Au bonheur des enfants doués

Quel parent ne désire pas rendre son enfant le plus heureux possible ? Les parents d'un enfant doué pensent parfois partir avec un handicap dans cette recherche. Ils ont si souvent entendu dire que l'éducation des enfants doués se présentait comme un terrible casse-tête, puisqu'ils ne ressemblaient pas aux autres, qu'ils s'imaginent tâtonnant à la recherche de sources de plaisir pour leur enfant singulier : leurs joies seraient rares et les divertissements ordinaires les laisseraient indifférents.

Au bonheur des enfants doués
© Antonio Diaz-123rf

En réalité,  de telles assertions méconnaissent totalement la nature propre des enfants doués, gaie et sensible, c'est-à-dire capable de discerner l'attrait d'une activité ou d'une situation et d'en explorer tous les aspects, guidé par la curiosité d'esprit qui la caractérise. 
On les sait passionnés, ils auraient effectivement tendance à s'emballer pour une activité nouvelle où ils peuvent exercer leurs talents. Souvent, ils survolent très rapidement les premières étapes d'apprentissage, ils paraissent avoir trouvé une voie prometteuse où ils pourraient déployer leurs dons sans modération, puis semblent s'en désintéresser sitôt qu'il leur faudrait fournir un effort.  Cette fois, le bonheur est dans la persévérance, quand ils sont contraints de puiser enfin en eux une énergie inconnue pour continuer à progresser. Sinon, le risque est grand qu'ils papillonnent, sautant d'une activité à l'autre, toujours avec l'enthousiasme suscité par la découverte d'un domaine, ignoré jusque-là, mais qui semble répondre enfin à leurs attentes. Les adultes qui les accompagnent dans cette découverte partagent cet enthousiasme avant d'être déçus par cet enfant talentueux qu'ils espéraient conduire vers une réussite éclatante.

Il est plus sage de poser au préalable certaines conditions pour qu'ils ne soient pas trop vite rebutés par une remarque qu'ils estiment blessante ou par d'autres enfants qui ne les comprennent pas. S'ils passent le cap de la réussite atteinte sans effort en découvrant la valeur de l'apprentissage, ils voient s'ouvrir de nouvelles perspectives, ils ont changé de niveau d'implication, ils connaissent le plaisir d'associer effort et progrès qu'il entraîne. Ils peuvent alors accéder à un accomplissement en accord avec leur désir d'absolu. C'est parfois le commencement d'une vocation. Il y a eu des moments pénibles, quand l'enfant doué, contraint de travailler pour une matière qui n'est pas dans son programme scolaire, refusait obstinément de poursuivre cette activité devenue exigeante. Parfois, il faut bien accepter d'y renoncer pour éviter les réactions souvent extrêmes d'un enfant qui s'enfonce dans son refus obstiné. Restera un regret persistant à l'idée que ce don aurait pu se développer, s'épanouir, aboutir à des résultats peut-être admirables.

Des adultes éprouvent la nostalgie de cette époque bénie où toutes les voies s'ouvraient devant eux sans qu'ils aient su profiter de ces richesses, peut-être parce qu'ils les croyaient éternelles : elles seraient toujours à leur disposition si l'envie les prenait de recommencer à les utiliser. Ils auraient pu devenir d'excellents musiciens, des dessinateurs enchanteurs, des comédiens ou des chanteurs ensorcelants. Il arrive d'ailleurs, et même de plus en plus souvent semble-t-il, qu'après quelques années passées à exercer une profession sérieuse, bien considérée et même lucrative, ils se décident à renouer avec ce passé lointain qu'ils avaient dédaigné et ils retrouvent un bonheur dont ils pensaient avoir perdu le goût.

Les efforts des parents pour aiguiller leur enfant vers une activité artistique n'auront pas été vains, même s'ils s'inquiètent maintenant de le voir abandonner un métier classique pour une carrière de saltimbanque. Les personnes douées sont souvent dotées d'un caractère entier : elles renoncent facilement au confort d'une voie toute tracée pour se lancer dans une aventure incertaine, mais où elles se sentent pleinement elles-mêmes. Ces aventuriers risquant leur confort, leur place en société, du moins dans certaines sociétés, sont même reconnaissants envers leurs parents de les avoir familiarisés dans leur jeune âge avec une activité dont ils font désormais leur profession. L'idéal est, évidemment, qu'ils se trouvent dans la compagnie d'enfants qui leur ressemblent, c'est même, finalement, une condition essentielle,  on peut penser qu'un intérêt similaire rapproche des enfants qui présentent des points communs. L'amitié avec un semblable, un frère, demeure le plus précieux des cadeaux.

Un enfant gardait la nostalgie, presque douloureuse dans son cas, des jours de paradis passés dans un château à ne faire que des maths. Ils étaient une quinzaine à avoir remporté un concours national ; ensemble, ils goûtaient un bonheur sans nuage, si ce n'est la conscience que cette parenthèse magique devait bien finir un jour. Cette complicité peut se trouver dans les réunions familiales : des cousins proches en âge font de merveilleux compagnons de jeu : les liens familiaux établissent une notion d'appartenance, sans la rivalité ordinaire au sein d'une fratrie. Les enfants partagent les mêmes grands parents, la même maison de vacances, ils en gardent un souvenir précieux. Ces cousins, parfois retrouvés seulement en vacances, sont mieux que des amis. Évidemment, cette évocation idyllique est parfois mise à mal par des querelles  et des jalousies qui transforment en enfer certains  séjours familiaux, le paradis n'existant pas sur terre, mais nombre d'enfants parlent avec émotion de ces retrouvailles qu'on peut donc favoriser puisque cette affection se maintiendra toute la vie. Les enfants uniques trouvent là l'occasion de goûter à la vie de famille nombreuse : ils sont étonnés, désorientés, mais ils apprécient de pouvoir jouer avec d'autres enfants : tenir seul plusieurs rôles dans un jeu de société peut finir par devenir fastidieux…

Dans le courant du quotidien, on ne doit jamais oublier que le goût du défi reste un élément essentiel dans la vie des enfants doués : il est impératif qu'ils se mesurent avec une difficulté qu'ils ne sont pas assurés de surmonter. Le goût de la victoire est alors inimitable. L'absence d'obstacle à dépasser rend l'existence d'une monotonie insupportable. Il est impératif de se mettre à l'épreuve. Cela vaut aussi pour les adultes qui ne doivent pas devenir indifférents à leur activités parce que trop répétitives, d'un ennui infini, sans enjeu particulier à relever, même leurs divertissements n'offrent pas de mise à l'épreuve.

Par-dessus toutes ces suggestions, domine l'obligation de familiariser les enfants avec la beauté, sous toutes ses formes : non seulement avec des œuvres d'art, mais aussi avec des paysages, ou encore avec la beauté d'un texte. Il n'est jamais vain de faire découvrir à un enfant les finesses d'un tableau, la façon dont les impressionnistes rendent compte de la lumière, le chatoiement des étoffes ou la minutie d'une dentelle chez les peintres de la Renaissance, l'intensité du regard chez leurs modèles. Un enfant qui ne s'ennuie pas dans un musée aura une vie plus heureuse. Il trouvera dans la contemplation de la beauté éternelle un écho à sa sensibilité.

Conseils : il faut éviter de proposer de trop nombreuses activités pour ne pas que l'intérêt se disperse, ou que l'envie d'approfondir son travail s'émousse. Tentez d'insister s'il refuse trop vite de poursuivre une activité et essayez d'en comprendre les raisons, en contrepartie, ne pas minimiser son enthousiasme, même s'il semble surprenant, à la condition qu'il ne l'emporte pas sur les obligations scolaires. Le sujet n'a pas été abordé ici, mais il convient de se méfier de toute activité pouvant conduire à une addiction. Le contrôle est alors indispensable.