Ces ainés qui jouent de leur supériorité

Les relations au sein d'une fratrie sont d'une insondable complexité. S'agissant d'enfants doués, cette complexité est encore amplifiée, comme il est bien naturel avec des enfants aux ressources insoupçonnées et d'une sensibilité toujours surprenante par son intensité.

Ces ainés qui jouent de leur supériorité
©  yiorgosgr

Entre une complicité totale -chacun des enfants restant conforme à sa situation- et une rivalité féroce, existe toute une gamme de comportements pas toujours prévisibles. Le plus pernicieux serait l'attitude d'un enfant plus âgé qui extériorise toutes ses frustrations, ses contrariétés et ses colères en les dirigeant, à peine transformées, vers un cadet. Son incontestable supériorité fait obligatoirement  de lui un objet d'admiration pour le plus jeune qui désire, plus que tout, lui ressembler plus tard et qui ne sait pas dissimuler ses sentiments.

La victime idéale 

C'est une victime toute trouvée, d'autant plus qu'elle ne sait pas se défendre

Une victime qui n'a pour seule défense que des larmes, difficiles à comprendre pour un entourage qui n'est pas toujours sensible au côté sournoisement féroce  de l'aîné. Ce dernier peut d'ailleurs apparaître comme un enfant charmant, un peu taquin parfois peut-être, mais sa vivacité d'esprit fait de lui un enfant apprécié par les adultes de son entourage. On lui pardonne volontiers ses farces et on oublie leur victime. On estimera alors que le plus jeune " chouine " pour un rien et que sa nature trop sensible fait de lui un enfant faible, fragile, trop vite blessé par des peccadilles qui feraient rire des enfants mieux armés. 
En fait, ce terrain est longuement travaillé par de petites piques d'apparence anodine et par des remarques d'allure banale mais qui ne ratent pas leur cible, déjà sensibilisée par sa position trop souvent vécue comme irrémédiablement " inférieure ", ce qu'on ne manque pas de lui rappeler. Ce n'est jamais très méchant, d'ailleurs les parents, dans un rôle d'arbitre, ne voient pas où est le mal, à moins qu'ils n'aient, eux-mêmes connu une situation analogue : ils saisissent alors la situation sans explication complémentaire, ils décèlent l'agressivité larvée, parfois cruelle, tout comme la détresse totale de la victime qui ne peut pas se défendre. Si l'aspect tragique de cette situation éternellement renouvelée leur échappe, ils ne voient que plaisanteries sans arrière- pensée ou bien remarques spirituelles au sujet d'un enfant à la susceptibilité maladive dont les manifestations sont si fréquentes qu'on finit par ne plus leur porter attention.
On ne songe pas que cette situation  inlassablement recommencée puisse laisser des traces durables, fragilisant encore  une personnalité rendue plus  vulnérable par ces attaques continuelles. Même s'il y a des accalmies, parce que l'aîné est momentanément  occupé ailleurs, la menace ne se dissipe pas, il saisit, malgré tout, la moindre occasion propice à une moquerie d'une drôlerie et d'une légèreté qui la lui fait pardonner.

Des répercussions au long cours 

L'empreinte est profonde

Cette relation est extrêmement nocive : quand elle semble se reproduire dans la vie adulte, celui qui a été victime se sent à nouveau sans défense face à quelqu'un qui serait plus grand, plus fort et plus savant, il se pense privé de moyens de défense et il peut même s'imaginer que l'entourage estimera cette situation normale et que c'est lui qui est irrémédiablement trop faible.
Le sexe importe peu : que ce soit deux frères, deux sœurs ou bien une sœur et un frère, le mode de relations est exactement le même avec des réactions parfois excessives si la configuration de l'enfance se retrouve. La situation devient cauchemardesque si les deux protagonistes adultes rejouent leur enfance, l'identification à l'enfant qu'ils ont été est massive, totale, sans même qu'ils soient conscients de cette similitude parfaite. Les dégâts peuvent être considérables pour le cadet, persuadé en son for intérieur, de son impuissance à se défendre et aussi de l'incompréhension de l'entourage face à l'horreur de cette situation. Encore une fois, il est seul pour se débattre face à des attaques en rafales qui le blessent toujours profondément, puisqu'elles touchent des blessures encore mal cicatrisées. S'y ajoute le sentiment accablant que la scène va se répéter éternellement : il y aura toujours un aîné ricanant et supérieur qui se dressera sur sa route pour lui rappeler son inéluctable infériorité. On voit bien l'impérieuse nécessité de se montrer attentif à une situation entraînant de si graves conséquences ; elles exigeront plus tard un travail que l'adulte devra faire sur lui-même pour combattre ces traces, mais, auparavant, il lui faudra identifier les causes lointaines de son malaise.

Traiter le problème à la source

Il peut être aidé dans cette recherche par son aîné lui-même, et bien malgré lui : il retrouve dans certaines occasions son attitude moqueuse et supérieure, comme si rien n'avait changé et qu'il s'agissait, le concernant, d'un droit qu'on ne saurait remettre en question. S'agissant de deux sœurs, une rivalité concernant l'aspect physique peut encore aggraver la situation : le décalage dans l'évolution est parfois plus marquant, la "jeune fille" ne manque pas de rappeler son avantage sur une cadette encore bien plate.
Tous les cas de figure sont possibles, chacun recelant son lot de flèches adaptées à la configuration familiale.
Quant à cet aîné si souvent supérieur, il peut aussi  garder des traces néfastes de son attitude et paraître alors impitoyable, cruel même parfois, tandis que lui n'aura pensé exprimer que gentilles moqueries  sans la moindre intention de se montrer blessant; son image risque d'en être longtemps entachée.