"Contre cette peur viscérale de l'école, je me suis battue"

À l'âge de 14 ans, Jennifer a développé une phobie scolaire au point de ne plus pouvoir sortir de chez elle. Malgré les crises à répétitions, la souffrance et les échecs, la jeune adolescente s'est battue jour après jour. Un combat qu'elle mène encore aujourd'hui. Elle nous a partagé son histoire pour lever le voile sur ce trouble et aider celles et ceux qui souffrent en silence. Témoignage.

"Contre cette peur viscérale de l'école, je me suis battue"
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Aller à l'école, s'asseoir en classe avec ses camarades et écouter les cours au fil de la journée, pour certains c'est tout simplement impossible. Cela n'a rien avoir avec un caprice d'enfant ou d'adolescent non, c'est plutôt une "peur indescriptible" voire "viscérale". Jennifer décrit cet état par ces mots, car c'est ce qu'elle a ressenti pendant longtemps et encore aujourd'hui. Comme d'autres enfants, elle souffre de ce qu'on appelle la phobie scolaire. La phobie scolaire peut se manifester à tout âge. Les causes sont multiples et les symptômes peuvent être différents d'une personne à une autre. Jennifer le sait mieux que personne. 

Alors qu'elle venait d'entrer en classe de troisième, au collège, une relation toxique avec un garçon l'a plongée peu à peu dans une détresse psychologique. C'est à partir de là que sa phobie scolaire et son agoraphobie se sont déclenchées. "Au début, tout allait très bien, comme une première histoire d'amour, mais très vite ça c'est compliqué et c'est devenu nocif. Je me suis isolée, j'ai perdu confiance en moi et j'ai sombré dans un mal-être profond", nous confie-t-elle. Ce changement, son entourage l'a remarqué et lui a fait savoir. "On me demandait ce que j'avais, on me questionnait, j'allais mal et je n'avais pas envie qu'on ait ce regard là sur moi. Le regard de l'autre se manifestait à l'école, et petit à petit j'ai fait un refus de ça. J'étais dans un petit collège, c'était des amis que je connaissais depuis la maternelle. Le regard des autres me bloquait. Et plus j'étais mal par ce regard, plus mes crises se sont intensifiées." 

Un quotidien de souffrances

Pour Jennifer, au départ les crises se manifestaient uniquement à l'école. "Je faisais des crises de panique, des crises d'angoisse, de tétanie, des crises de pleurs inarrêtables, et aussi des malaises. Je venais quelques heures en cours, je n'allais pas bien, j'allais à l'infirmerie et mes parents devaient venir me chercher." C'était son quotidien et elle le dit elle-même, elle n'avait d'autre choix que d'aller à l'école, elle n'avait que 14 ans. Les crises se sont ensuite produites chez elle, le soir la veille des cours, le dimanche soir puis dès qu'elle se réveillait. "Certains matins je n'arrivais même pas à me lever, à marcher, je tombais. C'était des crises assez violentes. Je suppliais parfois ma mère de ne pas y aller, et je lui promettais d'y retourner le lendemain tout en sachant que le lendemain c'était encore plus dur", se souvient-elle. 

Ses crises et ses souffrances Jennifer ne les comprenait pas, tout comme ses proches. "J'ai eu des remarques de la part d'enfants, mais aussi d'adultes et parfois même de parents d'élèves, du type 'elle a cru que l'école c'était une option', ou bien 'si c'était ma fille, elle n'aurait pas le choix, ses parents sont trop laxistes'. Alors qu'avant ça, j'avais toujours été une élève sérieuse, avec des notes moyennes. J'avais des amis, j'étais bien à l'école. Mais quand on commence à se dire 'je ne suis pas bien à l'école', 'je ne suis pas capable d'y aller', on se noie petit à petit. Je ne me reconnaissais pas, j'étais complètement perdue." Cette situation a duré de longs mois. Jennifer ne parlait plus à personne. Ses amis s'étaient éloignés d'elle car personne à l'école, ni en dehors, ne leur avait expliqué ce que c'était la phobie scolaire. En novembre, la jeune fille ne faisait plus de journée entière au collège et à partir du mois de janvier elle a été descolarisée

Le temps de la déscolarisation

À cette époque, Jennifer n'avait plus de goût pour rien, elle a sombré dans une dépression. Elle a dû prendre un traitement médicamenteux, à base d'antidépresseurs et d'anxiolytiques pour calmer ses angoisses et ses peurs. Ça n'a duré qu'un temps. Sur les conseils de ses parents et de sa mère notamment, qui est psychologue, Jennifer a commencé à suivre une thérapie. Elle s'est aussi remise à étudier depuis chez elle pour valider son année, et elle a pu bénéficier du soutien de ses professeurs et de sa proviseure de collège. "J'ai eu une chance incroyable, il faut le dire, j'ai eu une proviseure qui a répondu présente et qui ne m'a jamais laissé tomber. Quand j'ai été descolarisée, elle me photocopiait les cours, elle demandait à des profs de me faire des polycopiés. J'ai validé mon année de troisième mais je n'ai pas réussi à passer le brevet. J'ai quand même pu passer en seconde. En quittant le collège, mes parents et moi avons espéré quand même que ça allait aller mieux, dans un nouvel établissement, mais ça n'a rien changé."

Les premiers mois de son année de seconde, Jennifer n'allait pas du tout en cours, elle n'y arrivait pas, c'était devenu trop pour elle. Il a donc fallu trouver une solution : l'enseignement à distance grâce au CNED. "J'ai pu obtenir un CNED pour motif médical, ma mère avait fait toutes les démarches dont le dossier MDPH. J'ai été reconnue handicapée à 80%. J'ai pu suivre 4 matières principales, les mathématiques, le français, la physique chimie et la svt. Les autres matières, l'anglais, l'espagnol et l'histoire géographie, étaient à l'abandon pendant plus mois. Je devais reprendre la main dessus, me battre et arrêter mes traitements." Et c'est ce qu'elle a fait. 

Un combat pour étudier

Jennifer a étudié à son rythme, seule la plupart du temps dans sa chambre. Le plus gros du travail, c'est elle qui l'a fait. Grâce à ses efforts et sa détermination, elle a pu passer en première, en filière scientifique, c'était son choix car elle voulait faire médecine. Pour cela, elle a dû augmenter ses heures de présence à l'école. "J'avais 7 heures de cours en présentiel avec le reste de la classe par semaine. Ce qui équivaut à une journée en tout. Je suivais à l'école les matières scientifiques, et depuis chez moi l'anglais, l'espagnol et l'histoire géo au CNED. Pour les cours de français, c'est une prof géniale qui m'a proposé de me faire cours, seule à seule, elle me prenait quelques heures pour préparer mon bac de français." Des examens qu'elle a réussi à valider. Jennifer a continué sa scolarité en terminale, sans jamais renoncer. Malheureusement, son échec au baccalauréat a été un coup de massue supplémentaire pour la jeune adolescente. 

"Je m'étais battue pendant 3 ans au lycée pour revenir, pour faire du mieux que je pouvais, et là avec cet échec je me suis vraiment demandée si j'avais ma place à l'école. J'ai dû laisser tomber l'idée de faire médecine. Parce que personnellement, certains y arrivent, avec ma phobie scolaire ce n'était pas possible de s'imaginer dans des amphithéâtres bondés d'étudiants. Ça a été la double peine pour moi", nous explique-t-elle. Dans cette nouvelle épreuve, Jennifer a su rebondir. Elle a tenté non sans mal de s'inscrire en filière STMG pour repasser le baccalauréat et s'orienter vers des études de commerce. Mais faute de place dans son lycée de secteur, elle a été affectée dans un autre établissement scolaire, où elle n'est restée que quelques heures. "J'ai fait une matinée et je me suis dit que je n'y remettrais plus jamais les pieds. Je n'étais pas à ma place, ma phobie est revenue en pleine face, j'ai eu des professeurs odieux qui ne me comprenaient pas ou tout du moins ils n'essayaient pas de me comprendre. C'était comme un retour en arrière." Alors comme elle l'a toujours fait, la jeune fille a commencé un nouveau combat. Après de multiples appels et courriers au rectorat et aux professeurs, et la démission d'un élève qui avait trouvé une formation ailleurs, elle a pu obtenir une place dans une classe en STMG dans son lycée de secteur. La seule condition, qui était convenue, était qu'elle reprenne un cursus scolaire classique, sans aménagement dans l'emploi du temps. "Il y avait toujours quelques absences, des crises d'angoisses qui se manifestaient mais je me suis dépassée. Ça a été difficile mais à la fois ça a été un premier déclic. J'avais encore mes angoisses, ma phobie était toujours là, mais par contre je savais que le matin je me levais pour avoir le bac." Une persévérance qui a fini par payer, puisqu'elle a obtenu son précieux diplôme. Une victoire qui a été aussi une source de fierté pour Jennifer après tout le chemin parcouru. 

Prendre le dessus sur la phobie 

Aujourd'hui, à 21 ans, Jennifer est davantage épanouie dans ce qu'elle fait. Elle a passé haut la main son BTS en alternance. Un choix de formation qui n'était pas si évident à prendre pour la jeune femme mais qui lui a ouvert de nouvelles perspectives d'avenir. "À mon arrivée au sein de l'école Billières à Toulouse, on m'a reçu en entretien, on m'a demandé de me présenter, j'ai dit simplement que j'étais une élève phobique, et ils ne se sont pas arrêtés à ça, ils m'ont demandé de me me présenter moi en tant que Jennifer. Ça a été un second déclic pour moi. Et je me suis dit 'Jennifer ne t'arrête plus à l'école, c'est fini'. Je pensais aussi que je n'étais pas assez forte encore pour faire une alternance, mais là encore l'école a cru en moi. Maintenant je fais de la négociation client, c'est possible même en ayant une phobie scolaire." 

Le combat est loin d'être terminé pour Jennifer. Certaines peurs sont toujours bien présentes. "Je suis encore stressée quand je suis dans une foule mais ce n'est plus une peur. Concernant la phobie scolaire, j'ai encore des traces. Par exemple, quand je vais au tableau devant tout le monde je tremble de la tête au pied, je ne m'assoie jamais dos à quelqu'un ou j'évite. Je reste aussi toujours à côté d'une porte si j'ai besoin de sortir", détaille-t-elle. Mais elle a réussi à sa manière à prendre le rebond sur sa phobie et à aller de l'avant. "On dit toujours 'on part avec de la chance ou pas'. Alors qu'on peut partir avec de la chance, la perdre en cours de route, et la récupérer après, ça ne veut rien dire !" À celles et ceux qui souffrent en silence, qui ont peur d'aller à l'école, Jennifer leur conseille avant tout de verbaliser leurs peurs et d'en parler à une personne de confiance. "Il faut aussi accepter la main que l'on nous tend. Il ne faut pas hésiter non plus à s'inscrire sur des groupes de parole sur Facebook sur la phobie scolaire, ou aller vers des associations." Ne restez pas seuls, car vous ne l'êtes pas !