Marina Sabatier : la France condamnée pour ne pas avoir protégé la fillette

Après des années de maltraitance, Marina Sabatier, âgée de 8 ans, est morte en 2009 sous les coups de ses parents. La Cour européenne des droits de l'homme condamne la France qui, malgré les nombreux signalements, n'a pas pris les mesures suffisantes pour protéger l'enfant.

Marina Sabatier : la France condamnée pour ne pas avoir protégé la fillette
© 123RF / dmitrimaruta

Ce jeudi 4 juin, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné l'Etat français dans la tristement célèbre affaire Marina Sabatier. La petite fille de 8 ans, maltraitée par ses parents, avait fini par succomber à leurs actes de sévices et de torture un soir d'août 2009. Fruit de l'union entre Éric Sabatier et Virginie Darras, Marina Sabatier est une enfant non désirée. Elle naît sous X en 2001, puis sa mère la récupère finalement un mois plus tard. Elle a alors déjà un petit garçon et aura, après la naissance de Marina, quatre autres enfants avec Éric Sabatier. La petite fille subira des violences très tôt, puisqu'à l'âge d'un an à peine, elle se retrouve déjà avec le petit doigt tordu, en raison d'une chute de chaise haute selon ses parents. Coups de pieds, coups de poing, de ceinture, douches froides, privation de nourriture et bâillonnements étaient son lot quotidien. Les autres enfants, eux, ont tous été épargnés.  

Maltraitance infantile et défaillance des services sociaux

Un décès qui aurait pu être évité. En effet, un an auparavant, en juin 2008, la directrice de l'école de Saint-Denis-d'Orques où était scolarisée la fillette, inquiète de ne plus la voir en classe, avait procédé à un signalement auprès du procureur de la République du Mans et du président du Conseil général. Et pour cause, l'ancienne école de Marina, lui avait transmis ses soupçons de maltraitance. Mais ce n'est pas le premier signalement. L'année précédente, en 2007, le médecin scolaire de son ancienne école à Parennes dans la Sarthe avait constaté des marques de sévices sur Marina et procédé à un signalement aux services sociaux. En 2006, la sœur de Virginie avait vu sa nièce se faire battre et la grand-mère avait contacté le numéro d'urgence pour maltraitance sans que son signalement ne soit suffisamment pris au sérieux.

Néanmoins, suite au  signalement de l'école, une enquête est ouverte en juillet 2008. Un médecin ausculte la fillette et constate 19 lésions que son père justifie par des accidents de la vie courante. Marina est ensuite entendue seule par les gendarmes au sujet de ses blessures lors d'un interrogatoire filmé. Elle y apparaît souriante et justifie ses cicatrices en dédouanant ses parents de toute responsabilité. L'explication, sa mère la donnera lors de son procès en 2012, reconnaissant avoir dit à sa fille qu'elle ne les reverrait plus et qu'ils iraient en prison si elle disait la vérité. Résultat, en 2008, l'enquête est classée sans suite.

Pourtant, en 2009, le service d'aide sociale à l'enfance de la Sarthe s'intéresse à nouveau à Marina après un nouveau signalement de l'école évoquant "un absentéisme répété et injustifié, de petites blessures inexpliquées et un comportement boulimique". Au retour des vacances de Pâques, la fillette souffre d'une importante blessure au pied. La famille déménage fréquemment et Marina est scolarisée dans une nouvelle école. Celle-ci l'envoie d'urgence à l'hôpital où elle restera 5 semaines. L'hôpital signale à son tour des soupçons de maltraitance mais Marina Sabatier est tout de même renvoyée chez elle le 28 mai 2009. Une enquête est ouverte par les services sociaux qui se rendent à son domicile et ne notent rien de suspect. Pourtant, quelques semaines plus tard, le 6 août 2009, Marina meurt chez elle. Elle aurait été brutalement battue par ses parents, puis laissée le soir nue dans la cave de leur maison située dans le village d'Ecommoy. C'est alors, comme l'avouera sa mère lors de son procès, qu'elle prononcera ses derniers mots : "J'ai mal à la tête, au revoir maman, à demain".

Les parents, condamnés à 30 ans de prison, ont fait croire à une disparition

Après avoir tué leur fille, les parents ont fait croire à une disparition. Ainsi, le 9 septembre 2009, soit près d'un mois après son décès, Éric Sabatier prévient les gendarmes que sa fille a disparu sur un parking de restaurant. Les recherches commencent mais rapidement, des contradictions apparaissent au sujet des informations fournies par les parents. Ces derniers finissent par avouer et conduisent les enquêteurs jusqu'au corps de Marina, qui se trouve dans une caisse bétonnée recouverte de drap et de sacs en plastique. La cour d'assises de la Sarthe les a condamné le 26 juin 2012 a 30 ans de prison.  

La Cour Européenne condamne la France

Un verdict trop tardif et un meurtre qui aurait pu être évité selon Innocence en danger et Enfance et partage. Les deux associations de protection de l'enfance ont saisi la Cour Européenne des Droits de l'Homme en 2015, reprochant "aux autorités françaises de ne pas l'avoir protégée des sévices de ses parents". Elles avaient au préalable été déboutées par la Cour de cassation en 2014 qui avait jugé que l'Etat n'était pas de responsabilité dans le décès de la fillette. "C'est une victoire historique, on était dans cette affaire depuis le début, on a fait tout ce qu'on pouvait pour que Marina ne soit pas morte pour rien", s'exclame Homayra Sellier, fondatrice et présidente d'Innocence en danger. La France a été condamnée à verser à l'association Innocence en danger 1 euro symbolique pour dommage moral et 15 000 euros pour frais et dépens. Dans son arrêt, la CEDH note la "grande réactivité" du procureur qui a ouvert une enquête "le jour même du signalement" en juin 2008, mais souligne l'absence d'auditions des enseignants et d'enquêtes "sur l'environnement familial" de Marina Sabatier. Et notamment sur le fait que la famille déménageait régulièrement. Elle condamne ainsi l'Etat français pour les tortures et traitements inhumains subies par la petite Marina.

De nouvelles mesures pour lutter contre les violences infantiles

Ce 4 juin, le Secrétaire d'Etat à la protection de l'Enfance rappelle dans un communiqué les mesures prises depuis l'affaire tragique du meurtre de la petite Marina Sabatier par ses parents pour lutter contre les défaillances des dispositifs de protection de l'enfance. Parmi elles, la centralisation des informations préoccupantes au niveau départemental, la mise en place sur tout le territoire d'unités d'accueil pédiatriques enfants en danger ainsi qu'un plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour 2020-2022.