Violences obstétricales : "le médecin a commencé à me recoudre à vif"

Maman d'un petit garçon de deux ans et demi, Marine a vécu une grossesse et un accouchement catastrophiques. Mal accompagnée, victime de violences obstétricales, elle se confie sur ce qu'elle qualifie de "pire expérience de sa vie."

Violences obstétricales : "le médecin a commencé à me recoudre à vif"
©  Natalia Deriabina

Dans l'immense majorité des cas, la grossesse et l'accouchement se déroulent dans de bonnes conditions. Les femmes ont la chance de bénéficier pour la plupart de l'accompagnement hors-pair de sage-femmes et médecins très impliqués. Mais il arrive parfois que la mécanique bien huilée de l'hôpital se mette à dérailler. Depuis quelques années, la parole se libère et les femmes sont malheureusement de plus en plus nombreuses à témoigner d'actes réalisés sans leur consentement, de gestes violents, de paroles blessantes. C'est notamment le cas de Marine Gabriel qui vient de publier La vérité au bout des lèvres, Combattre les violences obstétricales et gynécologiques (aux éditions Kiwi, 2020). 

Une grossesse sous tension

Marine a 20 ans lorsqu'elle tombe enceinte de son premier enfant. Un bébé qu'elle et son compagnon avaient ardemment désiré. 15 jours à peine après avoir appris sa grossesse, Marine commence à vomir et à ressentir des douleurs très intenses. Inquiète, elle se rend alors aux urgences. Mais l'accueil qui lui est réservé dépasse l'entendement. "L'interne ne m'a pas cru lorsque je lui ai dit que j'étais enceinte. Devant mon insistance, il a malgré tout accepté de me faire une prise de sang qui a évidemment confirmé ma grossesse", explique-t-elle. Le médecin pratique une échographie par voie endovaginale, sans la prévenir, et annonce alors à Marine qu'il ne voit pas l'embryon et qu'il s'agit probablement d'une grossesse extra-utérine. Pour lui, aucun doute, il va falloir pratiquer une IMG (interruption médicale de grossesse). "J'étais sous le choc. Je sentais que ces douleurs n'étaient pas normales, mais j'avais la conviction que mon bébé allait bien. J'ai insisté pour voir un autre médecin et refaire une échographie", se souvient-elle. Marine ne leur laisse pas le choix et pratique l'échographie elle-même, jusqu'à distinguer une petite bulle à l'écran. "L'embryon était bien là, j'ai donc bien fait d'insister", explique la jeune maman. Une fois la grossesse belle et bien confirmée, les médecins ne font que peu cas de la raison de sa venue aux urgences : des douleurs et des nausées constantes. "Il m'ont dit que toutes les femmes enceintes vivaient ça, et que je n'avais qu'à apprendre à vivre avec." Résultat, Marine rentre chez elle sans traitement, ni soutien.  

Le reste de la grossesse de Marine est chaotique. Suivie dans une clinique privée, elle rencontre à chaque rendez-vous un gynécologue différent. La future maman souffre en permanence, elle est à fleur de peau et vomit continuellement. En dépit de la compassion de ses proches, Marine sombre peu à peu. Elle se rend à plusieurs reprises à l'hôpital pour tenter de comprendre l'origine de ces douleurs... et repart à chaque fois avec une ordonnance de Spasfon et de Doliprane. "Je n'ai absolument pas profité de ma grossesse, je n'avais qu'une hâte : que ça se termine. Je préférerais pouvoir l'oublier", confie-t-elle. Ce n'est que quelques semaines avant la fin de sa grossesse qu'un médecin va enfin prendre le temps de faire les examens nécessaires et découvrira alors que la jeune femme souffre de colique néphrétique, des calculs dans les reins. Grâce à un traitement adapté, elle bénéficie de trois semaines de répit avant son accouchement

A l'accouchement, des agressions verbales et des violences physiques

Après une grossesse difficile, Marine vit son accouchement comme une libération. Pourtant, rien ne va se passer comme elle l'avait imaginé. "Je suis arrivée à la maternité à 15h parce que je perdais du sang. Très rapidement, les contractions deviennent très intenses et je suis prise de vomissements. Je réclame un haricot et la sage-femme m'annonce qu'il n'y en plus. Je me vomis donc dessus", relate-t-elle. Couverte de vomi, mais aussi d'urine, la future maman reste nue, la porte de sa chambre grande ouverte sur le reste du service, dans l'indifférence générale. A 16h30, elle est conduite en salle d'accouchement, sans que personne ne prenne le temps de la nettoyer. Une interne tente à deux reprises de poser la péridurale, mais c'est un échec. "J'ai hurlé de douleur, mais elle ne s'est pas excusée, au contraire, elle m'a dit que c'était ma faute", se souvient Marine. Un anesthésiste titulaire retente de poser la péridurale. Le cathéter est posé, mais les douleurs ne cessent pas. La future maman a la malchance de faire partie des femmes chez qui la péridurale ne fonctionne pas. Elle pleure, souffre, mais personne ne la soutient, ni même ne la croit : "Les douleurs étaient atroces, mais on m'a dit que c'était normal. j'entendais les sage-femmes à côté qui parlaient de leurs vacances et de leurs projets, elles m'ignoraient totalement."

Lorsque vient le moment de pousser, Marine en est incapable. La péridurale n'a eu aucun effet sur la douleur, en revanche son bassin est comme paralysé. Le personnel médical pratique alors une expression abdominale, procédé interdit par l'OMS depuis 2007, et appuie violemment sur son ventre pour essayer de faire descendre le bébé. "Vous faites n'importe quoi ! S'il se passe quelque chose pour votre bébé, ce sera de votre faute", lui assène une sage-femme. Voyant que le bébé ne venait pas, un gynécologue est appelé pour pratiquer une ventouse. "Il entre, ne m'a pas dit bonjour, je ne comprends pas ce qui se passe, personne ne m'explique rien. Mon fils naît dans la précipitation et le médecin le jette littéralement sur moi." explique Marine. Malheureusement, le cauchemar de Marine ne s'arrête pas là : "La ventouse m'a littéralement déchiré de l'intérieur. Quelqu'un a donné mon bébé à mon mari et le médecin a commencé à me recoudre à vif, sans anesthésie. Bien sûr j'ai hurlé". Le gynécologue crie sur Marine, la traite de chochotte, lui ordonne de cesser de bouger. Mais la déchirure est si profonde que Marine est finalement endormie totalement. Il faudra plus de trois heures d'intervention pour réparer les dégâts causés par cet accouchement traumatique.

De retour dans sa chambre à l'aube, avec une sonde urinaire et deux mèches de 25cm dans le vagin, Marine souffre le martyre. Elle ne peut ni se lever, ni s'asseoir et encore moins s'occuper de son bébé. Devant l'indifférence du personnel, le séjour à la maternité est finalement écourté par Marine qui préfère signer une décharge pour sortir plus vite. Cet accouchement catastrophique n'a heureusement eu aucun impact sur le lien avec son petit-garçon, mais l'a en revanche durablement marquée, tant physiquement que psychologiquement. Deux ans et demi après la naissance de son fils, elle n'a pas retrouvé une sexualité normale et a développé une forme de vaginisme qui rend les rapports avec pénétration impossibles. Marine ne s'imagine pas retomber enceinte et envisage plutôt l'adoption pour avoir un deuxième enfant.

Balance ton utérus, le compte Instagram qui donne la parole aux femmes

Les deux premiers mois qui suivent l'accouchement sont très éprouvants et si Marine a bien conscience à ce moment-là qu'elle a vécu des choses inacceptables, elle ne connaît pas l'existence des violences obstétricales. Désireuse d'échanger sur ce qu'elle avait vécu, elle créé le compte Instagram "Balance ton utérus". "Je pensais que j'aurais 10 ou 15 abonnés et je n'avais pas du tout anticipé l'ampleur que le compte allait prendre", explique-t-elle. Pourtant, rapidement, les témoignages de femmes affluent et le compte atteint aujourd'hui plus de 40.000 abonnés.

Merci à Marine Gabriel, auteur du livre La vérité au bout des lèvres, Combattre les violences obstétricales et gynécologiques (Kiwi, 2020) et créatrice du compte Instagram Balance ton utérus