Le douloureux sentiment d'imposture chez les personnes douées

Les personnes douées, adultes ou enfants, ressentiraient souvent un sentiment d'imposture, qui pourrait les mettre en difficulté, par exemple au moment de passer un examen.

Une des caractéristiques les plus fréquentes des personnes douées est incontestablement le sentiment d'imposture. On retrouve cette notion à tout âge et quel que soit l'enchaînement des idées qui l'a fait apparaître. Il paraît donc judicieux de la traiter de façon spécifique. Quand on aborde la personnalité des personnes douées, on retombe toujours sur cette notion d'imposture, même si, a priori, le sujet traité en était bien éloigné. Elle exigerait donc un traitement particulier. Il semblerait presque que les personnes douées, adultes ou enfants, vivent depuis toujours avec cette  idée d'imposture : elle ferait tellement partie de leurs réactions et de leur mode de pensée qu'elles ne l'identifient même pas comme telle.

Ainsi, ces fameux passages à vide au moment d'un examen sont certainement amplifiés, entre autres raisons, par la peur du candidat que son ignorance ne se révèle au grand jour : il est persuadé que, jusque-là, il avait eu de la chance, il avait pu donner le change, faire comme s'il possédait assez de sciences pour se jouer des obstacles, même les plus perfides, et répondre à toutes les questions, même les plus sournoises.

Il est évident que cette chance ne saurait durer et l'heure de vérité est peut-être arrivée, puisque cette échéance est inéluctable. Objectivement, le travail fourni n'a pas été suffisant, les autres élèves ont travaillé bien davantage et leurs notes sont moins bonnes : cette réussite n'est pas méritée, elle n'est pas juste, elle ne couronne pas le travail acharné qu'il aurait fallu fournir, mais seulement les effets d'un sort bienveillant.

A l'évidence, il convient de s'appliquer à combattre un sentiment aussi nocif, mais il semblerait qu'il soit trop profondément ancré pour être facilement identifié. Ce décalage entre ses réussites et la notion de ses propres capacités pour y accéder serait constant et troublerait l'existence de celui qui le ressent dans tous ses aspects.

Déjà, quand un enfant mène une réflexion fulgurante et lumineuse, son entourage aurait tendance à penser qu'il a peut-être été guidé par le hasard, ou bien qu'il a entendu, vu, ou lu s'il est en âge de le faire, une démonstration semblable : il la reproduit sans très bien savoir lui-même d'où lui est venu cette inspiration.  Il est vrai qu'il ignore comment il a pu développer cette idée, elle s'est imposée à son esprit, il croit alors bien volontiers, qu'il n'en est pas réellement l'auteur, mais qu'il s'est inspiré des idées qui ont été développées devant lui sans qu'il se souvienne très précisément des  circonstances.

Si les adultes doutent de sa capacité à mener une telle réflexion, ils ont sûrement raison. Le jeune enfant n'a pas encore la notion d'imposture, mais il a bien intégré qu'il arrive qu'on répète en toute bonne foi des idées émises par d'autres. Il est alors préférable de ne pas s'en attribuer la paternité, le véritable auteur risquant d'en prendre ombrage.

Les adultes de son entourage sont d'ailleurs rassurés : leur enfant est tout à fait dans la norme, il a simplement l'esprit vif, curieux, et une bonne mémoire. Il répète ce qu'il entend et il est assez habile pour en avoir saisi le sens et le restituer de façon cohérente.

Les professeurs doutent des capacités d'un élève trop rêveur, trop distrait, un peu trop désinvolte. S'il rend une bonne copie parce que le sujet l'a intéressé et qu'il s'est même donné le mal de procéder à des recherches pour enrichir encore son travail,  son professeur, méfiant, pensera qu'il a copié ou bien qu'on l'a aidé, mais l'idée que cet élève déconcertant a fait preuve de qualités étonnantes ne l'effleure même pas.

L'élève est évidemment profondément blessé par cette injustice, son image est entamée, il risque de ne pas s'en remettre, d'autant plus que cette situation se reproduira sans doute plusieurs fois.  L'image  qu'on lui renvoie est floue, ses qualités restent dans l'ombre, c'est une voie large et facile à emprunter qui s'ouvre devant l'idée d'imposture. Le professeur ne s'y est pas trompé, pense l'élève accablé, il s'est vite rendu compte que ma  copie a été inspirée par un heureux hasard, elle n'aurait pas été aussi bonne un autre jour. Je ne dois surtout pas espérer  que  cette chance se reproduise. Quand on dit d'un élève qu'il "a des facilités" on laisse entendre qu'il n'est pas particulièrement intelligent, mais qu'il sait  utiliser ses connaissances au bon moment alors qu'elles sont pourtant superficielles, tout comme cet élève trop léger à la personnalité difficile à cerner.

Cette idée de réussite due au hasard est confortée par l'extrême rapidité de pensée des personnes douées. On sait que nombre d'adolescents sont absolument incapables de démontrer étape par étape comment ils sont parvenus à la résolution d'un problème de mathématique.  Ce processus est tellement courant qu'il en devient caractéristique des enfants doués. Il permet aussi de parvenir avant tous les autres à la conclusion d'un raisonnement complexe d'une façon si lumineuse qu'elle ne provoque aucune critique.

C'est une magie qui échappe à son auteur : elle peut donc disparaître comme dans les contes de fée quand le génie se fâche et s'évanouit dans les airs avec tous ses sortilèges. Ce n'est pas parce qu'il est devenu adulte, nanti de diplômes, eux aussi obtenus grâce à une chance  insolente, que l'individu doué se sentira plus sûr de lui.

Dans son domaine professionnel il peut être trop vite déstabilisé par des critiques, même infondées, ou par une maladresse due à son manque d'expérience. Evidemment perfectionniste, il en souffre, ses doutes s'accroissent et augmentent son malaise : à tout moment, il attend que son imposture éclate aux yeux de tous : ses diplômes n'étaient pas mérités, puisqu'il savait qu'il n'avait finalement pas tant travaillé, sa maladresse ponctuelle révèle sa nullité, elle n'est  pas accidentelle, elle reflète sa nature véritable.

Si personne n'intervient pour arrêter cet enchaînement mortel, celui qui pense sincèrement être un imposteur glisse vers une image désastreuse de lui-même, avec toutes les conséquences, parfois dramatiques, que  cette mauvaise image peut entraîner.

La même croyance peut provoquer ses effets pervers dans le couple : celui qui se pense un imposteur, s'imagine qu'il a abusé l'autre en lui faisant croire qu'il possédait une dextérité intellectuelle, finalement fallacieuse : son couple est bâti sur un mensonge, il attend dans l'angoisse le détail révélant la triste vérité.  Parfois même, il devance ce moment, tant l'angoisse était insupportable.

Conseils : les parents doivent rester vigilants pour combattre ce sentiment le plus rapidement possible, pas seulement avec de bonnes paroles, peu crédibles pour un enfant abattu, mais en lui démontrant que sa dextérité intellectuelle fait partie intégrante de lui-même : un accident est toujours possible, nul n'étant parfait, mais  un entraînement bien conduit écarte du mieux possible cette éventualité.  Un test évaluant les capacités intellectuelles apporte une caution scientifique, ou presque, à cette démonstration. Souvent les enfants, largement complimentés, s'en trouvent rassurés, apaisés, plus détendus, réconciliés avec eux-mêmes : ils ont réussi grâce à leur cerveau bien agencé, ils vont apprendre à en maîtriser le fonctionnement et ils pourront donner en toute sécurité le meilleur d'eux-mêmes sans crainte de décevoir leur entourage. Ils utiliseront alors la pleine  mesure de leurs qualités pour leur plus grand bonheur et pour celui de leur entourage.