Quand l'enfant doué veut ignorer ses dons

Généralement, les enfants doués sont enchantés par le test qu'ils ont passé : ils ont pu donner toute leur mesure, être complimentés pour leurs victoires remportées de haute lutte, et on s'est adressé à eux comme à des interlocuteurs à prendre en considération.

Quand l'enfant doué veut ignorer ses dons
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Pourtant, certains ne peuvent s'empêcher d'éprouver finalement un certain mécontentement : ils veulent bien reconnaître qu'ils ne se sentaient pas très bien, que la notion floue d'une différence les tourmentait parfois, mais ils refusent absolument de se voir placés dans une catégorie qui les reléguerait dans un groupe à part dont ils ne veulent pas faire partie.

Qu'on le sache bien : ils n'ont rien à voir avec ces grosses têtes sentencieuses dont on se moque, ils sont comme tous les autres enfants, ils ne veulent rien entendre à ce sujet, rien lire, rien savoir, ils ne sont pas concernés.

Certes, passer des tests leur avait plu, mais pour un peu ils diront qu'ils se sont fait avoir en trouvant de l'intérêt à une activité qui, justement, plaît aux enfants doués. Ce serait une simple coïncidence, ils acceptent qu'on leur reconnaisse des facilités, comme beaucoup de leurs copains de classe, mais rien d'exceptionnel. Leur refus véhément ne laisse aucune place à la discussion.

La  raison essentielle motivant ce refus absolu est sans doute la crainte d'être désormais tenus à une obligation de résultats : à la première note plus faible, ils s'entendront dire "les tests ont démontré que tu étais intelligent, il n'y a donc aucune raison pour que tu ne réussisses pas". Ils n'auront plus le droit à l'erreurIls évitent aussi l'angoisse d'imaginer leurs dons disparus en cas d'échec.

Pourtant, par la force des choses, ils sont bien obligés de se contraindre dans quelques domaines pour éviter de se différencier à l'excès de leurs camarades. Pour ne pas se trahir et révéler leur vraie nature, Ils sont obligés de conserver constamment un état de vigilance qui leur est sans doute devenu si naturel, qu'ils s'imposent ce frein sans même y penser.

Peut-être, en se reconnaissant doués, craignent-ils de basculer dans un univers dont ils ne savent rien : ils seront isolés, loin de leurs amis, ils s'imaginent cheminant sur cette route déserte sans guide et sans boussole.

Au moins, les autres enfants leur fournissent ces guides, ils leur indiquent un mode d'emploi quand ils ont l'impression de n'avoir pas bien saisi des règles que les autres ont compris sans hésitation. Seul et sans ce mode d'emploi, ils se sentiront complètement égarés : leurs parents qui les aiment ne veulent tout de même pas les plonger dans cet enfer de solitude.

Si on leur dit qu'ils ne sont pas les seuls et que nombres d'enfants leur ressemblent, ils se méfient, ils ont trop entendu évoquer des enfants dits "précoces" vite accablés de tous les malheurs possibles, eux ne veulent pas être malheureux, ils sont des enfants comme tous les autres.

Bien sûr, si on insiste, ils finissent par reconnaître qu'ils ont des copains, mais pas de véritable ami et ils évoquent l'ami perdu et jamais remplacé connu en Petite Section de Maternelle, parfois même à la crèche ou chez la nourrice, sans qu'on puisse savoir si cet ami chéri est évoqué pour démontrer qu'ils sont capables d'avoir des amis.  Ensuite un déménagement les a éloignés, à un âge où on est encore trop jeune pour utiliser les moyens de communication actuels et leurs parents ont perdu leurs traces...

Face à ce refus obstiné, les parents n'ont pas d'autre choix que d'attendre l'événement qui déclenchera cette reconnaissance de ses dons, tout en souhaitant ardemment que cet événement ne soit pas trop dramatique ou traumatisant. Ils se tiennent prêts à intervenir de la façon qu'ils espèrent la plus efficace possible : depuis la révélation du don de leur enfant, ils accumulent les connaissances par leurs lectures, leur vagabondage sur internet et leurs échanges avec d'autres parents. Le jour venu, ils ne seront pas pris au dépourvu.

Ils ne peuvent s'empêcher de souffrir pour leur enfant entêté qui s'impose cette contrainte de "norme" parce qu'elle leur semble plus supportable que le changement de catégorie, mais il paie certainement le prix de cet étouffement de sa personnalité, même s'il proclame qu'il se sent parfaitement heureux.

Ses parents répugnent à le piéger en l'inscrivant dans une association ou une colonie où il se retrouvera dans la compagnie d'autres enfants doués qui, eux, ont accepté, le plus souvent avec soulagement, la reconnaissance de leurs dons intellectuels.

Un déni d'une réalité, aussi violent soit-il, n'empêche pas que cette réalité est connue, même très enfouie au fond de soi par celui qui veut la nier : elle reste rangée dans un méandre de la pensée, comme un dernier recours au cas où des difficultés de relations apparaîtraient par exemple. Elle ne peut pas être totalement occultée, la trace en subsiste, impossible à effacer. Ce serait un ultime remède dans une situation de détresse inattendue, mais si les parents n'ont pas la possibilité de faire remonter ce souvenir, il risque d'être pratiquement effacé : un malaise s'installe, douloureux et lancinant et  la clef pouvant l'expliquer est  perdue.

Finalement, seuls les enfants doués leader nés, qui savent imposer les règles de jeu qu'ils ont eux-mêmes édictées, n'ont pas besoin de s'embarrasser de ce diagnostic. S'ils n'ont pas de véritable ami, ils ont des alliés, des collaborateurs, discrètement admiratifs de cet enfant qui sait si bien se distinguer des autres sans paraître forcer sa nature. Le commandement lui est naturel et les autres sont heureux de le suivre dans ses initiatives hardies auxquelles ils n'auraient pas songé.

Rassurons ceux qui se disent "je n'ai jamais été comme ça", il s'agit d'une infime minorité et, généralement, leur vie adulte confirme leurs dons et l'usage heureux qu'ils savent en faire. Chez eux, le don n'est pas caché, il est pleinement exploité, ils n'ont pas eu besoin de se contraindre pour ressembler aux autres, ils faisaient en sorte que les autres aient envie de leur ressembler.

Pour la majorité, le don intellectuel, admis ou non, confère à celui qui en est porteur un éclat singulier à nul autre pareil, mais il est tout de même préférable de le laisser s'exprimer. Ce sera peut-être au hasard d'une rencontre, amicale ou amoureuse : l'entente incontestable qui s'établit alors est forcément dictée par de subtils points communs et cet écho trouvé chez l'autre réveille enfin l'acceptation de ce qu'on est.

Conseils : il est inutile d'insister pour que l'enfant admette son don, il se braquerait encore davantage, mais on peut y faire de très discrètes allusions en parlant d'autres personnes douées différemment et de la richesse intérieure que ce don leur  procure.