Vestiaire Collective : "Nous voulions démocratiser la mode"

Fanny Moizant et Sophie Hersan font partie des six co-fondateurs et co-fondatrices de Vestiaire Collective. Elles nous parlent de leur parcours, de leur entreprise et du futur de la licorne française de la mode.

Vestiaire Collective : "Nous voulions démocratiser la mode"
© Vestiaire Collective

En 2009, Fanny Moizant, Sophie Hersan, Sébastien Fabre, Alexandre Cognard, Henrique Fernandes et Christian Jorge fondaient Vestiaire de Copines. Treize ans plus tard, l'entreprise a changé de nom et s'appelle Vestiaire Collective, dispose de quelque 23 millions de membres et 700 salariés, est présente dans le monde entier, compte Kering parmi ses investisseurs et fait partie des 25 licornes françaises (soit une start-up valorisée plus d'un milliard de dollars). Son autre particularité ? Seules Fanny Moizant et Sophie Hersan sont encore à bord et mènent leur business avec brio. Elles ont notamment racheté leur concurrent américain Tradesy en mars 2022 et viennent de dévoiler la nouvelle campagne de leur plateforme, "Longue vie à la mode", orchestré par Loïc Prigent. L'occasion de rencontrer ces deux entrepreneures passionnantes.

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Fanny Moizant, co-fondatrice de Vestiaire Collective © Vestiaire Collective

Journal des Femmes : Pourriez-vous vous présenter ?

Fanny Moizant : Je suis la co-fondatrice et présidente de Vestiaire Collective. Je vis entre Hong Kong et l'Europe. Je codirige l'entreprise et suis en charge de plusieurs domaines : le marketing, la durabilité, la marque et les activités qui s'y rattachent.
Sophie Hersan : Je suis également co-fondatrice de Vestiaire Collective, et Fashion Director de notre entreprise. Je suis basée à Paris et j'ai une double casquette. D'une part, maintenir l'ADN de la marque. D'autre part, diffuser les valeurs de Vestiaire Collective dans l'industrie de la mode. En fait, notre vision, c'est de disrupter l'écosystème pour porter la voix de la seconde main et d'une mode plus responsable.

Comment décririez-vous Vestiaire Collective ?

Sophie Hersan : Notre plateforme est basée sur quatre piliers : être inspirante, proposer une mode durable, sélectionnée pour sa qualité et proposée à nos clients et clientes dans un environnement de confiance. L'un de mes objectifs est de maintenir cette qualité en proposant une mode de plus en plus inclusive.
Fanny Moizant : C'est une plateforme de seconde main dédiée à la mode haut de gamme et luxe qui a pour objectif de faciliter les échanges entre les particuliers avec comme notions clés le goût et la confiance. Nos quatre piliers sont vraiment fondateurs, que ce soit, donc, cette notion de goût, de confiance, de communauté (qui est l'un des points de départ de Vestiaire Collective) et de durabilité. S'il fallait résumer tout ça, ce serait l'idée d'offrir une alternative à la mode avec plus de communauté et de durabilité.

Qu'est-ce que vous aviez en tête lorsque vous avez lancé Vestiaire de Copines ?

Fanny Moizant : Nous avons lancé Vestiaire de Copines en 2009. À l'époque, nous avions fait un pas en arrière pour envisager l'industrie de la mode dont le rythme de production s'était considérablement accéléré sous l'influence néfaste de la fast fashion. Cette mode rapide avait induit un changement d'état d'esprit sur les consommateurs qui étaient en quelque sorte drogués à la nouveauté.
Ces deux phénomènes cumulés étaient alors à l'origine d'un gâchis monstrueux dans les placards de celles et ceux qui aimaient la mode. Lorsque l'on ouvrait nos garde-robes et celles de nos proches, on réalisait que l'on avait tous un même problème de surconsommation et qu'il n'y avait pas de solution existante pour résoudre ce problème. D'autant qu'à l'époque, tout le monde commençait à intégrer des gestes éco-responsables à son quotidien, sur l'alimentaire, le tri des déchets, etc.. En revanche, dans la mode, qui était notre secteur de prédilection, cette conscience n'avait pas encore été atteinte et nous avons voulu l'étendre à cette industrie.
Sophie Hersan : En parallèle, il y avait une vraie envie de démocratiser la mode. Nous voulions la rendre accessible à plus de monde, d'où nos choix d'être 100% digital.

Quels ont été vos parcours avant de lancer Vestiaire de Copines ?

Fanny Moizant : J'ai d'abord travaillé comme cheffe de produit chez Dim, puis John Galliano, avant de bifurquer vers l'industrie de la décoration. Mais j'avais besoin d'un projet qui me tenait à cœur et me passionnait, ce qui n'était pas forcément le cas dans mes métiers précédents. J'ai donc repris mes études à l'IFM (l'institut français de la mode).
Sophie Hersan : De mon côté, j'ai fait une école de mode après des études d'économie, puis j'ai travaillé en bureau de presse et en tant que responsable de studio pour des designers et pour le luxe. J'ai exercé dans cette industrie une quinzaine d'années avant de ressentir une véritable saturation pour ce rythme effréné, cette frénésie d'achat. Je me sentais à la fois victime et responsable de cette situation qui ne correspondait plus à mes valeurs. J'en ai pris conscience et j'ai aussi constaté qu'il y avait beaucoup trop de choses dans nos garde-robes et que plus de la moitié ne quittait jamais la penderie. En réalité, c'est plutôt 20 à 30% de nos vêtements que nous portons réellement.

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Sophie Hersan, co-fondatrice de Vestiaire Collective © Vestiaire Collective

Quelles ont été les grandes étapes de votre entreprise depuis sa création ? Vos différentes levées de fonds ?

Fanny Moizant : Les grandes étapes sont plutôt symbolisées par l'expansion de notre business à l'international. Notre internationalisation a commencé très tôt, dès 2012, au Royaume-Uni où je suis allée m'installer l'année suivante. Puis, nous avons initié les différents marchés européens avant de nous attaquer aux Etats-Unis en 2015 et à l'Asie en 2017.
Les autres marqueurs d'évolution pour notre entreprise, c'est certainement l'ouverture de nouveaux modèles dans notre modèle. L'envoi direct, par exemple, avec le produit qui passe directement du vendeur à l'acheteur sans transiter par nos locaux. Cette modification nous permet de réduire notre impact écologique sur la planète puisque le produit effectue un trajet en moins. En 2021, nous sommes aussi devenues l'une des 25 licornes françaises. Et surtout, nous avons reçu la certification B Corp qui évalue l'impact social et environnemental d'une entreprise.
Sophie Hersan : Des développements technologiques s'ajoutent à toutes ces avancées. Nous sommes une entreprise digitale et c'est là-dessus que nous essayons d'accélérer les évolutions, pour que nos utilisateurs puissent profiter de l'application au mieux et consommer de la façon la plus agréable qu'il soit.

Que signifie cette certification B Corp, l'une des plus exigeants au monde ?

Ce label est une reconnaissance de tout le travail accompli. Il faut bien comprendre que Vestiaire Collective ne s'est pas acheté une conscience éco-responsable au bout de treize ans d'existence. Cet aspect est au cœur de notre modèle depuis ses débuts. Obtenir cette certification a nécessité un travail d'envergure, même si ça a été beaucoup moins dur pour nous que pour les entreprises qui n'étaient pas éco-responsables dès leur création et qui le sont devenues en cours de route. Ce que confirme le délai relativement court que nous avons mis à obtenir la certification, douze mois au lieu de trente-six en moyenne. Concrètement, cette certification est un cadre qui nous permet de nous améliorer au quotidien à tous les niveaux : l'environnement, les équipes, les partenaires. C'est aussi un outil qui nous permet de mesurer constamment nos progrès et nous incite à avancer sur cette échelle vertueuse. L'idée, c'est de s'améliorer en continu, d'autant que pour conserver le label B Corp, nous serons réévaluées tous les trois ans. Ce qui nous permet de mesurer, juger, et analyser toutes les décisions business que l'on prend à l'aune de cette certification.

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© Vestiaire Collective

Quels sont les produits qui se vendent le plus sur votre plateforme ?

La catégorie qui croît le plus, c'est vraiment celle des sacs à main. Il y a plein de raison à ce succès : la facilité pour s'approprier ce produit, le prix, sa taille unique… C'est souvent le premier achat effectué sur la plateforme. Mais toutes nos catégories ont du succès : les souliers, la joaillerie, le prêt-à-porter… Dès lors que l'on a de l'expertise, un bon positionnement, un prix juste et une qualité irréprochable, tout se vend.

Et les marques les plus populaires ?

Même si nous sommes une plateforme internationale, les marques qui rayonnent le plus sont européennes, notamment les maisons françaises et italiennes. En fonction des années, il y a quelques nuances, Prada devance Gucci et inversement la saison suivante. En fait, la seconde main est aussi désirable et suit la même courbe que la première main. Les maisons Louis Vuitton et Dior sont les plus vendues en première main, donc sur Vestiaire Collective aussi. Mais ce que l'on note aujourd'hui, c'est que le phénomène de la seconde main est encore plus poussé. Je me souviens qu'en 2017, par exemple, la désirabilité était telle sur les plateformes de seconde main pour le sac à main Saddle de Dior que la maison l'a réintroduit dans ses collections. La désirabilité autour d'un produit vintage peut donc avoir un impact sur ce que les marques créent aujourd'hui.

Quels sont les plus gros défis pour les marques de mode aujourd'hui ?

Il faut être le plus circulaire possible. Le consommateur a changé plus vite que cette industrie, qui doit servir ce que ses clients veulent et demandent. La seconde main en fait partie et devrait représenter 20 à 30% de nos garde-robes d'ici à fin 2023. C'est devenu une véritable habitude de consommation, motivée par l'accessibilité des produits en termes de prix, puis par l'aspect éco-responsable. Par ailleurs, si les marques ne sont pas suffisamment transparentes avec les consommateurs, elles ne les fidélisent pas. Enfin, un autre enjeu aujourd'hui, c'est de comprendre le marché de la seconde main, ce qui intéresse les marques parce qu'il représente beaucoup d'argent. Seulement, elles ne savent pas forcément comment le pénétrer parce qu'il faut mettre en place une certaine logistique, adapter son image, sa technologie. C'est ce que nous faisons chez Vestiaire Collective depuis nos débuts et nous essayons désormais d'accompagner les marques qui le veulent dans cette transformation. Nous avons commencé avec la maison Alexander McQueen en 2021, puis enchaîné avec la marque britannique Mulberry et la plateforme multimarque de luxe Mytheresa. Et puis nous travaillons aussi sur des projets avec d'autres maisons, pour lesquels nous communiquerons prochainement.

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© Vestiaire Collective

Quels sont vos futurs challenges ?

Nous avons un premier challenge à court terme : bien intégrer Tradesy, notre concurrent américain que nous avons racheté en mars 2022. Mais aussi poursuivre notre installation sur les gros marchés asiatiques comme la Corée du Sud ou le Japon. Globalement, l'Asie représente une vraie opportunité pour Vestiaire Collective, parce que c'est là-bas que la consommation de luxe se passe (c'est près de 50% du marché global) et nous avons vraiment pour volonté d'être une plateforme mondiale.

Vous venez de lancer une grosse campagne avec Loïc Prigent. Pourriez-vous nous en parler ?

Ce n'est pas notre première campagne d'envergure mais c'est, à ce jour, la plus massive, la première pour laquelle nous mettons les moyens de nos ambitions. Nous avions envie de reparler de la marque et de ses fondamentaux, de dire que la marque est restée la même depuis ses débuts, a conservé les mêmes piliers et c'est d'ailleurs ce qui fait sa force. Il fallait remettre au cœur de Vestiaire Collective ces notions de goût et de confiance et le faire d'une façon sophistiquée mais très fun. C'est pour cette raison que notre choix s'est porté sur Loïc Prigent. Il est brillant, un vrai penseur avec un point de vue d'expert, mais il a une façon décalée et humoristique de voir les choses qui rend le tout beaucoup plus accessible. Nous voulions parler des vrais sujets que sont la consommation et la circularité sans pointer du doigt les mauvaises pratiques. Au contraire, nous ne voulions ni être culpabilisant, ni lourd, ni négatif. C'est pour cette raison que nous avons fait le choix de l'humour pour en parler.

Quels sont les nouveaux clients que vous aimeriez convertir grâce à cette campagne ?

Forcément, nous avons des cibles marketing avec cette campagne, mais nous voulions nous adresser au plus grand nombre de consommateurs et consommatrices avec ces marionnettes qui correspondent vraiment à monsieur et madame Tout-le-monde. Il y a la miss classique, plus âgée que les autres, qui investit dans des produits haut de gamme, la lady green, l'activiste très engagée qui aimerait sauver la planète… Bref, cinq personae qui portent un message et derrière lesquels on peut tous et toutes se reconnaître.

Qui sont vos consommatrices et consommateurs, justement ?

Ce sont principalement des femmes, même si en Asie, par exemple, il y a beaucoup d'hommes consommateurs de mode et de luxe. En ce qui concerne les CSP et les critères socio-démographiques, c'est très large. Nous essayons d'engager la jeune génération également, pour qu'elle fasse son chemin sur le site, commence avec un petit panier qui progresse au fur et à mesure que son pouvoir d'achat augmente. Pour suivre notre clientèle, nous avons construit ce que l'on appelle des cohortes, qui prouvent que notre business est durable, incrémentale, parce que celles-ci ne se réduisent pas dans le temps. Les personnes qui se sont inscrites en 2009 sont toujours là et consomment de la même façon, voire plus.

Qu'est-ce que ça fait d'être deux femmes à la tête d'une des 25 licornes françaises ?

Sophie Hersan : En ce qui me concerne, je trouve que ça donne du sens à ce que l'on fait, à ce que l'on a construit. C'est beaucoup de travail, nous y avons mis beaucoup de passion, c'est ce qui nous a porté et nous avons tout fait avec le cœur. Aujourd'hui, nous avons réussi à trouver un bon équilibre entre le cœur et les opportunités.
Fanny Moizant : Nous sommes fières d'être arrivées là où nous en sommes, la route a été très longue. Et si je n'ai pas été élevée avec un biais de genre, si je ne fais pas différence entre les hommes et les femmes, le constat c'est qu'aujourd'hui, on est bien peu dans notre position. Pourquoi ? Que doit-on changer dans la tête des hommes et des femmes pour y mettre fin ? Ce n'est écrit nulle part qu'un homme est plus capable qu'une femme de gérer une boîte. Alors certes, il y a des raisons systémiques, mais heureusement, aujourd'hui, les choses évoluent dans la société et il y a de plus en plus d'entrepreneures en France.

Quels conseils mode aimeriez-vous donner à nos lectrices ?

Il faut vendre ce que vous ne portez pas ! C'est un geste simple qui peut rentrer dans les mœurs de tout le monde. Et puis il faut bien envisager la manière dont on consomme. On ne fait pas souvent ce pas de côté pour se rendre compte de son comportement en matière de mode. Parce que si l'on sait très bien ce qui va périmer dans son frigo, on ne sait pas toujours ce qui traîne dans sa garde-robe…

Et quels conseils d'entrepreneures ?

Il faut s'armer de courage (rires). Se faire confiance. L'entreprenariat, c'est dans les tripes, c'est quelque chose ! Dès que ça devient physique, qu'on ressent vraiment le bon projet, c'est que l'on est fait pour ça, que plus rien ne peut nous stopper. Et puis, il y aura des échecs sur le chemin. Mais il ne faut surtout pas s'arrêter, parce que c'est à ce moment précis que l'on avance…