"Ma dépression post-partum a commencé pendant mon accouchement"
Lucie a 31 ans lorsqu'elle donne naissance à son premier enfant, un petit garçon. Elle attend ce moment depuis 5 ans, mais le jour de son accouchement, rien ne se passe comme prévu. Les mois qui suivent sont marqués par une dépression post-partum.
La dépression post-natale existe partout dans le monde. D'après le Rapport des 1000 premiers jours de l'enfant, elle touche entre 10% et 15% des mères, peut durer de 4 à 6 mois, et peut commencer pendant la grossesse. Elle est encore mal détectée et difficilement reconnue, notent les chercheurs. D'ailleurs, "seulement 15% des femmes présentant une dépression périnatale rechercheraient des soins". Ces soins, Lucie les a sollicités pour traiter sa dépression post-partum, survenue à la naissance de son fils Emile. Elle avait 31 ans lorsqu'elle a accouché et rêvait de cet enfant depuis cinq ans déjà. Sa première tentative de maternité avait viré au drame avec une grossesse extra-utérine et une hémorragie qui avaient mis sa vie en péril. Cette seconde grossesse se déroule sans encombre, jusqu'à son accouchement, qui ne se passe pas du tout comme prévu...
Mon accouchement a été un échec traumatisant
"Je n'ai pas eu une grossesse apaisée : j'avais constamment peur que mon bébé meure. Je n'avais pas confiance en mon corps pour donner la vie. En pensant à l'accouchement, je me disais que je jouais gros, je gardais à l'esprit que ça pouvait mal se passer. Pendant toute la gestation, mon fils était très agité. Deux jours avant mon terme, il s'est brutalement arrêté de bouger. Je me suis rendue à la clinique en urgence. Les médecins m'ont dit que tout allait bien, "mais le ressenti de la mère est primordial" ont-ils ajouté, avant de déclencher mon accouchement. Ocytocine, marche, ballon, monter et descendre les escaliers des centaines de fois, j'ai tout essayé pendant 36 heures, jusqu'à être épuisée au point de m'évanouir. Je n'ai pas réagi au déclenchement. Et pour moi, c'était un drame. J'avais prévu d'accoucher par voie basse, c'était essentiel, ça allait être le moyen de me réconcilier avec mon histoire obstétrique. Continuer d'attendre que le travail se fasse naturellement, rajouter de l'ocytocine, c'était non : trop risqué. Je pouvais faire une hémorragie. Lorsqu'on m'a fait comprendre qu'il allait falloir pratiquer une césarienne, je ne me suis dit qu'une chose : c'est raté, c'est un immense échec.
Je n'étais pas en état de rencontrer mon bébé
Je suis allongée sur un lit, attachée et préparée à être opérée. Je me souviens que je pleure, l'infirmière éponge mes larmes avec un mouchoir, je suis anéantie. Elle me dit : "dans cinq minutes votre bébé est dans vos bras", et moi tout ce que je me dis, c'est : je m'en fiche, je ne voulais pas ça, il devait naître naturellement. A ce moment-là, j'ai senti que je lâchais l'affaire et j'ai eu l'impression de quitter mon propre corps, de me voir vivre la scène de l'extérieur, de ne plus servir à quoi que ce soit dans la naissance de mon fils. Et de vivre une sorte de dissociation. Mais une petite voix dans ma tête m'a dit : "ce n'est pas fini, vis ce moment, reviens à toi". Ce que j'ai fait. Quand ils ont sorti mon bébé, ils me l'ont présenté, et j'ai dit cette chose terrible : "Mais il est mignon, en fait !" Et intérieurement, j'ai ressenti un grand soulagement qu'il ne soit pas mort, qu'il ne puisse plus s'arrêter de respirer à l'intérieur de mon ventre. Mais j'étais complètement déconnectée, j'avais très froid, je me sentais très mal, alors j'ai demandé à arrêter le peau à peau et que son père prenne le relais. Ce qui m'a été reproché ensuite par l'équipe médicale, qui n'a pas compris qu'à ce moment-là, je n'étais pas en état émotionnel et physique de rencontrer mon bébé.
Ensuite, j'ai commencé à trembler, à vomir, j'ai complètement décompensé, dégringolé physiquement. J'ai eu une grosse hémorragie. En sortant du bloc opératoire, la première chose que j'ai faite, c'est appeler ma psy. Je lui ai raconté à quel point ce moment avait été terrible pour moi. Et je suis allée m'installer dans ma chambre, j'ai pris mon fils, tout allait bien. Mais j'ai tout de suite senti que quelque chose clochait.
J'étais du coton, je ne ressentais rien, pendant 8 mois
Je ne ressentais rien, pas même de la joie. Alors que je suis quelqu'un de plutôt excessif dans ses sentiments ! J'étais du coton. Rien ne me faisait plaisir, j'avais l'impression de ne plus avoir d'amour, que rien n'avait de goût... Cela a duré trois semaines avant que je retourne régulièrement chez ma psy. Très vite, elle m'a dit que j'étais en choc post-traumatique, et que je faisais une dépression post-partum. Elle m'a expliqué que pendant l'accouchement, j'avais donné tout ce que je pouvais, mais que mon corps et mon esprit avaient lâché ensuite, tant c'était insoutenable. Après "votre corps a dit stop, c'est fini" a-t-elle résumé. Nous avons fait de l'EMDR (traitement de désensibilisation et retraitement par mouvement oculaire, ndlr.) pour m'aider à sortir de cette spirale, qui a duré huit mois, pendant lesquels je m'occupais de mon bébé, mais sans émotions ou presque.
Alors qu'Emile avait huit mois, j'ai attrapé une pneumonie. Je suis allée consulter à l'hôpital, en laissant mon fils à la crèche. On m'a hospitalisée en urgence, sans que j'aie le temps de lui dire au revoir. Je me suis sentie arrachée à lui. Cette séparation a duré 5 jours. Et quand on a été réunis, tout ce qui s'était passé avant s'est envolé : j'ai été connectée à lui. Ça s'est arrêté d'être superficiel, j'ai commencé à sentir mon amour pour lui, et ça n'a pas cessé de grandir depuis. Aujourd'hui, il a trois ans et j'ai une relation hyper fusionnelle avec lui ! Après 18 mois de thérapie, j'ai fini par me pardonner de ne pas avoir réussi à lui donner vie par voie basse."