Au Festival de Hyères, faire émerger la mode de demain

Avec un mot d'ordre, "résistance" et en ligne de mire, l'avenir, le Festival de Mode et de Photographie de Hyères réunit dans la convivialité grands noms et fine fleur de la jeune création depuis 35 ans. Anatomie d'un tremplin unique.

Au Festival de Hyères, faire émerger la mode de demain
© Mitia Bernetel

Le 18 octobre se clôturait la première occurrence automnale du Festival International de Mode et de Photographie de Hyères. Pour cause de confinement, la 35ème édition anniversaire a dû troquer les premiers jours de printemps habituels contre l'arrière saison, les masques et les gestes barrières. Pourtant, ni les distanciations, ni les frimas matinaux n'ont entaché la chaleur de la Villa Noailles, bien au contraire. Plus heureux que jamais de se réunir malgré tout pour célébrer l'art et la créativité, jeunes talents, journalistes et professionnels de la mode laissaient planer dans l'air l'émotion de leurs retrouvailles. Parti de rien, le rendez-vous initié par Jean-Pierre Blanc il y a trois décennies est devenu à la fois le plus prestigieux et le plus convivial des rendez-vous de la mode émergeante.

Jean-Pierre Blanc, fondateur du FIMPH © Emilie Kirsch

À 20 ans, le jeune étudiant en commerce a eu, avec un groupe d'amis, l'idée de créer un festival de jeunes créateurs chez lui, à Hyères. Il plante le décor : "C'était les années 80, il y avait Jack Lang au ministère de la culture, un état d'esprit qui permettait de penser que tout était possible et la mode était très énergisante et énergique." Ses premiers stages le sensibilisent aux difficultés que rencontrent ceux qui débutent dans le métier. La conjoncture est fertile et l'homme, passionné : avec le soutien des institutions publiques, le Festival "prend" tout de suite. À peine 5 ans après sa création, John Galliano préside le jury de 1991, et l'année suivante Helmut Lang, Martin Margiela et Jean Touitou répondent présents. Il faudra tout de même attendre une dizaine d'éditions pour que les partenaires privés se joignent à l'aventure (Chanel en 2014) et que les festivités s'installent à la Villa de Charles et Marie-Laure de Noailles, s'inscrivant dans le sillage du fameux couple de mécènes, en 1986.

Les forces vives de demain

D'illustres lauréats comme le duo Viktor and Rolf, Anthony Vaccarello (Saint Laurent), Julien Dossena (Paco Rabanne) ont assis la réputation du tremplin. Consécration, en 2018, le duo Botter a été directement embauché chez Nina Ricci, témoignant de la pertinence de la sélection. Cette année, l'audace de Tom Van Der Borght (Mode) et l'artisanat éco-responsable de Ddiddue & Juana Etcheberry (Accessoires) ont été récompensés. Preuve de plus, s'il en fallait, que les futures réponses de la mode sont à aller chercher du côté des regards neufs. A plus forte raison quand l'époque s'assombrit. Car si des générations entières de jeunes pousses se sont succédés à Hyères, "l'énergie et l'enthousiasme qui les caractérisent sont restés les mêmes" observe Jean-Pierre Blanc. 

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Le travail de Félicie Eymard en lice pour le prix Accessoires de Mode © Philippe Jarrigeon

Un autre trait, plus étonnant, caractérise ceux que nous avons croisés lors de cette édition 2020 : l'absence totale d'esprit de compétition. "Rencontrer d'autres designers aux processus différents, des professionnels qui ont un vrai œil sur l'artisanat mais aussi sur la commercialisation" voilà ce qu'est venue chercher Félicie Eymard, en lice dans la catégorie Accessoires. Les ateliers Hermès, les métiers d'arts Chanel, Swarovski, Chloé… les candidats sont accompagnés par l'élite de la création. Ces derniers remettent leurs propres prix, leur permettent de réaliser des pièces à leurs côtés comme Hermès pour l'accessoire, Chloé pour la mode ou American Vintage pour la photographie. "On a déjà gagné en venant ici, humainement." renchérit-elle, alors que d'autres, comme Céline Shen (Mode), parlent carrément de "Famille". Un lien exceptionnel qui se confirme à la remise des prix dans l'émotion partagée par les vainqueurs, les jurés et leur promotion. 

Avec le Prix LVMH ou encore celui de l'ANDAM, le rendez-vous figure parmi les plus importants à l'international pour les jeunes créateurs qui candidatent d'ailleurs depuis le monde entier. Mais l'action de ce qui est devenu un centre d'art d'intérêt national se ressentent peut-être encore plus à échelle locale. Floriane, ex-employée d'un centre de loisir de la région et de la Villa Noailles se rappelle avec tendresse des ateliers avec des enfants défavorisés. "Il n'y avait pas de différence entre les enfants et les stars, c'était simple. Jean-Pierre les remerciait de leur visite. Eux, par la suite, reconnaissaient à la télévision les designers qu'ils avaient croisés." S'il aimerait faire table rase pour réinventer complètement le Festival de demain, une chose est sûre, Jean-Pierre Blanc honore avec fierté ses engagements auprès des jeunes générations et n'est pas prêt d'arrêter sa [trans]mission.

La Villa Noailles à Hyères © Olivier Amsellem