Quand l'enfant doué survole sa scolarité

La scolarité des enfants doués ressemble par bien des aspects à une loterie, comme s'il y avait deux routes totalement divergentes sans indication pour savoir laquelle emprunter.

Quand l'enfant doué survole sa scolarité
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Le plus souvent, l'enfant doué qui doit tout de même être aussi un peu chanceux, s'engage tranquillement sur un chemin qui ressemble à un parcours de jeux. Son caractère aimable et accommodant lui permet de s'adapter plus ou moins distraitement à la vie à l'école. Il a des "copains", mais pas de véritables amis, il est populaire, il aime assez l'école où il joue avec entrain aux récréations, qui sont ses intermèdes préférés, reconnaît-il sans détour. Il a vite compris qu'il n'avait pas le choix, alors il va à l'école comme on fait ses courses, c'est une activité à laquelle on ne peut se dérober, elle n'est ni très désagréable, ni particulièrement joyeuse, il faut l'accepter, elle présente de bons côtés, tout comme on goûte l'opportunité d'un bavardage délassant avec des amis rencontrés au hasard de ses courses.

L'enfant doué ne songe pas une seconde qu'il va à l'école pour travailler ; de retour chez lui, il consacre quelques minutes à préparer les leçons et les devoirs pour le lendemain, parce qu'il a bien vu que ses parents seraient fortement contrariés s'il refusait cette corvée. Elle lui coûte si peu que ce n'est pas la peine de se lancer dans des scènes éprouvantes pour tous, uniquement destinées à signaler qu'il s'ennuie et qu'on ne prend pas assez en  compte cette lassitude provoquée par l'absence totale de difficultés à affronter. C'est un bon élève.

Rien n'attire l'attention, l'école et le travail qu'elle demande restent une formalité et tout le monde attend sereinement  les études supérieures, enfin plus intéressantes.

Dans la réalité, tout ne se passe pas aussi tranquillement. Tout à coup, cette route plane, lisse, sans surprise, se transforme en un chemin de plus en plus caillouteux,  il recèle des pièges sournois qui font trébucher ceux qui le suivent, des cailloux roulent sous les pieds de celui qui peine déjà et voit avec effroi le précipice où un pas maladroit pourrait le faire basculer.

Il souffre et s'angoisse, sans comprendre comment une telle transformation a pu se produire sans qu'il s'en rende compte : il n'a rien anticipé, il commençait bien à vaciller de temps à autre, mais il parvenait à se reprendre, il  trouvait, pour justifier ce faux pas, une excuse que tout son entourage estimait acceptable. C'était un incident négligeable dans un parcours sans faute. Il serait même exagéré de s'en préoccuper, tout être est faillible, exiger la perfection est maladroit. Personne ne veut voir la fêlure qui s'amorce.

Un peu plus tard ce chemin devenu si malaisé disparaît, il se perd dans des rochers abrupts, hérissés d'aspérités mortelles et l'adolescent égaré pense qu'il ne peut même plus avancer. Il a perdu toutes ses caractéristiques qu'il pensait acquises pour toujours. Il se sent déjà écrasé par ces rochers menaçants.

Ce n'est pourtant pas faute de répéter que les enfants doués ne savent pas travailler, ils ignorent la notion d'effort, elle ne leur a jamais été nécessaire, elle serait comme un instrument dont on n'a jamais saisi l'utilité et qu'on a relégué tellement loin que l'emplacement a été oublié. L'effort est devenu une notion abstraite depuis la lointaine époque des débuts dans l'existence, quand il fallait rester attentif pour faire quelques pas sans s'écraser de façon ridicule sitôt démarré, ou bien quand il fallait se répéter en secret un mot difficile pour le prononcer correctement au lieu de faire rire un entourage attendri par cette honteuse  maladresse phonétique.

Ce temps est révolu : parfois un bon graphisme a été un peu plus difficile à acquérir, ralenti  à la fois par un souci de perfection et par l'étonnement  irrité provoqué par cette gaucherie têtue et opiniâtre. En revanche, les leçons étaient sues par cœur après une seule lecture et les opérations de calcul identifiées et effectuées sans la moindre hésitation. Longtemps, il n'y a pas eu l'ombre d'une inquiétude. Ses rédactions faisaient la joie de leurs lecteurs.

Seuls, des établissements très exigeants, au point de rebuter certains parents qui n'ont pas envie de soumettre leur enfant à un tel entraînement, donnent l'occasion de fournir des efforts, mais ils ne conviennent pas pour des enfants un peu trop rebelles qui ont du mal à accepter des règles trop rigides. Leurs professeurs ne se contenteraient pas d'une réussite manifestement atteinte trop facilement.

L'adolescent en déroute ne se reconnaît pas dans cet élève désormais médiocre, ses rêves d'avenir soudainement fracassés lui ôtent tout élan dynamique, il est épouvanté, il se sent impuissant, pourtant, cet enchaînement accablant était annoncé, c'est d'ailleurs pour l'éviter qu'un saut de classe est préconisé : pendant une brève période d'adaptation, l'enfant doué va se familiariser avec cette notion d'effort jusque-là inconnue de lui.  C'est  même l'essentiel de l'argumentation qu'il faut développer lorsqu'on suggère ce saut de classe.

Pour accroître encore son désarroi, il s'entend reprocher sa paresse, son indifférence, son intérêt trop grand pour les jeux vidéos ou même son téléphone : il s'évade de ce quotidien  transformé en cauchemar en échangeant  frénétiquement avec ses amis. Là, est la vraie vie, tout le reste se noie dans un brouillard si épais qu'il se sent bien incapable d'y trouver sa place, alors l'aveuglement que procurent ces échappatoires a un effet fallacieusement apaisant, il l'empêche de songer à l'avenir.

Cet adolescent effrayé, sans vouloir le reconnaître, a l'impression d'avoir perdu tout repère, il est alors inutile d'insister pour qu'il "travaille" puisqu'il ne sait pas comment s'y prendre, mais, parfois, il semble retrouver son brillant d'autrefois parce qu'il a eu un éclair en rédigeant un devoir : le sujet à traiter l'avait inspiré,  la démarche mathématique à suivre lui était apparue  immédiatement avec une clarté si  limpide qu'il n'avait pas eu besoin de réfléchir, ou bien l'argumentation philosophique lui  avait semblé évidente. Son entourage soulagé pense un peu trop vite qu'il s'agissait d'une mauvaise passe, mais l'adolescent sait très bien, en fond de lui-même, que cette embellie est dérisoire par rapport à l'ampleur de sa maladresse et de son ignorance : il a perdu, peut-être définitivement, cette aisance tellement naturelle qu'elle paraissait faire partie de sa personnalité même, tout comme on a les yeux bleus ou le sens du rythme.

Il déçoit ses parents et ceux qui le croyaient doué, l'imposture, qui finalement l'avait accompagné  jusqu'à présent est dévoilée, mais il ne savait pas qu'il donnait simplement le change, il pensait qu'il réussissait parce que tout était tellement facile qu'il n'avait aucun mérite, en fait il avait été favorisé par un sort bienveillant qui s'est ensuite détourné. Peut-être a-t-il commis une faute et elle a fâché ce sort dont il ignore la nature puisqu'il en découvre l'existence et les bienfaits au moment où il l'abandonne. Finalement, il ne maîtrise rien, lui qui pensait maîtriser nombre de données  grâce à sa facilité. Il s'enfonce, il est submergé, tout pouvoir l'a déserté, il n'attend plus rien.

Pourtant, il suffit de lui démontrer quel enchaînement funeste  a bloqué l'accès à ses mécanismes de réflexion, intacts et toujours efficaces, pour qu'il reprenne confiance et accepte de suivre  les conseils  et les méthodes qu'on va lui faire découvrir. Alors, il retrouve sa merveilleuse aisance.

Conseils : ne jamais négliger la moindre baisse de résultat parce qu'on craindrait de se montrer trop exigeant, au contraire, il est préférable d'éviter à l'élève de sombrer dans un découragement sans fond en lui faisant découvrir sans tarder des méthodes d'apprentissage et de raisonnement. Il en existe plusieurs, mais il convient de rester attentif dans le choix de ces aides, il faut impérativement connaître le fonctionnement des enfants doués : ils comprennent vite les explications,  mais  ils ne savent pas fixer des savoirs plus complexes.