Quand les enfants doués refusent leur don intellectuel

Quand les enfants doués refusent toute définition en ce sens les concernant, leurs parents savent compenser à peu près ce déni en leur proposant des activités, des occupations qu'ils aimeront, répondant à des besoins non formulés, mais réels : c'est une nécessité d'alimenter un enfant doué avec des nourritures qui lui permettront de goûter à des joies encore inaccessibles aux enfants de son âge.

Quand les enfants doués refusent leur don intellectuel
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Tout semble si naturel avec lui que ses caractéristiques ne paraissent pas aussi remarquables qu'elles le sont dans la réalité : il se révèle bon musicien ou bon dessinateur, son imagination est débordante, ses récits bien structurés et il est particulièrement habile dans les sports qui l'attirent. Toutes ces qualités ne sont pas réunies chez tous les enfants doués et certains n'ont pas envie de développer particulièrement leur don, ils y voient du travail en plus. Ils sont doués pour la musique, leur sensibilité y fait merveille, mais travailler en plus des contraintes scolaires leur paraît impossible.

L'étape de l'adolescence et de la différence

C'est à l'adolescence que cette armure commence à se fissurer. En s'y appliquant bien et avec l'aide de parents attentifs, l'existence était satisfaisante, mais quand l'autonomie devient plus grande des failles apparaissent, elles signalent le fossé entre l'adolescent doué pour qui tout allait vraiment bien et celui qui se rend compte avec consternation qu'il s'éloigne peu à peu de ses camarades, la distance grandit insidieusement, jusqu'à devenir presque douloureuse à constater. Les centres d'intérêt, les lectures, la façon d'aborder les sujets d'actualité, tout devient différent, mais d'une façon sournoise qui fait que l'adolescent se demande s'il se fait des idées, ou bien si cet écart qui se creuse est une réalité.

Seul face aux autres, qui étaient des copains il y a peu, il cherche des raisons pour expliquer la distance qui s'installe, inexorablement semble-t-il. Il s'est appliqué à oublier cette histoire de don intellectuel dont on a voulu l'affubler autrefois, il bloque alors des voies qu'il imagine comme des impasses ne le concernant pas.

La difficulté à faire des choix pour son avenir

C'est aussi à ce moment qu'il doit choisir une orientation, alors que rien ne l'attire véritablement, puisqu'il ne parvient pas à se former de lui une image très nette. On dira qu'il est normal à son âge d'hésiter à faire un choix, mais justement les autres, ses copains qui lui paraissent si superficiels maintenant, savent dans quelle direction s'orienter, même si c'est encore flou, ils ont une idée des domaines qui les attirent. Pour des raisons qui lui échappent, il lui semble que les routes qu'on doit emprunter sont opaques, alors que ses résultats scolaires sont toujours aussi satisfaisants sans même qu'il se donne réellement du mal.

Depuis le début de sa vie scolaire, il travaille modérément et cela suffit. Peut-être est-ce d'ailleurs cette aisance qui l'empêcherait de privilégier un domaine particulier puisque tout est facile : sans effort, on méconnaît le plaisir de la victoire, tout est noyé dans une indifférence grisâtre, mais parents et professeurs voient dans cette réussite une marque d'équilibre. Un élève qui réussit va bien. Ses goûts se préciseront plus tard, en attendant, il peut suivre les filières plus exigeantes, pour avoir un choix plus vaste.

Ne pas admettre son don

L'adolescent incertain ressemble à ces personnes touchées par une maladie évolutive et irrémédiable, mais dont la progression est très lente. Elles peuvent se leurrer un certain temps en occultant les premiers signes et en les justifiant par des explications plausibles pour qui ignorerait leur état. Elles seules savent la vérité.

Cet adolescent qui a toujours réfuté la réalité de son don intellectuel ne peut pas l'oublier complètement, mais il pense qu'il aurait l'impression de basculer dans un autre univers, où il ne serait pas non plus à sa place puisque lui sait bien qu'il n'est pas doué. Il en a de multiples preuves alors que rien ne démontre qu'il posséderait ce don, à l'exception de la personne qui lui avait proposé des " jeux ", d'ailleurs faciles et amusants, dans son âge enfantin. C'est un peu léger… En revanche, il est tout à fait certain qu'il serait dans une situation impossible d'imposture s'il tenait ce don pour acquis.

Trouver une voie possible

Il traverse une période de malaise comme tous les adolescents en connaissent, le sujet est traité par quantité de psy, les causes ne manquent pas, il n'a même pas envie de se documenter, il se méfie et voilà tout. Pourtant, il ne peut pas éviter tous les pièges, il risquerait même d'être particulièrement vulnérable. Au hasard d'une rencontre, d'une émission ou d'un cours en classe, il perçoit une voie possible puisque, depuis peu, cette idée se répand dans la société, attrayante pour ceux qui sont à la recherche d'eux-mêmes : peut-être n'est-il pas ce qu'il semble être, son entourage ne l'aurait jamais vu réellement et se serait laissé prendre aux apparences, ce serait une grille de lecture possible, avec l'attrait de pouvoir s'insérer dans un groupe de semblables et de connaître enfin un sentiment réconfortant d'appartenance. De surcroît, des adultes bienveillants et spécialisés peuvent le guider dans ses premiers pas.

C'est une tentation à laquelle certains succombent avec soulagement : tout est enfin en ordre, ils ont une explication, un cadre et une feuille de route, même s'ils ressentent confusément qu'il y a sûrement d'autres explications et d'autres voies moins compliquées à emprunter. La tentation est grande de prendre cette voie apparemment facile où, enfin, il ne sera plus livré à ses seules pensées, il aura une réponse à ses questions.

Les répercussions une fois adulte

C'est un nouveau danger qui guette les enfants doués en quête d'eux-mêmes, quand ils n'ont pas accepté une réalité, alors qu'elle pouvait apporter une lumière précieuse, mais elle leur faisait trop peur : ils ne pouvaient pas être doués, ils le savaient au plus profond de leur être. Devenus adultes, cette conviction reste bien ancrée, elle est même encore plus forte et ils cheminent dans l'existence en suivant des voies parallèles à celle qu'ils auraient pu prendre et qui leur a sans doute fait peur par tout ce qu'elle supposait de contraintes dans leur esprit.

Les manifestations de leur don intellectuel restent très présentes, elles surgissent à tout moment, elles étonnent l'entourage, mais eux s'obstinent à rester aveugles à leur éclat. Ils se sont placés en retrait de leur propre vie et ils en cherchent le fil tout en étant persuadés qu'ils ne le trouveront pas, parce que leur destin est ainsi…

Conseils : pour éviter ce gâchis, il est tout de même préférable de faire admettre à un enfant qu'il possède des dons intellectuels en lui démontrant le bénéfice  qu'il peut en tirer et qui lui facilitera la vie. Des lectures, des rencontres, des témoignages où il se reconnaîtra malgré lui peuvent l'aider dans cette acceptation.