Egalité homme femme : il faut agir "de la crèche à l'université"

Formation des enseignants, éducation à la sexualité, choix d'orientation des élèves, rôle des parents... Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) livre ses recommandations pour lutter contre les stéréotypes dès le plus jeune âge. Entretien avec Emelyn Weber, Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité.

Egalité homme femme : il faut agir "de la crèche à l'université"
© dolgachov-123rf

"Le rôle de l'école est central pour construire aujourd'hui la société égalitaire de demain", rappelle le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Pour lutter contre les stéréotypes, le sexisme ordinaire et les violences sexistes et sexuelles qui en résultent, "il convient de promouvoir une éducation à l'égalité filles-garçons à l'école, à travers des actions de sensibilisation et des programmes obligatoires dispensés par des professionnels formés", recommandait le CESE dans le cadre du Tour de France de l'égalité en janvier 2018. A l'occasion de la journée de la Femme qui a lieu ce 8 mars 2019, Emelyn Weber, Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité revient sur les mesures à adopter pour changer les mentalités dès l'enfance. Interview.

Quelle influence ont les stéréotypes sur le choix d'orientation ?

Comme le précise Françoise Héritier, "la valence différentielle des sexes, à savoir "la hiérarchisation du masculin sur le féminin" est très intégrée dès l'école. "Cette idée que certaines choses sont "plutôt pour les garçons" et souvent davantage valorisées, d'autres "réservées aux filles" est bien présente, et cela passe par les jeux, le rapport aux autres, la discrétion des petites filles par rapport aux garçons", précise Emelyn Weber. Pour le CESE, ces stéréotypes sont à combattre car ils ont une influence déterminante sur les parcours des élèves et conduisent à des choix d'orientation scolaire et professionnelle différenciés, engendrant une faible mixité des métiers et une dévalorisation de nombre de métiers à prédominance féminine. "L'école doit pouvoir offrir un espace de développement plus libre et plus large à la fois pour les filles et les garçons, pour permettre à chacun(e) de se construire pleinement sans barrière liée à leur sexe", ajoute la Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité.

Des professionnels formés dès la crèche

La prévention des inégalités et des violences faites aux femmes passent par la lutte contre les stéréotypes. "Il y a un vrai enjeu de formation, à la fois des professeurs (qui sont les premiers au contact des élèves), mais aussi des conseiller(e)s principaux d'éducation (CPE) et tous les autres services au sein des établissements scolaires, de façon à lutter contre les stéréotypes à l'école", précise Emelyn Weber. Le CESE recommande d'ailleurs de renforcer cette formation des professionnels, de la crèche à l'université. Ces derniers ont en effet un rôle à jouer pour favoriser la mixité professionnelle, donner aux élèves une image non sexuée des métiers et mettre fin aux choix d'orientation non stéréotypés. A la crèche, cela pourrait passer par le jeu et les émotions par exemple. On éviterait ainsi "de réprimer les garçons qui pleurent, ou d'empêcher les filles de jouer aux voitures...", précise Emelyn Weber. En outre, "les enfants ne doivent pas être conditionnés par le fait d'être des filles ou des garçons",

Que pensez-vous des cours de récré non genrées à l'école ?

"Cette idée s'inscrit en effet dans la dynamique que l'on essaie de promouvoir. D'autant que la répartition des cours de récréation est inégalitaire selon les études sur le sujet : les garçons occupent beaucoup plus d'espace que les filles, qui sont alors laissées de côté. Par conséquent, la cour de récréation conditionne déjà les filles à rester dans un espace plus petit, à ne pas aller au-delà de certaines limites et à laisser leur place aux garçons. Cette initiative louable permet ainsi de renverser cette tendance".

L'éducation à la sexualité dans les écoles

Obligatoire en France, l'éducation à la sexualité en milieu scolaire est inscrite dans la loi du 4 juillet 2001, mais elle n'est pas toujours mise en application dans les classes. En cause notamment : "le manque de moyens, mais aussi parfois les barrières des familles et les idées reçues : certains parents ont pensé que l'école allait apprendre à leurs enfants à se masturber... Ces rumeurs ont parfois des conséquences sur les établissements qui peuvent avoir tendance à limiter les interventions. Enfin, certains professeurs (pas suffisamment formés sur cette thématique) ne sont pas forcément à l'aise pour aborder ces sujets", explique la Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité.

Le rôle des parents, essentiel contre les stéréotypes

Il faut avant tout donner l'exemple. "La répartition égalitaire dans le couple est très importante, notamment en ce qui concerne les tâches domestiques et ménagères. Les enfants auront beau apprendre à l'école qu'il y a une égalité entre les filles et les garçons, s'ils voient à la maison leur papa bricoler et leur maman s'occuper seule de la maison, des devoirs et de la cuisine... On aura du mal à évoluer", estime-t-elle. Et d'ajouter que les parents doivent favoriser un lieu d'échange et de discussion avec les ados, qui n'osent pas toujours poser des questions sur leur orientation sexuelle par exemple. "Je pense qu'il y a beaucoup de choses à améliorer dans le lien entre l'école, les parents et les élèves, car trop souvent, on convoque les parents, sans prendre en considération l'avis du jeune, qui reste le premier concerné". déclare Emelyn Weber.

Les super-héroïnes peuvent-elles changer les mentalités ?

Ladybug, Captain Marvel, Wonder Woman... Faut-il s'inspirer de ces personnages qui donnent plus de pouvoirs aux petites filles ? Selon Emelyn Weber. "il est important d'avoir des modèles qui nous ressemblent. Aussi, le fait de voir des femmes ingénieures, aventurières, super-héroïnes, ou de voir parfois des garçons qui ne parviennent pas à surmonter les difficultés permet aux enfants de s'identifier à travers des livres, des films ou des dessins animés". Néanmoins, il faut aussi faire attention à l'image que l'on renvoie. "Souvent, les super-héroïnes se retrouvent dans un dilemme de romance, leur représentation physique et l'hypersexualisation des personnages sont encore très stéréotypés". Enfin, en ce qui concerne les jouets, les fabricants ont eux aussi leur rôle à jouer pour ne pas proposer des produits roses pour les filles, bleus pour les garçons, des catalogues de Noël ou des rayons toujours genrés. "Finalement, tous les acteurs sont responsables. Il n'y a qu'à entrer dans un magasin de jouets et demander un puzzle... Il y a de fortes chances pour que le vendeur vous demande immédiatement s'il est destiné à une fille ou à un garçon".

Congé parentaux, salaires... Comment favoriser l'égalité entre les parents ?

Une récente étude a montré que l'inégalité salariale se creusait à la naissance des enfants et que les parents étaient défavorisés par rapport aux couples sans enfants ou célibataires. Allongement du congé paternité, congé maternité ou congé PreParE... Le CESE n'a pas encore trouvé de positions sur la question. En revanche, "l'enjeu de la négociation collective dans le cadre de l'égalité professionnelle doit aussi permettre de trouver des éléments sur le salaire, le temps partiel subi, et les modes de garde", déclare Emelyn Weber. Développer les crèches d'entreprise permettrait par exemple de garantir une certaine égalité. En effet, selon une précédente étude, 82% des emplois à temps partiel sont exercés par des femmes. "Il ne s'agit pas de temps partiel choisis, et cela contribue à l'inégalité salariale", rappelle-t-elle. Enfin, il faut pouvoir proposer des modes de garde suffisants, avec des tarifs abordables, notamment pour répondre aux besoins des familles monoparentales et permettre à toutes les femmes d'accéder à ces services.