Maman solo : "c'est plus dur que quand j'étais sous les bombes"

Dans son livre "Maman solo. Les oubliées de la République", Nathalie Bourrus, journaliste à France Info et ex-reporter de guerre, raconte son parcours du combattant pour élever seule son enfant, et demande à la justice de s'emparer de ce sujet.

Maman solo : "c'est plus dur que quand j'étais sous les bombes"
© Dinis Tolipov-123rf

"Cette vie de maman solo, mère célibataire, est une vie (...) en apnée, sans oxygène. Elle t'assèche, c'est plus dur que quand j'étais sous les bombes". Voilà comment débute "Maman solo. Les oubliées de la République". Son auteure, c'est Nathalie Bourrus, ex-reporter de guerre pour France Info. Dans ce livre publié le 2 septembre 2020, qui combine témoignage intime et enquête sociale, la journaliste raconte sa maternité comme une bataille passionnée qui essouffle. Cette réalité, c'est celle de plus d'un million de femmes selon les chiffres de l'INSEE, datant de 2011. En quelques lignes, sa bataille devient celle du lecteur. 

"En devenant mère célibataire, j'ai été déclassée"

Nathalie Bourrus est une femme de terrain. Afghanistan, Kosovo, Afrique du Sud, Liban... Elle a foulé des terres de combats d'une violence inouïe. Pourtant, c'est sa vie de mère célibataire qu'elle décrit férocement ici. "Chaque jour depuis sept ans, je déménage plusieurs armoires normandes" : elle a 43 ans lorsqu'elle donne naissance à son fils. Elle n'est pas seule à ce moment-là, n'a pas décidé d'élever un enfant par ses propres moyens, elle est avec "le père", comme elle le nomme pudiquement, distinctement, dans ce livre. Trois ans plus tard, pour des raisons qui les regarde, le couple se sépare. Elle obtient la garde de son fils, et selon le système classique "d'un week-end sur deux la moitié des vacances scolaires" pour le père.

Elle continue de travailler à plein temps, garde son appartement dans le IXème arrondissement : "au début, on est plein d'adrénaline, on veut montrer à notre enfant que la vie continue, qu'il doit être heureux de vivre. On fait comme si tout allait bien, on continue à voir les amis, à bosser tout autant. Et plus ça avance, plus on se rend compte que ça commence à déraper." Son constat est sans appel : "J'ai été déclassée. Et pourtant, on peut dire que j'étais vernie ! Je viens d'une famille unie et bourgeoise, j'habite dans Paris, j'ai fait de longues études, je bosse dans la même boîte depuis 26 ans, je suis reconnue dans mon métier, j'ai ce qu'on appelle un "bon socle"... Bref, je suis la "mauvaise cliente" du cliché de la mère célibataire qui galère. Et pourtant, j'ai été déclassée. Je me suis retrouvée dans une situation de précarité financière et psychologique. J'ai du composer seule entre des exigences professionnelles qui n'allaient pas s'adapter à ma maternité, composer face à ma solitude, à mon enfant qu'il fallait bien éduquer, bercer, consoler, jour et nuit. J'ai du m'adapter avec moins de moyens, j'ai du déménager, j'ai du accepter de vivre dans un quartier ultra populaire en rez-de-chaussée parce que c'était mon unique option. J'ai du accepter d'avoir peur la nuit. Et je n'ai eu d'autre choix que d'assumer une charge mentale exponentielle, dès lors que j'ai été mère célibataire."  

L'absence du père, et la "culpabilité" des mères

Une question taraude le lecteur sur les premières lignes de "Maman solo", mais Nathalie Bourrus y répond rapidement. Et le père, dans tout ça ? La séparation donne l'impression d'avoir fait disparaître ce second parent de l'équation, pourtant toujours bien vivant. Elle confirme et raconte l'absence de ce dernier, "nous ne sommes pas en garde alternée, je suis seule. Il pourrait être là, il en a les moyens, mais il a décidé que non et c'est une façon de me punir", tranche-t-elle, avant de reprendre : "Il y a toujours un soupçon au-dessus des mères seules : les gens se disent qu'on l'a cherché, qu'on doit être vraiment pénible pour que le père soit parti, qu'on l'a voulu finalement, cet enfant, solo... Alors qu'on assume ! On est la mère qui a fauté, on la mérite, cette galère. Ça, je l'ai même entendu sortir de la bouche de certains de mes proches. Le summum, c'est quand la mère décide de quitter le père. Les gens considèrent que si tu es partie, tu n'as pas à demander quoi que ce soit à qui que ce soit, et tu dois te démerder. Mais au nom de quoi ? Il y a une inversion de la preuve. Cette vie est déjà dure, mais le regard des autres et l'absence de réaction de la justice vous plongent dans un ressenti encore plus dégoûtant."

Un déni de justice : "la société ne nous aide pas, on est seules à tout gérer"

Alors que l'INSEE estime qu'en France, 19% des familles sont gérées par des mères seules (contre 3,7% pour les pères), Nathalie Bourrus dénonce un no man's land juridique : "en dehors de la feuille d'imposition, on n'existe pas. On est seules avec nos enfants, seules à tout gérer. La société ne nous aide pas. Quand je suis passée devant le juge parce que le père de mon enfant n'avait pas payé la pension alimentaire qu'il me devait depuis deux ans, il ne s'est rien passé. Personne ne l'a réprimandé, personne ne lui a dit : "monsieur vous avez un enfant, il a besoin de vous, vous devez, sans condition aucune, vous en occuper". Je me démène pour récupérer 100 euros par mois, ça ne me paye même pas la cantine !

Les pères ont un "droit" de visite, alors qu'il devrait s'agir d'un devoir. Lorsqu'ils manquent à ce devoir d'élever leurs enfants, ils devraient être punis. Mais on vit dans une société qui trouve normal que les mères se débrouillent seules, il est induit que la femme deviendra mère et qu'elle en souffrira. Pendant que les pères refont leur vie et peuvent, en toute impunité, délaisser les enfants de leur première union... Or, ce n'est pas aux enfants de s'adapter aux vies des parents, ça doit se passer dans l'autre sens. Celui de mon fils ne vient jamais à la rescousse. Dire qu'élever un enfant seul est insupportable, ce n'est pas possible, encore aujourd'hui. Mais des millions de femmes se retrouvent dans des situations périlleuses. Et lorsqu'un parent va mal, les enfants vont mal. Pour elles, pour eux, on fait quoi ? Rien. Je demande à la ministre de la justice de s'emparer du sujet.

Après l'effondrement qu'elle décrit dans cette tornade du parent célibataire, celui du corps et de l'esprit, la chroniqueuse du "Portrait du Jour" quotidien sur France Info, conclut : "Heureusement pour moi, j'ai du caractère, de la conviction, je suis une rageuse. Je vais continuer à dire les choses haut et fort, à me battre pour faire exister et reconnaître les mères célibataires."