En quête de McQueen : making-of du documentaire événement

Dix ans après le suicide du génie turbulent de la mode, Peter Ettedgui et Ian Bonhôte racontent dans le bouleversant documentaire "McQueen" l'être et les méandres de l'esprit du créateur agité. Un film sous forme de quête à la recherche de l'authentique Lee dont les réalisateurs nous révèlent les coulisses.

En quête de McQueen : making-of du documentaire événement
© Le Pacte

Rien ne destine Lee Alexander McQueen, né dans une banlieue populaire de l'Est de Londres à devenir un créateur virtuose. Pourtant, ce fils de chauffeur de taxi a forgé son propre destin, c'est ce qui a fasciné Peter Ettedgui et Ian Bonhôte. Il acquiert une formation artisanale chez l'élite des tailleurs à Savile Road à Londres, accède à la prestigieuse école Central Saint Martins et tape dans l'œil de la journaliste Isabella Blow dès son défilé de fin d'études (elle en achètera la totalité). Ses silhouettes hors norme et ses shows subversifs lui valent d'être qualifié de créateur le plus prometteur de sa génération. Si bien qu'il est nommé à la direction artistique de Givenchy en 1997. À l'apothéose de son art, il met fin à ses jours le 11 février 2010. Son parcours tragique et fulgurant se retrouve aujourd'hui à l'écran. À travers le documentaire McQueen, les réalisateurs ont cherché à dépeindre le "Sale, le cassé, mais aussi le grandiose, l'énorme", décortiquer la personnalité dense du génie disparu. Une investigation tumultueuse sur les traces de ce qui a bâti l'homme et la légende. 

"Détruire l'icône"

"Quand je suis arrivé à Londres en 1997, Alexander McQueen était partout" , se souvient Ian Bonhôte. Le designer a participé à la renaissance de la création anglaise dans les années 1990, au côté notamment de John Galliano. "Avant cette époque, chacun restait dans son registre. Lui collaborait avec toutes sortes d'artistes (David Bowie, Lady Gaga, Tim Burton NDLR). D'un coup, tout était possible", poursuit-il. Ses shows pensés comme des happenings artistiques, ses créations dérangeantes et magnifiques, son insolence illustrée dans les médias mais également son savoir-faire ont marqué bien plus que son temps. En 2011, le Metropolitan Museum de New York bat son record d'affluence avec l'exposition Alexander McQueen : Savage beauty. En 2015, l'exposition reconstituée à Londres force le V&A Museum à ouvrir 24h/24 pour répondre à la demande. L'exposition bouleverse tellement que certains visiteurs en sortent en larmes. Que raconter de plus sur un parcours médiatisé et déjà si documenté ? "Faire un film aide à créer un mythe. Au contraire, notre approche a été de détruire l'icône, montrer l'homme derrière l'artiste", explique Ian Bonhôte. Alors que beaucoup d'œuvres sur la mode se donnent pour mission de prouver que le créateur a une légitimité en tant qu'artiste, la démarche du binôme a été inverse. "Nous avons cherché du jamais vu",  ajoute Peter Ettedgui. Un désir particulièrement délicat à satisfaire pour les réalisateurs confrontés aux tabous du hooligan et de son milieu : la mode.

alexander-mcqueem-documentaire-no13
Alexander McQueen lors de son défilé No. 13 en 1998 © Le Pacte

Naviguer entre deuil et industrie

Documenter la vie de l'enfant terrible de la mode n'a pas été mince affaire. "Personne ne voulait parler", admet Peter Ettedgui. Le deuil difficile d'Alexander McQueen est certainement la raison principale. Les membres d'une industrie du rêve souvent accusée de broyer les créateurs se sont murés dans le silence. Sarah Burton, son bras droit qui a repris la marque à sa mort, est la grande absente du documentaire. "La marque a dit "non". Elle a participé à l'exposition Savage beauty, maintenant elle veut se concentrer sur le futur",  justifie Peter Ettedgui. De son côté, Ian Bonhôte confie avoir constaté de la méfiance dans son propre entourage après l'annonce du tournage "Je crois que la mode avait très peur de voir ce qu'on allait faire avec le film. Elle l'a apprécié, mais après coup", analyse-t-il. 
C'est également le cas de la famille du créateur. Le duo gagne la confiance de ses proches en les convaincant du bien-fondé de leur démarche. Il parvient seulement quelques mois avant la fin du tournage à recueillir les témoignages cruciaux de sa sœur Janet et de son neveu Gary. "Ce film était très important pour eux parce qu'ils n'étaient pas écoutés et pas 100% respectés", commente Ian Bonhôte. Finalement, ils seront nombreux, anciens collègues, amis, parents, à se livrer à la caméra. Certains lèvent le voile sur les lourds traumatismes du créateur. D'autres leur donnent accès à des images intimistes inédites. Tous participent à comprendre la personnalité brillante et turbulente de Alexander McQueen.

"McQueen"

Faire exister Lee

"Lee a toujours dit : "Si vous voulez me connaitre, regardez mon travail" Nous avons pris ça comme une instruction de sa part", explique Peter Ettedgui qui a écrit le scénario autour de cinq défilés clés, comme une tragédie grecque. À chaque étape, le documentaire lie vie et oeuvre, offre une lecture enrichie du travail d'Alexander McQueen. "On ne peut pas le comprendre si on ne sait pas ce qu'il a subi", leur confie son ancien assistant Andrew Grove. À la lumière de ses origines, des témoignages de son entourage, de la révélation des sévices subits dans son enfance, les mécanismes d'alchimie du créateur s'éclairent. "Il voulait que ses vêtements protègent les femmes, il a fait des femmes des guerrières", illustre Peter Ettedgui. Plus vibrante que jamais ainsi dépeinte dans le documentaire, l'œuvre de McQueen trouve une résonance actuelle, une décennie après sa disparition. "Nous n'avons pas fait le film parce que sa vie était pertinente aujourd'hui, mais c'est le cas, il était précurseur", poursuit-il. "Lee a changé la façon dont on perçoit la femme dans la société avec ses silhouettes, avec la taille ultra basse, les épaules, le corset élevé". Ses questionnements sur le consumérisme du défilé "Corne d'abondance", son utilisation des technologies comme l'hologramme de Kate Moss pour son défilé automne-hiver 2006 ou la diffusion en direct sur Internet pour la première fois d'un défilé pour "l'Atlantide de Platon", sont autant de coups de génie visionnaires. Raison de plus, s'il en fallait, de prendre part à l'exploration abyssale d'Alexander McQueen sur grand écran. 

McQueen de Ian Bonhôte et Petter Ettedgui, distribution Le Pacte, en salles le 13 mars 2019 

alexander-mcqueen-documentaire
© Le Pacte