Comment le concept-store colette a changé la mode

Après vingt ans d'effusion créative pointue, le concept-store colette ferme ses portes. Retour sur l'impact insoupçonné qu'a eu cet épicentre du cool français sur notre conception de la mode.

Comment le concept-store colette a changé la mode
© colette

Le 20 décembre 2017, colette tire sa révérence. Vingt ans durant, l'enseigne immaculée du 213 rue Saint-Honoré a mis non pas un mais deux points -bleus- d'honneurs à fournir l'offre la plus trendy, la plus arty et la plus exclusive de Paris. Le concept-store fondé par Colette Roussaux et sa fille Sarah Andelman a, plus qu'aucun autre endroit dans la capitale de la mode, été le théâtre des sorties huppées et des rencontres au sommet. Cette machine à succès orchestrée à quatre mains en a même été le metteur en scène, voire l'acteur principal. Alors que colette ferme ses portes définitivement, point sur l'héritage que cette institution a légué à la mode. 

Faire tomber les barrières

Envie de flairer l'air du temps et de repartir avec un t-shirt de la première ligne de vêtements MacDonald's, une paire d'adidas NMD HU signées Pharrell Williams X Chanel, une pochette surprise ou une baffle Saint Laurent X Bang & Olufsen ? C'est chez colette et nulle part ailleurs. Le tour de force de la boutique de Colette Roussaux et Sarah Andelman, c'est d'avoir osé le mélange des genres pour constituer un grand bazar où toutes les strates du cool dialoguent. "Quand Sarah et Colette ont ouvert le magasin, elles voulaient un premier étage dédié à la mode mais surtout dédié à la notion de mixité, mélanger les univers, les créateurs, les microcosmes, les cultures. C'est-à-dire avoir des marques institutionnelles mélangées à de la jeune création. Dès le début les silhouettes étaient mixées, on n'était pas dans l'idée de corner ou de marque par marque." narre Guillaume Salmon, attaché de presse de l'enseigne. La configuration est alors inédite. Ainsi associées, les petites marques bénéficient de l'aura des plus grandes marques qui, elles, récupèrent un peu de leur fraîcheur. Pour Francis Srun, co-auteur du livre Vendre le luxe aux éditions Eyrolles, "Colette est aussi une galerie où les produits sont mis en valeur, sublimés. Les marques présentes bénéficient de 'l'image colette', digne de confiance puisque les marques de luxe sont présentes."  Une façon de faire d'une sélection éclectique un véritable cercle vertueux qui s'est aujourd'hui imposé comme modèle dans les select-stores. 

Le rez-de-chaussée de colette mêlant culture et streetwear © colette

Si le pari fonctionne, c'est que la sélection opérée par l'équipe est toujours guidée par un enthousiasme sincère pour les créations qu'elle déniche. C'est l'heureuse expérience qu'ont faite Hugo Levrier et son associé, parvenus à lancer leur marque de prêt-à-porter Civissum dans le célèbre concept-store. Grâce à une opération séduction, une malle cadenassée contenant leurs t-shirts livrée aux bureaux à l'intention de Sarah, jointe plus tard par une lettre contenant la clé, ils attisent la curiosité de l'équipe. C'était en avril 2013 et un mois plus tard, leur marque est lancée chez colette. "Personne ne peut dire qu'il faut être du sérail pour attirer leur attention. Ils ont pris des risques en nous faisant confiance et nous avons travaillé pendant quatre ans ensemble dans de très bonnes conditions." souligne Hugo Levrier qui se verra également offrir une semaine de visibilité en vitrine pour la collab' Civissum X PSG. Une stratégie au feeling qui fonctionne grâce aux rencontres de Sarah Andelman avec des marques et des produits mais aussi aux rencontres entre différentes entités. Car si le magasin colette a participé à une démocratisation dans la mode, c'est bien celle des collaborations. Originellement pratiquées dans le milieu streetwear, les collections réalisées à quatre mains deviennent la marque de fabrique de l'enseigne. D'abord, Sarah joue le rôle de chef d'orchestre et sollicite des artistes pour collaborer avec les marques, puis c'est au tour du bleu colette, la référence Pantone 293C, de s'infiltrer dans des capsules à succès. En 2010, la collection Hermès X colette représente l'apothéose d'un principe de co-création qui depuis a envahi l'offre mode.

Remettre Paris au centre

Cité comme référence absolue aujourd'hui, colette n'est pourtant ni l'alpha, ni l'omega en matière de concept-store. En 1997, lors que Colette Roussaux, commerçante du Sentier, et sa fille Sarah Andelman, diplômée de l'école du Louvre et en stage chez Purple Magazine, recherchent un projet commun, le principe du bazar branché existe déjà au 10, Corso Como à Milan. Or, rien de semblable n'agitait la capitale de la mode. "Elles voulaient une adresse parisienne, elles se sentaient parisiennes, elles voulaient faire briller Paris aussi, en lui offrant une adresse unique." rappelle Guillaume Salmon. Pour ce projet so french, mère et fille cherchent un nom et après de vives discussions, la première se laisse convaincre par la seconde de céder son prénom. Ce patronyme délicieusement désuet achèvera d'ancrer la boutique dans une symbolique tricolore. 

Sarah Andelman et Colette Roussaux, les fondatrices de colette © WENN/SIPA

Par praticité, Colette et Sarah passent leur temps à modeler le magasin jour après jour, et certainement un peu par stratégie, colette ne sortira jamais de ses murs, ni de la capitale française. "Ca a toujours été une volonté délibérée de n'avoir qu'une seule adresse, au 213 rue Saint-Honoré." poursuit Guillaume Salmon. Résultat, le magasin devient un hub de la hype, le point de convergence des touristes et des professionnels de l'industrie. Un fait confirmé par Jean- François Nicolai, responsable des acheteurs VIP au salon du prêt-à-porter du Who's Next : "Les acheteurs du monde entier passent par colette lors des fashion weeks ! En janvier 2018, je ne sais pas trop ce qu'ils feront…". Grâce à son expertise et son flair, l'enseigne a fait de sa sélection une référence et sert d'inspiration comme de mètre-étalon à pratiquement tous les protagonistes du milieu. "C'est simple, quand on a monté notre projet, on a envisagé deux cas de figures pour la marque, selon notre présence ou non là-bas. Deux semaines après notre lancement en exclusivité chez colette, nous avons reçus des appels de boutiques en Corée, au Japon" se rappelle Hugo Levrier de Civissum. Outre le landerneau, l'adresse du premier arrondissement a également réussi la prouesse de s'imposer comme une référence aux yeux des grandes marques. Pour preuve, Apple qui a pour habitude de ne rien déléguer, la choisit pour lancer en exclusivité son Apple Watch le 24 avril 2015. Les Apple Stores eux, n'auront le droit que la vendre que quelques mois plus tard. En plus d'une file d'early adopters, quatre des piliers de la mode, Anna Wintour, Anna Dello Russo, Suzy Menkes ou encore Karl Lagerfeld sont présents. Si l'enseigne n'a pas été bâtie dans "une logique de conquérir le monde", elle l'a pourtant fait, sans bouger de son angle de rue : Paris est le centre de la fashion sphère et colette son axe de rotation.

Accélérer le rythme de la mode

Avec son terroir, son bon goût, colette a aussi imposé son rythme. Grâce à des exclusivités, des stocks faibles et des séries limitées, le concept-store jouit d'une offre mouvante et très variée. Pour Françis Srun, co-auteur de Vendre le luxe, "Colette crée le rêve par la starisation du produit. Il provoque un achat plaisir d'impulsion: le client a besoin d'emporter une part de cette magie." De quoi créer une constante excitation et faire accourir les clients par peur de rater le coche. Cette frénésie se concrétise dans les fameuses vitrines du 213 rue Saint Honoré qui ont changé chaque semaine pendant les 20 ans d'ouverture. Une fréquence hors norme qui fait de colette un événement permanent. Mais la fête se poursuit bien au-delà de la devanture. En plus de son offre pointue, le magasin s'est démarqué par un lifestyle très élaboré qui a pérennisé son aura. Il se passe toujours quelque chose chez colette. Lieu privilégier des sorties événementielles, le concept-store et son water-bar au sous-sol ont transcendé la notion de magasin pour se transformer en institution. "Cela faisait un moment que les acheteurs n'allaient plus chez colette pour la mode mais pour son offre lifestyle au rez-de-chaussée ou ses collab', événements, drops, signatures…" confirme Jean-François Nicolai du Who's Next. Un lieu de vente qui est aussi un espace de vie et de fête ? L'idée, à forte valeur ajoutée en terme de com', a fait des émules. L'Appartement Sézane, les concept-stores Merci et l'Exception, pour ne citer qu'eux à Paris, font vivre une expérience client exclusive entre ateliers, soirées et restauration. Les griffes de luxe, quant à elles, ne se sont pas privées de ce nouveau sens de la fête, qu'elles mettent en œuvre avec allégresse dans des pop-up stores éphémères voués à différentes causes. Le foulard pour les laveries Hermès "Hermèsmatic", la sneaker Kenzo Move pour Kenzo ou la collab' pour Supreme X Louis Vuitton, autant de boutiques exceptionnelles consacrées à étoffer et à désacraliser l'image de ces marques de luxe.

 

Toutes les bonnes choses ont une fin. Après vingt années exceptionnelles, colette devrait définitivement fermer ses portes le 20 décembre prochain. Colette Roussaux arrive à l'âge où il est temps de prendre son temps ; or, colette ne peut exister sans Colette. Des échanges ont lieu avec Saint Laurent et nous serions fiers qu'une Marque aussi prestigieuse, avec qui nous avons régulièrement collaboré au fil des années, reprenne notre adresse. Nous sommes ravis du grand intérêt que Saint Laurent a montré dans ce projet, ce qui pourrait constituer une très belle opportunité pour nos salariés. Jusquau dernier jour, rien ne changera. colette continuera de se renouveler toutes les semaines comme dhabitude, avec une sélection unique et de nombreuses collaborations, également disponibles sur notre site colette.fr Nous vous remercions pour votre confiance, et à bientôt chez colette, jusquau 20 décembre! #colette BREAKING NEWS As all good things must come to an end, after twenty wonderful years, colette should be closing its doors on December 20th of this year. Colette Roussaux has reached the time when she would like to take her time; and colette cannot exist without Colette. Negotiations are under way with Saint Laurent and we would be proud to have a Brand with such a history, with whom we have frequently collaborated, taking over our address. We are happy of the serious interest expressed by Saint Laurent in this project, and it could also represent a very good opportunity for our employees. Until our last day, nothing will change. colette will continue to renew itself each week with exclusive collaborations and offerings, also available on our website colette.fr We thank you for your support and see you soon at colette--until December 20th! #coletteforever #colette20ans #colette

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Plus forte, plus cool, plus endiablée, la mode qu'a inventé colette a-t-elle ses limites ? Le 12 juillet 2017, la boutique annonce sa fermeture, après 20 ans de bouillonnement permanent. Pour justifier cette fin brutale pour une adresse qui n'a jamais faibli durant deux décennies, l'équipe évoque justement le temps : "Colette Roussaux arrive à l'âge où il est temps de prendre son temps ; or, colette ne peut exister sans Colette." À l'heure où les collections capsules sortent par centaines chaque saison et l'expérience client totale qu'offre le magasin a servi de modèle à toute une génération de boutiques, le précurseur est peut-être bien arrivé au bout de son projet. Les enjeux du secteur se tournent à présent vers la durabilité et la consommation effrénée n'a plus le vent en poupe. Il n'y a qu'à voir comment Arket, le dernier né du groupe H&M, met en avant le storytelling et le sourcing des produits et des matières pour constater que le climat est en train de changer.  Tourner le dos à la frénésie qui n'a cessé d'accroître durant le règne du concept-store serait-il le dernier coup de maître de colette ? "La fermeture de colette a affecté un grand nombre de select shops qui se posent encore la question de leur existence. Maintenant de là à dire que le concept store est has been… Le shop physique tel qu'il est aujourd'hui doit migrer et muter vers quelque chose de nouveau, entre digital et physique, avec une combinaison entre expérience client et singularité de produits qui ont un vrai sens pour le fondateur." analyse Jean- François Nicolai. Qui sera le prochain à mettre la mode sens dessus dessous ?