Les médecins signalant les cas de maltraitance mieux protégés ?

Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, huit associations demandent l'abandon des sanctions disciplinaires contre les médecins signalant les cas de maltraitance infantile ou d'inceste, afin de "corriger les dysfonctionnements".

Les médecins signalant les cas de maltraitance mieux protégés ?
© tatyanagl-123rf

 

"Les médecins ne sont à l'origine que de 5% des signalements"

La Commission inceste (Ciivise), qui appelle les professionnels de santé à repérer les cas de maltraitance et d'inceste, souhaite que ces derniers soient mieux protégés. En effet, de nombreux médecins ou professionnels de santé se retrouvent découragés au moment de signaler un cas d'inceste ou de maltraitance infantile. Selon la Haute Autorité de Santé, les médecins ne sont à l'origine que de 5% des signalements. Et pour cause : ils se retrouvent souvent poursuivis par les parents agresseurs et ont peur des représailles. Dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron et consultée ce 31 mai par l'AFP, huit associations de protection de l'enfance (CDP Enfance, Reppea, Protéger l'enfant, Peau d'Âme, #WeToo, Prévenir et Protéger, Collectif Enfantiste, Innocence en danger), de professionnels ou de mères réclament au président de la République l'arrêt des sanctions disciplinaires du Conseil de l'ordre contre les médecins signalant les cas de maltraitance infantile. Ces structures demandent à "corriger les dysfonctionnements" et souhaitent que "chaque fois que les termes 'syndrome d'aliénation parentale', 'aliénation parentale' (...) sont utilisés par un juge ou par un expert, une contre-expertise soit systématiquement effectuée et que la décision finale soit prise de façon collégiale". 

En mars dernier, la Ciivise avait livré ses recommandations concernant l'inceste, après avoir travaillé pendant un an et recueilli plus de 11 000 témoignages. Parmi les conclusions : le dépistage des victimes de maltraitance et d'inceste, par les professeurs, les médecins, les avocats, les éducateurs, les assistants sociaux, les puéricultrices, mais aussi les infirmiers et les instituteurs. La Ciivise demandait de mettre en urgence l'enfant en sécurité, quand une violence est détectée, mais aussi d'accompagner les personnes qui donnent l'alerte en créant une cellule nationale de soutien aux professionnels confrontés à des situations d'enfants victimes de violences sexuelles. Elle proposait de sécuriser juridiquement ces personnes afin qu'elles ne puissent pas être attaquées après un signalement.

La sanction contre la pédopsychiatre Eugénie Izard annulée

En décembre 2020, Eugénie Izard, pédopsychiatre, avait été suspendue durant trois mois après avoir signalé des soupçons de maltraitance sur une petite fille âgée de 8 ans auprès du juge des enfants. Elle soupçonnait en effet le père de la fillette, qui l'avait alors poursuivie, en 2015, devant le Conseil de l'ordre pour "immixtion dans les affaires de famille". Ce lundi 30 mai, le Conseil d'Etat a finalement annulé cette interdiction provisoire d'exercer la médecine. Les adultes et professionnels de santé qui cherchent avant tout à protéger les enfants victimes de maltraitance infantile "se heurtent très souvent à un mur d'attaques virulentes de la part du Conseil de l'ordre des médecins et de l'institution judiciaire, dispositifs pourtant chargés de la protection de l'enfance", dénoncent les associations.

Commission sur l'inceste : quelles recommandations ?

Créée en mars 2021, la Ciivise a concentré ses réflexions autour du repérage des victimes, du traitement judiciaire, de la réparation et de la prévention de ces violences. Les témoignages recueillis montrent que les victimes d'inceste sont majoritairement des femmes, que l'âge moyen des victimes se situe entre 7 et 8 ans, que les faits sont souvent révélés tardivement et que le père est très souvent impliqué. Face à ce constat accablant, la Ciivise a fait une série de recommandations :

  • Mieux repérer les victimes, mettre en urgence l'enfant en sécurité, et accompagner les personnes qui donnent l'alerte, en adaptant la loi de manière à ce que les professionnels de santé ne puissent pas être poursuivis après un signalement.
  •  Améliorer le traitement judiciaire des victimes. La Ciivise recommande que les signalements relatifs à des violences sexuelles soient adressés directement au procureur de la République et que les auditions des enfants soient réalisées par un membre des forces de l'ordre "spécialement formé et habilité". Elle appelle aussi de ses voeux une amélioration de l'information des victimes qui doivent pouvoir connaître l'avancement des procédures judiciaires et  "la suspension de plein droit de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant"
  • Généraliser les soins et indemniser les victimes. La Ciivise recommande aussi de rembourser intégralement les frais de médecin-conseil et de réparer le préjudice sous la forme d'une somme d'argent versée quand la victime est mineure, avec réévaluation du montant à sa majorité, lorsque une évaluation peut être faite des préjudices subis. Enfin, elle demande que soit mis en place un préjudice intrafamilial spécifique en cas d'inceste.

Visites de dépistage au primaire et au collège, formation, quelles mesures à l'école ?

Le 23 janvier 2021, Emmanuel Macron avait annoncé de nouvelles mesures pour mieux protéger les enfants contre l'inceste. Il souhaite mettre en place un accompagnement psychologique intégralement pris en charge et deux visites de dépistage et de prévention au primaire et au collège dans toute la France. Ce 23 février, Jean-Michel Blanquer et Adrien Taquet avaient mis en place un groupe de travail composé des deux ministères, d'experts et d'associations qui œuvrent pour la protection de l'enfance. 

  • Visites médicales. Assurer des temps dédiés à la détection des violences lors des visites médicales de dépistage,
  • Formation des professionnels qui travaillent auprès des enfants. Prévoir un module spécifique de détection des violences sexuelles dans la formation initiale et continue des professeurs et des personnels de l'Education nationale.
  • Associations. Accompagner et faciliter les interventions d'associations spécialisées dans la détection et la prévention des violences. "Il est temps de répondre à l'urgence du changement mais également de rompre avec le déni et le silence sur lesquels notre société s'est en partie construite" avait déclaré Adrien Taquet dans un communiqué du 23 janvier. Le Secrétaire d'Etat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles, souhaite ainsi mettre en place "un dispositif d'accompagnement de la prise de parole des victimes permettant une orientation et un appui, en lien avec les associations et structures concernées".
  • Sensibiliser les élèves. Compléter l'éducation à la sexualité avec des modules spécifiques de sensibilisation des élèves et de prévention des violences sexuelles ;
  • Mettre à disposition des professionnels des ressources claires.

Le ministère de l'Education nationale rappelle que ces mesures viennent renforcer la politique de prévention actuelle qui prévoit la sensibilisation des élèves lors des cours d'éducation à la sexualité, le signalement et le repérage par l'école (en partenariat avec Enfance en danger et le 119), ainsi que la formation "éducation et sexualité". En outre, "un vadémécum spécifique aux violences intrafamiliales paraitra prochainement pour mieux reconnaitre les signaux d'alertes et accompagner les élèves victimes" précise le ministère.

Comment parler de l'inceste à son enfant et le protéger ?

Les instituteurs et les professeurs vont donc évoquer davantage directement ou indirectement l'inceste à l'école, mais comment le faire à la maison sans effrayer pour autant son enfant ? Les associations de protection de l'enfance recommandent d'en parler le plus tôt possible. Ils insistent également sur le fait qu'il faut parler le plus tôt possible de l'inceste aux petits en le nommant dès qu'ils sont en âge de comprendre ce terme. Ainsi, dès que votre enfant atteint l'âge de 5 ans, vous pouvez lui parler de la notion de respect de son propre corps. A partir de 7 ans, il devient plus autonome et peut pratiquer une activité sans vous. Il devient alors utile de parler des violences sexuelles.

  • Des livres pour comprendre. Vous pouvez aborder le sujet grâce à un livre. La Voix de l'enfant en recommande plusieurs comme notamment Te laisse pas faire – Les abus sexuels expliqués aux enfants, de Jocelyne Robert (Ed. L'Homme) dès 4 ans ou Lili a été suivie, de Dominique de Saint Mars et Serge Bloch (Ed. Calligram) dès l'âge de 6 ans. 
  • Un livret utile : Vous pouvez aussi lire avec votre enfant un livret proposé par le magazine Astrapi. Intitulé "Stop aux violences sexuelles faites aux enfants", il donne des clés aux enfants grâce à des situations concrètes évoquées sous forme de bandes dessinées. Il raconte ainsi l'histoire de Diane qui ne sait pas comment réagir face à son oncle "pas gentil".
  • La toilette, un moment privilégié pour expliquer le corps. Pour comprendre ce qu'est l'inceste, les enfants doivent bien connaître leur corps et comprendre qu'il leur appartient et que les adultes, quels qu'ils soient, ne doivent pas en faire ce qu'ils veulent. Vous pouvez ainsi profiter de la toilette pour évoquer cette question avec l'enfant. Martine Brousse, présidente de La Voix de l'enfant, conseille aussi aux parents d'apprendre le plus tôt possible à leurs enfants à se laver seuls et notamment le sexe en leur disant que plus tard ce sont eux qui décideront qui aura le droit de le toucher !