"Vous êtes faignante, vous n'avez pas voulu pousser !"

Voici la phrase que Priscillia* a dû encaisser au lendemain de son accouchement par césarienne, de la part d'un pédiatre de la maternité de Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne. Entre incompréhension et étonnement, elle finit par douter et culpabiliser, jusqu'à ce que l'équipe médicale lui confirme qu'elle n'aurait pas pu faire autrement. Interview.

"Vous êtes faignante, vous n'avez pas voulu pousser !"
© raffinboy-123rf

L'accouchement, l'un des plus beaux moments de la vie, n'est pas épargné par les injonctions à la maternité comme celle qui sous-entend qu'une césarienne ne serait pas un véritable accouchement et qui a bien entendu le don d'agacer les jeunes mamans. C'est le cas de Priscillia* qui a donné naissance, tant bien que mal, à son premier enfant en novembre dernier, à la maternité des hôpitaux de Saint-Maurice. Une césarienne d'urgence a été pratiquée, et tout s'est bien passé... Jusqu'à la visite du pédiatre au lendemain de son accouchement. Elle nous raconte comment cela s'est passé et son ressenti :

Pourquoi la césarienne a-t-elle été déclenchée ?

Priscillia : Au terme de plus de 30 heures de travail, l’équipe médicale m’a proposé de réaliser une césarienne car mon col ne se dilatait plus. La stagnation de la dilatation du col de l’utérus est d’ailleurs l’une des raisons médicales nécessitant parfois une césarienne. J’étais bloquée à 7 depuis 8 heures, le bébé n’était toujours pas engagé dans le bassin et la sage-femme m’a fait comprendre que l’accouchement pourrait encore durer des heures, et que si je m’épuisais, le bébé aussi risquait d’être fatigué. J’étais en effet à bout de force, je vomissais suite à la péridurale qui d’ailleurs ne faisait plus vraiment effet.

Comment avez-vous vécu le fait d’accoucher par césarienne ?

A ce moment, on se pose beaucoup de questions. "Pourquoi est-ce que le travail n’avance plus ?", "le bébé va-t-il bien ?", "peut-être que le cordon est enroulé autour du cou ?". Au final, j’ai été plutôt soulagée de pouvoir sortir le bébé le plus vite possible, pour être rassurée et éviter les complications. La césarienne n’était pas l’accouchement que j’imaginais car je ne m’y attendais pas plus que ça. Le papa était un peu craintif, car il s’agit tout de même d’une opération sous anesthésie, mais tout s’est déroulé très rapidement et ça s’est très bien passé. L'essentiel pour moi était de savoir que le bébé se portait bien. Après un rapide premier bisous, j’ai ensuite été emmenée en salle de repos durant deux heures, pendant que le papa faisait son premier peau à peau.

Comment avez-vous réagi lors de la visite du pédiatre le lendemain de votre accouchement ?

Il est arrivé en me demandant la date de naissance du bébé. J’ai répondu à ses questions en précisant que l’accouchement avait eu lieu par césarienne. C’est à ce moment qu’il me demande : "vous êtes faignante ?". Sur le coup, je n’ai pas vraiment compris s’il s’agissait d’une blague, de son humour, ou s’il était sérieux. Face à mon étonnement, il ajoute "oui, vous n’avez pas voulu pousser, vous n’avez pas voulu travailler !". Je suis restée bouche-bée, en regardant le papa, qui lui non plus ne comprenait pas la situation. Face à un silence de plomb, le pédiatre a tenté de changer de sujet en me demandant ce que je faisais dans la vie. Je lui ai simplement rétorqué que j’étais "faignante" en regrettant de ne pas avoir eu le courage de le mettre à la porte.

Ses propos vous ont-ils culpabilisé ?

Oui, clairement. Le lendemain de l’accouchement, les jeunes mamans sont particulièrement faibles, fatiguées, et les hormones nous rendent sensibles à toutes ces phrases mal placées. Je n’étais pas spécialement déçue de ne pas avoir accouché par voie basse tant que le bébé se portait bien. Mais suite à ses propos, je me suis posée beaucoup de questions et j’ai fini par douter. "Et si j’avais attendu un peu plus longtemps ?", "si j’avais bougé ou marché, la dilatation aurait-elle pu reprendre ?". "Ai-je vraiment été faignante au point de préférer la césarienne, était-ce la facilité ou une nécessité ?"

Il a fallu que je pose la question à chaque visite post-accouchement, à la gynécologue, à la sage-femme qui m’a rendu visite à domicile, mais aussi à la PMI, jusqu’à ce que celle qui a réalisé la césarienne le jour J m’explique que la stagnation est l’une des causes de la césarienne et qu’habituellement, ils n’attendent pas plus de 6h. Elle m’avoue alors que l’équipe médicale a attendu 8h car elle venait de faire une nuit difficile et que "c’était mieux pour tout le monde de pouvoir opérer dans de bonnes conditions". A chaque rendez-vous, il me fallait entendre que la décision ne venait pas de moi, mais de l’équipe médicale et que le recours à la césarienne était bel et bien nécessaire. Ce n’est qu’alors, que j’ai arrêté de culpabiliser.

Je reste néanmoins choquée qu’un pédiatre puisse tenir de tels propos au lendemain d’un accouchement, en entrant dans la chambre d'une jeune maman. D’autant que le gouvernement ne cesse de répéter qu’il faut à tout prix prévenir le risque de baby blues et de dépression post-partum, qui touche de nombreuses femmes.

*le prénom a été modifié