Comment parler de la guerre en Ukraine à ses enfants ?

Alors que la guerre en Ukraine occupe le devant de l'actualité, il n'est pas facile en tant que parents de trouver les mots justes pour évoquer le sujet avec ses enfants. Comment informer sans apeurer ? Que répondre à leurs inquiétudes ? Réponses et conseils du Dr Alicia Cohen, pédopsychiatre à l'hôpital Robert Debré.

Comment parler de la guerre en Ukraine à ses enfants ?
© fizkes-123rf

Après deux ans de crise sanitaire qui ont bouleversé leur vie, les enfants sont à nouveau plongés dans un contexte anxiogène : celui de la guerre en Ukraine. Un conflit qui soulève de nombreuses inquiétudes et questionnements auxquels il n'est pas toujours évident de répondre. "Pourquoi la Russie a-t-elle attaqué l'Ukraine ? Poutine va-t-il envoyer la bombe nucléaire ? Est-ce que nous aussi, on peut mourir ? C'est le début de la troisième guerre mondiale ?" Le Dr Alicia Cohen, pédopsychiatre à l'hôpital Robert Debré, nous dévoile ses conseils pour trouver les mots justes sans ajouter du stress supplémentaire. 

Faut-il parler de la guerre en Ukraine à ses enfants ou attendre que ça vienne d'eux ?

Entre les images qui envahissent nos écrans de télévision, les discussions des parents au dîner et celles de la cour d'école, du collège ou du lycée, il est rare qu'un enfant ne soit pas du tout exposé aux faits d'actualité. "Le mieux est d'interroger l'enfant afin de déterminer son niveau d'informations au sujet des événements. Une fois que le parent a réussi à évaluer ce niveau de connaissances, il peut entamer le dialogue et reprendre point par point les données apportées par l'enfant pour pouvoir préciser ces informations. Il ne faut pas hésiter à provoquer à nouveau la conversation si on sent que c'est nécessaire", indique le Dr Alicia Cohen. Quant à la question de savoir s'il existe des moments privilégiés pour parler du conflit russo-ukrainien à ses enfants, notre experte explique qu'idéalement, les discussions doivent se faire autour d'instants de partage avec l'enfant : au moment des jeux ou des dessins chez les petits, et au moment du dîner avec les plus grands et les ados. En revanche, elle déconseille d'aborder le sujet juste avant une séparation (avant de dormir ou avant d'aller à l'école). 

À partir de quel âge peut-on parler de la guerre en Ukraine à ses enfants ? 

Plus qu'une question d'âge, c'est une question de sensibilité de l'enfant. Certains signes peuvent témoigner du fait que l'enfant est préoccupé par l'actualité, notamment un changement de comportement. "Chez les petits, on constate une hyperactivité émotionnelle, ils sont plus irritables, ils pleurent plus facilement, ils adoptent plus souvent une attitude d'opposition, ils souffrent de troubles du sommeil, ils ont moins faim. Chez les ados, l'anxiété se traduit essentiellement par des conduites d'évitement : ils sont moins enclins à sortir, ils vont avoir tendance à sécher les cours, à rester en retrait dans leur chambre", développe la pédopsychiatre.

Comment leur expliquer ce qui se passe de manière compréhensible ?

Le Dr Alicia Cohen préconise une communication en quatre volets : 

  • Adapter ses explications et son langage à l'âge de l'enfant et à son niveau de compréhension. 
  • Privilégier des réponses simples et brèves qui vont répondre à la question de l'enfant, sans chercher à aller plus loin car on risque de répondre à des questions que l'enfant ne se pose même pas et d'ajouter de l'anxiété. 
  • Faire passer des messages simples : dire à l'enfant "notre famille est en sécurité", "la France n'est pas en guerre avec la Russie et si la France était attaquée par la Russie, elle aurait des alliés et ne serait pas seule pour se défendre". Il est primordial de situer l'enfant dans ce conflit-là et de le rassurer en lui disant qu'il est en sécurité. 
  • Recontextualiser le conflit actuel avec l'enfant et essayer d'apprécier avec lui le risque à l'échelle individuelle : quel est le risque pour un enfant en France d'être confronté à une situation de violence entre les russes et les ukrainiens ? On peut conclure en démontrant que le risque est minime pour l'enfant. 

Faut-il cacher ses propres émotions à ses enfants ?

"Cacher ses émotions à ses enfants non, contrôler son niveau d'anxiété oui, car on sait que le niveau d'anxiété des parents est prédictif du niveau d'anxiété des enfants. Les parents peuvent contrôler leur propre niveau d'anxiété en évitant de surconsommer de l'information", prévient le Dr Alicia Cohen. En effet, s'il est normal de se tenir au courant des nouvelles tous les jours, voire plusieurs fois par jour, car il s'agit d'une actualité riche en rebondissements, ce n'est pas la peine de rester branché en continu sur les chaînes d'info qui ressassent les mêmes faits à longueur de journée. "Il est important que les parents conservent leur routine habituelle et une bonne hygiène de vie pour garder le moral et éviter d'avoir un niveau de stress trop important", insiste-t-elle. 

Guerre en Ukraine : comment rassurer ses enfants ? 

► Rétablir l'équilibre sur la perception qu'ils ont du monde et des autres : lorsque les enfants écoutent l'actualité, ils ont l'impression que c'est terrible, que le monde entier s'entretue. "Il faut leur expliquer que s'il est vrai qu'il y a des personnes qui sont en train de commettre des actes répréhensibles, il y a aussi de nombreuses personnes qui font des choses formidables, à l'instar des chaînes de solidarité qui sont en train de s'organiser pour aider les ukrainiens avec des collectes de médicaments, de vêtements, de produits de première nécessité", informe la spécialiste. On peut aussi mettre en avant que tous les européens soutiennent l'Ukraine, et que les ukrainiens eux-mêmes se défendent très bien. Il est crucial de souligner cette dynamique positive même si l'actualité est très anxiogène. 

► Les projeter dans l'avenir positivement sur le court terme : les enfants n'ayant pas la même appréciation du temps que les adultes, il ne sert à rien de leur promettre des choses qui n'auront pas lieu tout de suite. Sans leur proposer des projets extraordinaires, on peut leur suggérer des activités sympathiques de sorties familiales et d'activités qui leur feront plaisir. 

► Garder une routine (horaires de coucher et de lever, activités extra-scolaires, rendez-vous familiaux) est très important car les repères des enfants ont d'ores et déjà été chamboulés par le Covid qui a eu un impact considérable sur leur santé mentale. 

► Les préserver : il ne faut pas laisser les chaînes d'information en continu car les images peuvent être très choquantes. Attention également aux réseaux sociaux qui peuvent diffuser du contenu très anxiogène. Dans la mesure du possible, il est conseillé d'essayer de contrôler au maximum les informations auxquelles l'enfant a accès. 

Merci au Dr Alicia Cohen, pédopsychiatre à l'hôpital Robert Debré
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