un caprice bénin une demande que l'enfant considère à ce moment là comme vitale ou bien à estimer dérisoire un événement que l'enfant voit comme une catastrophe sans précédent, modifiant pour toujours le cours de son existence, les enfants doués s'en tenant rarement aux demi mesures. 

Les parents hésitent à s'engager dans des chemins peu explorés par les pédagogues. Ils jugent plus prudent de s'en tenir à une grille de lecture ordinaire, modérément teintée de psychanalyse, mêlée d'applications de philosophie plus ou moins orientale. Une remarque banale, une critique à peine esquissée, mais énoncée à un moment inopportun, peuvent signifier pour un enfant doué une barrière mettant un terme à tous ses rêves de réussite ou bien le rejet dans une médiocrité sans la moindre lueur d'espoir parce qu'il n'aura pas compris une explication ou bien raté un exercice enfantin dont la formulation lui avait parue complètement obscure. Pour lui, ce serait la confirmation de ce qu'il avait toujours craint parce qu'il savait au fond de lui qu'il était nul, mais il avait réussi à donner le change, aidé par une chance insolente, et voilà que cette imposture se révèle au grand jour sans qu'il puisse tenter quoi que ce soit pour redresser cette situation dramatique, puisque, justement, il est nul.

Si on lui dit d'un ton léger que l'erreur est humaine et que cette erreur n'est pas si grave, il pense qu'on essaie de l'endormir avec des paroles lénifiantes, mais il ne peut pas en être dupe, il sait bien qu'il est nul et maintenant tout son entourage le sait aussi, ce n'est pas le peine de tenter de le consoler par des mensonges, il faudra bien qu'il affronte l'horrible vérité. Il sera courageux, résigné, et vaillant dans l'infortune. Il faut bien avoir présent à l'esprit qu'un enfant doué envisage beaucoup plus souvent la catastrophe irrémédiable que l'incident mineur et négligeable. Il ignore la façon qu'ont  la plupart des enfants de se rassurer en disant "ce n'est pas grave" avant d'aller jouer en ayant tout oublié de ce manque qui aurait pu, ou dû, les rendre honteux.

L'enfant doué voit sa vie basculer sans retour possible : si on ne comprend pas exactement ce qu'il éprouve à ce moment-là , il se sent encore plus seul, plus misérable et plus désespéré. Quand il constate que même ses parents qui l'aiment tant, croyait-il,  ne saisissent pas du tout l'ampleur du drame qu'il traverse, il en déduit que jamais, jamais personne ne le comprendra. Il est donc peut-être complètement anormal, fou, réellement idiot au point que même ses proches ne saisissent rien des sentiments affreux qui l'ont envahi. Ou bien ils savaient que ce drame allait survenir un jour ou l'autre, ils y étaient préparés, ils ne sont pas surpris, mais ils n'imaginaient pas que leur enfant,encore trop jeune pour prendre la mesure des choses,  allait réagir de cette façon disproportionnée face à un événement parfaitement prévisible.

Tenter de le consoler en relativisant ou en minimisant cet événement aggrave encore son angoisse désespérée : sa vie va être profondément modifiée et on semble considérer comme un incident de parcours un événement majeur qui entraînera des modifications essentielles comme s'il était atteint d'une maladie évolutive et sans remède ou bien soudainement frappé par la révélation d'un handicap aux conséquences irréversibles. S'il est pris dans une intrication d'événements déclenchant la colère d'un adulte possédant une once de pouvoir, il pourrait être tué parce que considéré comme gênant ou bien si fragile et sans défense qu'il serait facile de le faire disparaître sans que quiconque réagisse, et même pas ses parents puisqu'ils ont cessé de le comprendre et donc peut-être de l'aimer.

Pour un enfant doué, la meilleure façon de lui éviter des angoisses incoercibles est de lui démontrer qu'on le comprend. On lui renvoie alors de lui une image rassurante : si des adultes le comprennent sans l'ombre d'une hésitation, cela signifie qu'il est normal, mais si tout le monde, y compris ses parents, s'étonnent de ses réactions, il est alors persuadé d'être réellement anormal. Il sera éternellement incompris, pas un seul être sur terre ne saura l'écouter pour lui répondre ensuite sur le même registre, son univers, pourtant tellement cohérent à ses yeux, restera à jamais opaque pour les autres. Dans ces conditions, il est même inutile qu'il tente d'expliquer l'ampleur des émotions qui l'ont envahi, on pourrait  rire de lui, considérer que l'élément qui les a déclenché est totalement dérisoire et ne vaut même pas qu'on s'y attarde. On ne le comprend pas parce qu'il n'y aurait rien à comprendre, il serait inutile de tenter de saisir les raisons qui ont provoqué le drame qu'il vit, et qu'il est bien le seul à vivre de cette façon tragique.

L'enfant doué se sent trahi par ses parents qui devraient le protéger, le guider et lui enseigner comment se comporter, mais pour que cet apprentissage de l'existence soit efficace, il faut comprendre le fonctionnement de celui qui doit s'entraîner à suivre ensuite sa propre route. Si son comportement semble erratique à ceux qui lui sont les plus proches, il apparaît bien qu'il deviendra impossible de le guider, ses réactions échappant à tout entendement. Lui-même sera convaincu qu'il ne pourra pas suivre le cours ordinaire de l'existence, comme ses camarades de classe, sans pour autant savoir comment se comporter dans les situations les plus courantes. Quand on est persuadé d'ignorer un mode d'emploi, on ne se fie plus à son instinct, on se sent véritablement égaré, constamment à la recherche de la réaction la mieux adaptée, tout en se méfiant de ses réactions spontanées tant on craint de se différencier à l'excès des autres. Les diagnostics les plus péremptoires ne tardent pas à sanctionner ces hésitations qui rien ne justifierait.

Conseils : quand les réactions d'un enfant paraissent disproportionnées, échappant apparemment à toute explication logique, il est préférable de faire passer un test : la grille de lecture de ces réactions leur donne un sens et permet de réagir avec raison, sans s'inquiéter outre mesure. Ces réactions bien comprises, on peut y revenir au calme : ce n'est pas parce qu'un enfant est doué qu'il va pouvoir se comporter de façon tyrannique, mais, peu à peu, il apprendra à acquérir plus de pondération s'il saisit les mécanismes qui le précipitent dans ces tumultes.