"On ne peut pas devenir mère quand on se vit uniquement comme fille"

Sobrement intitulé "Maman", le dernier livre d'Isabelle Alonso exprime toute la fascination et la tendresse que la féministe portait à sa mère. Rencontre avec cette fille de mère-courage.

"On ne peut pas devenir mère quand on se vit uniquement comme fille"
© Isabelle Alonso
tof200
Isabelle Alonso auteur de "Maman" aux éditions Héloïse d'Ormesson" © Isabelle Alonso

"Je ne pouvais pas faire autrement que de l'écrire " affirme Isabelle Alonso à propos de son dernier roman " Maman". Rédigé à la suite du décès de sa mère, le livre de la féministe française, réputée pour ses prises de positions sur la question de l'égalité homme-femme, se fait intimiste et émouvant. Il retrace en flux tendu les dernières années de sa mère, son premier infarctus déclaré en 2003, ses différents transferts d'hôpitaux en maisons de repos. Rencontre avec l'auteur.

Quand avez-vous commencé à écrire le livre ?
J'ai commencé à le rédiger juste après la mort de ma mère, je ne pouvais pas faire autrement que de l'écrire. Durant la rédaction, c'est comme si je la gardais près de moi plus longtemps. Finalement, c'est encore et toujours une histoire de déni tout ça...

Comment expliquez-vous cette fascination que vous avez pour votre mère ?

Ma mère est une survivante, elle a toujours trouvé le courage d'aller de l'avant en s'adaptant à toutes les situations (sous le régime de Franco). Et puis l'amour que j'ai pour elle est bien plus fort que l'admiration que je lui porte. Je l'aime et la respecte beaucoup, en partie parce qu'elle s'est toujours positionnée contre l'injustice.

Est-ce elle qui vous a engagé sur le chemin du féminisme ?
Certainement, car ma mère ne se laissait jamais faire. Elle avait des idées contre les injustices faites aux femmes, cela la révoltait profondément. Je crois qu'elle était fière de mes convictions et des combats féministes pour lesquels je lutte encore aujourd'hui.
 

Parlez nous de votre éducation...

Mes parents avaient une rigueur morale impressionnante. En fait j'ai été élevée dans une famille où l'on ne se plaint pas et durant l'adolescence je ne me suis pas payé le luxe d'être en révolte contre eux, dans la fratrie nous étions tous très soudés. Finalement, je me suis plus révoltée contre la société, cette cible était plus floue et donc l'expression moins risquée.

Pensez-vous que la disparition de votre mère ait fait de vous une femme aujourd'hui et non plus une fille ?
Je pense qu'on ne peut devenir mère à partir du moment où l'on se vit uniquement comme fille, d'ailleurs je n'ai pas d'enfants. Mon rapport au monde est toujours un peu enfantin...

Dans votre livre vous évoquez à plusieurs reprises les mauvaises conditions de vie des personnes âgées, notamment dans les maisons de retraite et parfois dans les hôpitaux. Quel est votre avis sur la question aujourd'hui ?

Je trouve que l'allongement de l'espérance de vie c'est finalement l'allongement de la vieillesse. Parfois cela va contre la dignité humaine : on parque les personnes âgées, on les regroupe et puis on ferme les yeux. Attention, je ne stigmatise pas les maisons de retraites en disant qu'elles font tout de travers, mais je pense que c'est un combat important, le respect de la fin de vie des personnes âgées. Je sais que c'est coûteux, mais il ne faut pas éviter la question. C'est trop grave.

Vous culpabilisez beaucoup dans votre livre (peur de ne pas être suffisamment là pour votre mère, peur de reprendre goût à la vie après sa mort, etc.). Est-ce toujours le cas ?

Je suis une machine à culpabiliser. La maladie, la solitude, c'est difficile de lutter contre. En fait je pense que quoi que je fasse, je culpabiliserai toujours. Je pense encore énormément à ma mère, tous les jours. Je n'accepte pas, je vis avec. L'idée de la mort est pour moi révoltante, surtout quand il s'agit de sa propre mère.
 

Qu'est-ce qui pour vous, caractérise une relation mère-fille ?

C'est la fusion, la solidarité. Pour moi c'est une évidence mère-fille, ça coule de source. C'est comme cela que je l'ai vécu.