La cohérence des enfants doués, définitivement essentielle

Il est donc reconnu que ce serait le souci de cohérence qui guiderait les personnes douées, mais son application reste parfois floue.

La cohérence des enfants doués, définitivement essentielle
© Tatyana Tomsickova-123rf

On répète que les enfants doués ignorent longtemps le sens de l'effort, puisqu'il leur suffit d'écouter ou de lire distraitement un résumé du sujet abordé pour le connaître ; pour eux, "comprendre c'est savoir", cette phrase lapidaire suffirait à expliquer le fonctionnement des enfants doués. En fait, s'ils intègrent aussi facilement une donnée nouvelle, c'est parce qu'elle s'inscrit dans un réseau complexe de connaissances, toutes reliées entre elles par de subtiles voies, sa place est toute prête, il ne s'agit pas uniquement d'une excellente mémoire, mais d'une mémoire bien organisée. Un savoir lointain peut être reconstitué, il ne saurait être parcellaire.

Il a y quelques années, l'épreuve de mathématiques au bac demandait l'utilisation de notions qui n'avaient pas été réellement enseignées durant l'année, car non inscrites spécifiquement au programme. Les élèves doués ont très facilement su trouver la réponse et sont sortis contents, assurés d'avoir une bonne note dans leur matière préférée. Las ! L'épreuve a été annulée puisque la notion en question n'avait pas été abordée. Cette décision a coûté la mention espérée à nombre d'élèves doués, ils ont aussi découvert à quel point un souci de justice aboutit à une profonde injustice. Le fait qu'un certain nombre d'élèves avaient su trouver la solution n'a même pas été pris en considération. Si ces élèves n'avaient pas été désarçonnés par cet intitulé inhabituel c'est parce qu'ils avaient bien assimilé l'esprit des mathématiques sans se contenter d'accumuler les cours et sans chercher le lien qui les unissait. Le système tout entier était intégré, ils pouvaient alors s'adapter à des intitulés inédits sans marquer la moindre hésitation.

Il en va de même  s'agissant du mode de pensée d'un auteur, de sa vision du monde, il est ensuite aisé de parler d'une de ses œuvres ou de l'ensemble, parce que sa  façon particulière d'appréhender la vie a été bien comprise dans son ensemble. C'est encore plus clair quand on aborde la conception de l'univers et des interactions humaines des philosophes : quelques citations bien choisies  comme repères permettent de saisir les grandes lignes de leur approche, suffisamment du moins pour l'évoquer brièvement sans trop trahir leur pensée.

Chaque système, qu'il s'agisse de domaine scientifique, littéraire ou philosophique est bien défini et déterminé par sa cohérence, ce qui permet d'en saisir l'essence, c'est l'esprit du domaine abordé ou de l'auteur étudié qui est compris, il est donc possible d'en parler, de la même façon qu'on peut s'orienter facilement dans une ville quand on a bien saisi le plan d'ensemble. On peut alors se demander pour quelles raisons on répète à satiété que les personnes douées ne sont pas plus intelligentes, mais qu'elles possèdent seulement  un mode de pensée différent, c'est pourquoi on serait éternellement surpris par leurs réactions et par leurs raisonnements "originaux et surprenants" affirme-t-on. "Ils ne font rien comme tout le monde" et tout est dit.

On peut alors estimer sereinement que les personnes douées n' incitent pas à remettre en question les certitudes du plus grand nombre, elles sont seulement différentes, sans doute un peu dans leur monde, il serait même inutile de tenter de saisir leur système de pensée, puisqu'elles sont simplement dotées d'un cerveau différent. Ces idées fulgurantes qui les traversent seraient inspirées par un heureux hasard, elles ne peuvent être l'aboutissement d'une réflexion s'appuyant sur de multiples observations, éléments, déductions, en privilégiant chaque fois la notion la plus pertinente, celle qui fera, justement, avancer cette réflexion sur un chemin sûr, car étayé par la logique. Le souci de cohérence a guidé ce raisonnement, la capacité à procéder à de judicieuses synthèses à partir des éléments les plus solides évite les erreurs. Cette méthode semble extrêmement simple. La logique, alliée à cette indispensable cohérence, a cheminé pour parvenir à la solution, apparue, soudainement semble-t-il,  lumineuse et irréfutable : c'est le fruit d'un travail souterrain,  effectué tout naturellement, parce qu'il n'est pas possible de procéder différemment.

Durant ce cheminement, l'esprit logique a éliminé rapidement tous les éléments qui dénotaient dans ce parcours, mais il a aussi su reconnaître ceux qui pouvaient s'inclure, même si le lien entre eux n'était pas évident. Une telle façon de mener un raisonnement peut sembler arbitraire, il est difficile, pratiquement impossible, d'expliquer pour quelles raisons, ce sont ces données précises qui ont été privilégiées, rien ne semblait justifier ce choix, si ce n'est que la conclusion s'avère la plus judicieuse qui soit.

L'enfant doué et ses relations sociales

Ce même mode de fonctionnement s'applique aussi aux relations sociales : quand les trajectoires de pensée s'accordent, l'entente est immédiate, personne ne se pose de question, tout est résolu avant même qu'on y songe. Cet accord ne se transformera peut-être pas en véritable amitié pour toutes sortes de raisons géographiques, sociologiques, ou autres, mais le souvenir de ce moment d'harmonie restera dans la mémoire des personnes doués, avec son aspect réconfortant, quand elles se désolent de ne pas trouver d'amis. Elles sont désormais assurées qu'il existe bien des personnes qui leur ressemblent et ne s'étonnent pas de leur façon de raisonner. Cette certitude rassurante permet alors de s'offrir des escapades en imagination sans craindre d'apparaître comme une personne peut-être un peu délirante, en tout cas bizarre. Les univers créés de cette façon sont en fait très structurés, tous les lecteurs de science fiction le savent et les auteurs sont souvent de vrais scientifiques. Un savoir solide et étayé constitue une base idéale pour échafauder des mondes fantastiques et d'une construction rigoureuse grâce à cette cohérence qui ne laisserait passer aucun écart.

En contrepartie, la surprenante naïveté des personnes douées trouve là une de ses causes : elles ne peuvent  concevoir un discours ignorant la cohérence, or un discours pervers, destiné à blesser ou à tromper présente toujours une faille : quand on n'imagine pas qu'une personne sensée développe une argumentation avec fausses vérités, mauvaise foi, tromperie, on cherche la grille qui apportera quelque cohérence à ces propos, en tordant les faits pour y parvenir et on finit par accorder du crédit à un discours tissé de mauvaises intentions et de mensonges. Pour mémoire et pour le plaisir, on peut mentionner les pièces dites de boulevard avec la précision des situations qui s'enchaînent, s'emboîtent, se croisent sans la moindre erreur faussant cette admirable mécanique. Il est heureux que de tels esprits existent, c'est grâce à eux que la société progresse en savoirs, en inventions, sans négliger les divertissements qui nous enchantent.

Conseils : admettre qu'un enfant puisse mener un raisonnement surprenant de maturité logique et se conduire aussi parfois en très jeune enfant, il peut être lui-même effrayé de constater que son mode de pensée surprend parfois tellement les adultes. Il est préférable d'apprécier cette dextérité, sans penser qu'elle va forcément s'accompagner de problèmes graves : bien comprise et bien accompagnée, l'intelligence est un bonheur.