Pourquoi mon enfant a-t-il peur de tout, tout le temps ?

Peur des araignées, des mouches ou des abeilles, des chiens, peur de se faire gronder, d'arriver en retard... Comment faire pour rassurer son enfant quand il a peur de tout, jusqu'à en être parfois terrorisé ? Saverio Tomasella répond à nos questions.

Pourquoi mon enfant a-t-il peur de tout, tout le temps ?
© sebra/123RF

Sandra est maman d'Adam, âgé de 7 ans. Ce qui l'inquiète, c'est le fait que son petit garçon ait peur de tout, tout le temps. "Il a peur de toutes les bêtes, des abeilles, des araignées, et même des mouches qui volent". Parfois, Adam se met à hurler, à sauter sur le lit s'il voit un insecte rampant. "La dernière fois, il a même cassé la latte du lit et impossible de le calmer". Lorsqu'il voit un chien, il est de nature plutôt méfiante, ce qui est souvent le cas d'autres enfants et plutôt recommandé lorsqu'on ne connaît pas l'animal. Mais Adam se sent immédiatement agressé lorsque le chien de leurs amis s'approche de lui pour jouer. Sa peur va au-delà de la crainte des petites ou grosses bêtes qui peuvent croiser son chemin. Adam a aussi peur d'arriver en retard, d'avoir de mauvaises notes à l'école alors qu'il est plutôt bon élève. "Son professeur nous a dit qu'il était très mignon et sérieux mais aussi angoissé". Adam veut bien faire, mais il a aussi peur de se faire gronder. "On évite de le réprimander, on tente de le rassurer, de dédramatiser s'il casse un verre ou fait une bêtise, mais rien n'y fait. Plus que des peurs quotidiennes, il s'agit pour lui de terreurs, qui l'empêchent parfois même de dormir correctement. Alors d'où viennent ces peurs constantes et comment rassurer un enfant qui a peur de tout ? 

Saverio Tomasella, docteur en psychologie* nous explique les raisons de cette petite peur chez les enfants. Mais il se veut surtout rassurant : "un enfant sans angoisse, sans phobie, sans peur est un enfant qui ne va pas bien. Le fait qu'un enfant manifeste ses inquiétudes est plutôt bon signe".

Pourquoi mon enfant a-t-il peur, d'où viennent ses angoisses ?

Mon enfant a peur des insectes

Pour Saverio Tomasella, docteur en psychologie*, l'enjeu de la mort et la peur du vide sont à prendre en compte lorsqu'un enfant a peur d'une abeille, ou d'une araignée par exemple. "L'enjeu de la mort, c'est quand on craint qu'une morsure, une piqûre, puissent avoir une issue fatale, même si c'est parfois irrationnel. La peur du vide renvoie par ailleurs à tout ce qui est inconnu". Ainsi, l'enfant qui n'a pas encore beaucoup d'expérience peut être effrayé par des insectes, tout comme par une maladie telle que la grippe. "C'est aussi par faute d'expérience de la réalité de la vie que l'enfant se fait une montagne de petites choses". En grandissant, on se rend alors compte que ces petites expériences désagréables ne sont pas si graves.

Mon enfant a peur à la vue du sang

Votre enfant est tombé et n'a pas pleuré... jusqu'à ce qu'il aperçoive du sang sur son genou ? Il s'agit d'un autre type "d'angoisse" assez fréquent. Le spécialiste parle alors de "la peur de notre intériorité du corps". Concrètement, "on a l'habitude de notre extériorité (la peau, les cheveux, nos vêtements...). Mais dès que l'on va voir une plaie avec du sang, ou la chaire, voire un os, on est effrayé : une plaie ouverte, ça fait peur, et certains enfants sont plus impressionnables que d'autres, ça les bouleverse". En tant qu'adulte, on sait que ce n'est pas si grave et que l'on peut se soigner, mais pour un enfant, "l'intérieur du corps est un grand mystère vertigineux", explique Saverio Tomasella.

Mon enfant a peur de se faire gronder

Adam, comme d'autres enfants, est heureux et épanoui à l'école, mais il va stresser s'il arrive en retard, s'il obtient de mauvaises notes de peur de décevoir ses parents et se faire gronder. Que traduisent alors ces inquiétudes ? Plusieurs pistes sont possibles :

  • la peur de l'abandon, qui pourrait être liée à l'expérience de divorce de ses parents, ou à la naissance de son petit frère quelques mois plus tôt. "C'est classique de se sentir "abandonné" quand un petit frère ou une petite soeur né après", nous précise Saverio Tomasella. "Les parents sont à la fois émerveillés, inquiets, plus attentifs au bébé, et cette peur peut se réveiller dans certaines circonstances. Si je n'ai pas de bonnes notes, on risque de m'aimer moins...". De manière générale, l'enfant vit dans cocon avec ses deux parents, et la séparation a une conséquence sur l'enfant. Françoise Dolto parlait de la "continuité géographique" qui cesse au moment du divorce : les enfants doivent alors s'habituer à deux lieux différents, ce qui donne "des angoisses d'abandon inconscientes ou conscientes", explique le spécialiste. "L'enfant va se sentir abandonné, surtout si le divorce se passe mal, ou si à l'occasion du divorce, l'un des parents accorde moins d'intérêt à l'enfant". A noter également qu'au moment du divorce, l'aîné devient une figure de référence très importante. "L'enfant va se brancher sur son grand frère ou sa grande sœur comme une figure parentale d'un point de vue affectif, mais si l'aîné grandit, sort avec d'autres copains ou part faire des études ailleurs, c'est encore un drame d'abandon pour l'enfant qui se sent de nouveau abandonné", précise Saverio Tomasella qui parle de l'angoisse du vide et de la solitude.
  • Au-delà de la question de l'abandon, il peut également y avoir eu une expérience de la relation avec les parents : "l'enfant a pu croire que pour être aimé de ses parents, il fallait qu'il soit bon, parfait, qu'il réussisse. Il y a alors une sorte d'équation qui se dessine chez l'enfant qui pense alors "je ne peux être aimé que si je suis excellent, que je réussi tout et que je ne fais pas d'erreur ni de bêtise". 
  • Enfin, cette peur de mal faire est avant tout une peur de la honte. En effet,"il est possible qu'un enfant ait rencontré à un moment de sa vie une expérience de honte à l'école ou en famille, qui a été tellement douloureuse, quelque part traumatique, pour que cet enfant fasse tout pour ne pas revivre une telle honte publique".

Mon enfant a peur de son professeur

La dernière fois, Adam s'est fait pipi sur lui parce qu'il n'a pas osé demander à son professeur l'autorisation d'aller aux toilettes, puisque celui-ci avait expliqué aux élèves qu'ils ne pouvaient y aller que pendant la récréation". Cela peut s'expliquer par la peur du père, notamment s'il est autoritaire, ou du fait que l'enseignant lui semble strict. "L'enfant a alors peur de désobéir pour être digne du modèle masculin", explique Saverio Tomasella.

La peur liée à la sexualité des parents

"La sexualité des parents est angoissante pour l'enfant quelque soit l'âge, car il ne s'agit pas de la même sexualité" explique Saverio Tomasella. Mais il est possible également que le grand frère, devenant pubère, s'intéresse à la sexualité des adultes en étant curieux. "D'une façon ou d'une autre, si le garçon entend son grand frère en parler, ou surprend des discussions avec ses copains qui ne sont pas de son âge, il se rend compte qu'il est en décalage avec la croissance de son frère qui devient adolescent, et cela peut l'inquiéter". L'enfant ne comprend pas pourquoi cela ne l'intéresse pas autant que son aîné. 

Que faire si ces angoisses empêchent mon enfant de dormir ?

Le sommeil est perturbé par les angoisses sous forme de cauchemars ou de terreurs nocturnes, de rêves pénibles. Saverio Tomasella conseille aux parents de parler avec l'enfant afin qu'il raconte ce qui l'inquiète "plutôt durant la journée qu'avant d'aller se coucher". Si l'enfant fait un cauchemar, "on en parle le lendemain, on le dessine, pour que l'enfant se sente libéré de son angoisse". Pour les plus petits, on peut aussi utiliser des doudous ou des marionnettes et on essaie de tourner la situation avec de l'humour. Votre enfant a peur du loup ? Demandez-lui de le décrire, puis de l'imaginer autrement, de le transformer, avec un chapeau violet, des boucles d'oreilles, en train de faire une danse rigolote. "L'enfant peut avoir besoin de faire 10, 15 ou 30 dessins ou d'en parler de nombreuses fois. Tant que ce n'est pas désamorcé, on prend patience, et on recommence autant de fois que nécessaire", conseille le docteur en psychologie.

Que faire pour rassurer mon enfant qui a peur ?

  • Chez les enfants jusqu'à 7-8 ans, inutile de calmer un enfant qui a peur uniquement avec des mots. "L'enfant va sentir, à travers les mots et l'intonation de notre voix, notre amour, notre tendresse et notre souhait de le réconforter" explique Saverio Tomasella. Mais ce sont les gestes qui auront plus d'effets : "porter l'enfant, lui caresser la tête, la joue, lui faire un bisou, lui dire qu'on l'aime". 
  • On peut aussi dessiner, jouer, et bouger, en imitant le loup, l'araignée, le chien... Et pourquoi pas inventer une danse qui ferait fuir ces bêtes qui l'inquiètent, ou qui les rendrait gentils ?
  • Les histoires pour enfants, à choisir en fonction des âges, peuvent aussi beaucoup aider. Elles impliquent l'imagination et sont parfaites pour dédramatiser en fonction des situations. 
  • Raconter sa propre expérience. "Tu sais, moi aussi, quand j'étais petit, j'avais peur des araignées, ou peur qu'un chien me morde". Cela permet d'humaniser la relation, l'enfant prend alors conscience qu'il n'est pas seul à avoir peur. "Il peut aussi se dire que finalement, cette peur ne vient pas de lui, qu'elle n'est pas la sienne, mais celle de ses parents".
  • Montrer que de simples gestes peuvent nous protéger. L'enfant a peur d'une araignée et vous aussi ? La mettre à l'extérieur de la maison est un geste rassurant, qui permet de montrer à l'enfant qu'il y a des solutions et qu'il est possible de s'en débarrasser. 
  • Lui apprendre les règles avant d'approcher les animaux. Ne pas paniquer, ni faire de gestes brusques face à une abeille qui pourrait être effrayée et se sentir attaquée, tendre la main devant un chat ou un chien avant de vouloir le caresser, sans pour autant s'approcher des animaux qu'on ne connaît pas, dans la rue par exemple. Et bien sûr, s'éloigner des chiens qui nous semblent hargneux. Enfin, pour approcher un cheval, ne jamais passer derrière lui sans prendre ses distances et lui tendre la main avant de le caresser sur le museau. Néanmoins, ne forcez jamais l'action de l'enfant en lui avançant sa main pour caresser un animal, car il n'est peut être pas prêt"Il a besoin de voir comment ça se passe avant de tenter par lui-même, s'il en a envie".
  • A l'école, ne pas mettre la pression aux enfants. "Nous sommes en France dans la culture de la notation et de l'évaluation", note Saverio Tomasella. Mais de nombreux pays comme l'Allemagne, la Scandinavie, la Grande-Bretagne, ainsi que la Belgique et la Hollande... ne font pas de focus sur les notes des élèves, ce qui est beaucoup plus facile pour les enfants. "Le mieux est de ne pas accorder d'importance à la note, mais de s'intéresser aux compétences de l'enfant, savoir s'il est content de ce qu'il a fait", conseille Saverio Tomasella, "d'autant que les évaluations dépendent des critères du  professeur". En outre, les études de Céline Alvarez, et du centre de développement de l'enfant à Boston montrent que les compétences d'action de l'enfant sont beaucoup plus importantes que les résultats scolaires et les compétences intellectuelles. Ainsi, "un enfant qui va savoir exprimer ses émotions, parler avec quelqu'un, organiser son travail ou ses jeux, participer à des activités avec les autres... de façon sûre, vont non seulement avoir de meilleures notes dans leurs apprentissages académiques, mais aussi avoir de meilleures relations et se sentir plus à l'aise en société et dans le travail plus tard", explique Saverio Tomasella. 
  • Prendre en considération la peur de l'enfant. Il faut savoir qu'un enfant ne fait pas de "caprices" lorsqu'il a peur de quelque chose. "S'il exprime une émotion, soit il est dépassé par une situation, soit il a un besoin qui n'est pas comblé, mais dans tous les cas, l'enfant a besoin de notre attention". On en tient compte, on voit comment ça évolue, on en parle et on reste à l'écoute.
  • Ne pas dramatiser les peurs de son enfant. "N'ayez pas peur des peurs de votre enfant et ne les dramatisez pas" conseille le spécialiste. En effet, cela risquerait de créer "une émotion combinée", c'est-à-dire la peur de l'enfant et celle du parent, ou le jugement du parent par rapport à cette peur.

*Merci à Saverio Tomasella, docteur en psychologie et auteur de "Petites peurs et grosses terreurs", et "Hypersensibles : trop sensibles pour être heureux" aux éditions Leduc. 

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