Les 4 phénomènes des années 2010 qui ont bouleversé la mode à jamais

Dans les années 2010, l'industrie de la mode et ses dogmes ont fait l'objet d'une remise en question sans précédent. Influence, boycott de marques, drame dans les usines de fabrication et avènement de nouveaux idéaux l'ont fait basculer à jamais. Retour sur les 4 plus grands chamboulements de la décennie.

Les 4 phénomènes des années 2010 qui ont bouleversé la mode à jamais
© DPA/ABACA

Tumultueuse, la décennie 2010 ? "C'était des années hybrides, autant dans la mode que dans la façon de consommer. Elles ont vu s'opérer un changement générationnel pour basculer dans l'âge du digital." C'est en ces termes que Dinah Sultan, prévisionniste de tendances mode au sein du cabinet Peclers résume les années qui s'achèvent. Il faut dire qu'en 2010, les tendances de la mode, mais aussi sa structure se sont radicalement modifiées. Elles laissent peu à peu place à de nouvelles ambitions, plus inclusives et éthiques. Comment en est-on arrivé là ? Découvrez les quatre pivots qui ont transfiguré la mode. 

L'ère digitale

En 2010, la plupart des personnes équipées de smartphones en possèdent un à clavier et, pourtant, ils n'auront bientôt plus qu'un "double tap" à opérer sur leur écran pour prendre part à la nouvelle odyssée de la mode : Instagram. La grande vague Facebook s'estompe peu à peu, mais ce réseau (ainsi que Snapchat, Twitter, Tiktok) va faire basculer la mode dans l'instantanéité. "Les révolutions digitales ont beaucoup bouleversé la manière de diffuser et de vendre la mode" souligne Jean-Pierre Blanc, fondateur du festival d'Hyères. Au point qu'elle se demandera sérieusement à quoi bon faire défiler les collections avec 6 mois d'avance, autant les commercialiser tout de suite en see now, buy now. les marques françaises refuseront ce mouvement.

Plus le temps non plus de lire les blogueuses sur Wordpress, elles deviennent des Instagrameuses que l'on follow et like et dont on achète même les griffes. L'influence est née et avec, le désir frénétique des marques d'en être. Et pour cause, pour cibler les millenials (puis la génération Z), il vaut mieux miser sur le business sur application. "Cette génération a plus de loisirs, elle déserte les magasins, possède davantage de smartphone que d'ordinateurs à la maison" explique Dinah Sultan. 

Si le smartphone est un nouveau portail d'accès à la mode, il constitue aussi une arme redoutable. Les réseaux sociaux ont permis l'émergence de nouvelles voix qui pointent du doigt les copies et autres faux-pas des marques, avec en tête de file, le compte instagram Diet Prada. Des lanceurs d'alerte en somme, qui finissent par constituer un contre-pouvoir, puisque que leurs dénonciations se soldent par des boycotts et des fermetures de boutiques. L'enseigne Dolce & Gabbana a pu en faire les frais en Chine, à la suite de commentaires racistes signés Stefano Gabbana. "L'accès à l'information est devenu facile pour les consommateurs, les marques ne peuvent plus se défausser" poursuit-elle. De quoi pousser les enseignes à réfléchir. 

Dates clés : Octobre 2010 lancement d'Instagram ; 2016 vague du "See now, buy now"; 2018, boycott de Dolce & Gabbana

La démocratisation des représentations physiques

Fini les années "brindille" dominées par le modèle Kate Moss et son physique fluet : la décennie passée a ouvert son spectre à la pluralité des corps. Et ça a commencé dès 2010, avec un défilé Jean Paul Gaultier mémorable, introduit par la chanteuse Beth Ditto. "Ce qui compte c'est la personnalité, il n'existe pas qu'une forme de beauté stéréotypée" déclare ce dernier. Comme souvent, il voit juste. La star de téléréalité Kim Kardashian devient ultra populaire et les courbes de sa fratrie s'imposent peu à peu comme une nouvelle référence. "Des voix se sont élevées contre les injonctions du type "l'été arrive : fais un régime" et le discours s'est changé en "Comment embellir ce que tu as déjà"" pointe Dinah Sultan. 

Hashley Graham ("plus size"), Valentina Sampaio (transgenre), Halima Aden (voilée), Winnie Harlo (atteinte de la maladie de peau vitiligo) et bien d'autres mannequins ont pu émerger dans cette décennie de plus en plus diversifiée où les leaders d'opinions luttent pour que personne n'ait plus honte de ce qui il est. "La mode a changé de manière impressionnante depuis mes débuts en 2013" constate le top Cindy Bruna : "À présent, on veut que la mode représente le monde". Sur les podiums, on assiste au bashing régulier et à la perte d'intérêt pour les marques qui ne montrent pas assez de diversité, comme Victoria's Secret. Cela concerne aussi les magazines et bien sûr, l'offre des marques. Le carton de Fenty by Rihanna, avec ses 50 teintes de fond de teint et 40 tailles de soutien-gorge en est le point d'orgue. Pourvu que ça dure. 

Dates clés : 2010 Beth Ditto défilé pour Jean Paul Gaultier ; 2014, Kanye West épouse Kim Kardashian ; 2017, un décret rend la mention "photo retouchée" obligatoire ; 2019, annulation du défilé Victoria's Secret

Les tops accompagnés du créateurs éponyme Tommy Hilfiger lors de la fashion week de New York en septembre 2019 © Brazil Photo Press/Splash News/ABACA

Le boom streetwear 

Si les années 2010 ont indéniablement tendu vers une mode moins dictatoriale, il n'en reste qu'une tendance a largement éclipsé les autres : le streetwear. Evidemment, le vestiaire urbain, n'est pas né en 2010. Mais pour la première fois, il "adopte le fonctionnement de la mode". La faute en partie au phénomène Stan Smith. Le coup de génie d'adidas ? Arrêter la production de la tennis iconique en 2013, avant de la relancer dans un circuit plus exclusif en 2014. La basket devient un objet du désir pour tous. S'ensuivront maintes collab' entre marques de sport et marques mode (Riccardo Tisci X Nike, pour n'en citer qu'une), souvent disponibles chez colette qui vit ses heures de gloires.

Mais la vague streetwear émerge aussi du côté des designers. Très tôt, la basket entre en collision avec le monde du luxe et le résultat fait des étincelles. Isabel Marant lance un OVNI : la basket à talon Beckett, bientôt aux pieds de toutes les filles cools, les convaincant du potentiel des chaussures de sport. Parallèlement, de nouveaux noms avec un fort penchant pour la chose comme Alexander Wang, Kim Jones et bien sûr Virgil Abloh trustent les meilleures places dans les grandes maisons. Après plusieurs tentatives, le rappeur Kanye West, parvient même à devenir créateur avec le soutien d'adidas. Aujourd'hui, la Fédération française de la chaussure estime que la sneaker représente 47 % du marché (9 milliards d'euros) et personne ne s'étonne d'une casquette Balenciaga ou d'une banane Burberry. 

Dates clés :  2009 Kanye West collabore avec Louis Vuitton puis Nike ; 2011, lancement de la basket à talon Isabel Marant, 2012, Alexander Wang prend la DA de Balenciaga ; 2014, relance de la Stan Smith ; 2018, Kim Jones et Virgil Abloh sont nommé respectivement DA des lignes homme Dior et Louis Vuitton

Kanye West lors de son défilé Yeezy Season 1 en février 2015 © NB/WENN.COM/SIPA

L'urgence éthique 

La décennie 2010 a fait violemment basculer la mode dans l'âge de raison. Elle est devenue depuis peu une affaire de grands groupes et de gros sous qui impose un rythme de collections effréné. Premières victimes visibles, les designers en burn out craquent tour à tour. Alexander McQueen met fin à ses jours le 11 février 2010. Un an plus tard, c'est un Galliano sous emprise qui commet un dérapage antisémite et se fait éjecter illico de la direction artistique de Dior. D'autres, comme Marc Jacobs, répètent les cures de désintox.

Mais la tragédie qui marquera le plus la décennie par son ampleur a lieu le 24 avril 2013 au Bangladesh, quand les ateliers de confection du Rana Plaza s'effondrent, faisant au moins 1 127 morts. Le monde découvre parmi les débris les étiquettes de nombreuses enseignes de marques fast fashion et grand public et avec, la responsabilité de la mode dans ce drame et bien d'autres. Reportages choc sur les conditions des travailleurs de la mode, autant dans les backstages que les ateliers de confection, et chiffres alarmants sur la pollution achèvent de mettre en cause une industrie aussi majeure que dysfonctionnelle.

Des mesures gouvernementales et propres aux entreprises sont prises, mais les scandales ne cessent pas. En 2018, en marge du mouvement #metoo, de nombreuses affaires éclatent au sujet de grands photographes de mode comme Terry Richardson, Bruce Weber et Mario Testino. "La parole se libère de plus en plus. Et pas que sur la diversité, sur les femmes, les agressions qu'elles peuvent subir. Il y a une solidarité qui se crée autour des femmes sur les réseaux." se réjouit Cindy Bruna. En cette fin de décennie, la donne a changé : les oppresseurs sont pointés du doigt et bannis. Les années qui précèdent 2020 voient de nouveaux enjeux émerger. La mode tente de se mettre dans le droit chemin. RSE, éthique, responsable, voila le nouvel abécédaire en vigueur en cette fin de décennie et qui sera, on l'espère, plus qu'une mode pour 2020.

Dates clés : 11 février 2010 suicide d'Alexander McQueen, 24 avril 2013, effondrement du Rana Plaza ; 2012 et 2017, loi mannequin ; 2018, mouvement #metoo

Effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en avril 2013 © A.M. Ahad/AP/SIPA