Moscow émules : à la rencontre de la bouillonnante mode russe
Avec ses jeunes créateurs détonants, ses stars et ses millions de followers, la scène mode russe a de quoi surprendre. À quoi ressemble la mode en Russie aujourd'hui ? Réponse en direct de la fashion week de Moscou.
En matière de fashion week, on connaît Paris, Milan, New York, Londres, mais moins Moscou. Pourtant, la capitale du plus grand pays du monde n'est pas en reste côté mode. Même si l'époque des tsars, son raffinement et ses savoir-faire, ont été balayés par l'ère communiste, l'histoire n'a pas anéanti les liens du peuple avec l'art de se vêtir. En 1959, le Parti invite la maison Christian Dior à donner un défilé unique auquel des milliers de Moscovites jusqu'alors coupés du monde assistent avec ébahissement. En 1976, c'est à l'occident (qui a toujours été sensible aux codes du pays) de découvrir la beauté de l'habillement slave à travers la célèbre collection "Opéra - Ballets Russes" de Saint Laurent. Mais ce qui se résumait alors à des échanges purement stylistiques devient bien tangible à la chute de l'URSS. Tendances et produits de consommation font alors leur entrée dans la vie des Russes, accompagnés d'une immense soif de nouveauté ainsi qu'un pouvoir d'achat sans précédent. C'est dans ce contexte que naît la mode en Russie, prête à en découdre avec le prêt-à-porter.
Une fashion week -presque- comme les autres
Comme tout enfant qui a été privé de dessert, la Russie ne donne pas sa part au chien. Actuellement, pas moins de trois fashion weeks se disputent les créateurs à Moscou. La Mercedes-Benz Fashion Week Russia, la principale en termes d'affluence et de hype, s'est tenue du 15 au 20 octobre. Sa portée sur Instagram la classe en cinquième position après les "big 4", ce qui tombe sous le sens au vu des files d'attentes sur le lieu des shows pour obtenir une photo devant le logo officiel. En cinq jours, pas moins de 117 designers se livrent à 1750 journalistes locaux et étrangers et 832 influenceurs. Au programme : des jeunes créateurs sensibles aux questions qui traversent la mode partout ailleurs, comme le genre ou l'éco-responsabilité, des labels plus anciens comme le Karl Lagerfeld local Slava Zaitsev, ou plus commerciaux, comme le fourreur Julia Dilua. Les marques internationales qui ciblent l'immense et florissant marché russe (on peut citer La Redoute ou la maison libanaise de créations couture Ziad Nakad) ont aussi fait le déplacement. Mais comme pour les fameuses poupées russes, le plus intéressant reste ce qu'il se passe à l'intérieur.
Politique et mode : les montagnes russes
Habituée à vivre au rythme de la politique mouvante, la mode a encore vu son paradigme changer en 2014. Suite aux sanctions décrétées à l'encontre de la fédération de Russie (conséquence de la crise ukrainienne et de l'envahissement de la Crimée), Poutine déclare un embargo visant l'import de produits de l'Union Européenne. Une crise qui se transforme en aubaine pour la mode russe. On se concentre sur la fabrication locale, le made in Russia s'affiche fièrement sur les étiquettes et les savoir-faire ancestraux bénéficient d'une attention nouvelle. Aizel Trudel, grande figure de la mode locale (et internationale) avec son concept store moscovite qui s'apparente à Colette et son site, le Net-à-Porter russophone, en est la plus fidèle alliée. Aux côtés de la Mercedes-Benz Fashion Week Russia elle a fondé la plateforme de soutien à la jeune création Global Talent Initiative, mais aussi l'accélérateur Fashion Futurum pour donner les clés à une nouvelle génération pour émerger, et, par la même occasion, faire exister le style russe par-delà les frontières.
L'âme russe
Et il faut dire que le sujet est plus qu'attrayant. Les designers digèrent les codes du folklore pour en faire des collections audacieuses et très fraîches. La malicieuse Aizel tient un pop-up store durant la fashion week baptisé Team Putin (Equipe Poutine). Avec un décalage pas toujours évident, elle honore sa patrie en faisant revivre des motifs de l'époque soviétique, mais aussi des dessins animés populaires et autres éléments pop de l'identité nationale, le tout en collaboration avec des grandes marques. Du côté des jeunes créateurs aussi, travailler l'héritage russe tombe sous le sens. Et le résultat vaut le détour. Foulards en laine traditionnels accrochés comme un fichu sur la tête des babouchkas chez le créateur éco-engagé Linus Leonardsson ou culture tzigane chez Roma Uvarov Design partent à la conquête de l'Ouest en passant une tête dans les fashion weeks occidentales. De quoi, par-delà Moscou, faire bien des émules.