"Et puis un jour, il ne retrouve plus sa nounou" : ces deuils méconnus des jeunes enfants

Il arrive que de jeunes enfants, après être entrés à l'école, manifestent des troubles dont on peine à déterminer la cause...

"Et puis un jour, il ne retrouve plus sa nounou" : ces deuils méconnus des jeunes enfants
© tan4ikk

Ils ont connu une petite enfant heureuse, entre des parents attentifs, avec un environnement calme, bien éloigné des orages qui peuvent gravement perturber une atmosphère familiale déjà instable. Leur petite enfance a été réellement très heureuse : une nounou en or s'occupait d'eux toute la journée, puisque c'était son travail et qu'elle était enchantée de devoir prendre soin d'un délicieux bébé sachant si bien exprimer ses sentiments et la remercier par un sourire capable de faire fondre une banquise. Elle-même avait parfois dû laisser ses propres enfants dans son pays, confiés aux soins de ses parents ou d'autres personnes sûres de sa famille : elle ne s'inquiétait pas pour eux, mais ils lui manquaient.

Pouvoir s'occuper d'un nourrisson apaise sa nostalgie et sa culture enseigne le plus souvent quels soins prodiguer à un tout petit bébé pour qu'il se développe de la façon la plus harmonieuse possible. Elle connaît les massages qui permettent une détente absolue, elle sait les accompagner de mots doux qui décuplent leurs effets bienfaisants, elle comprend les signes discrets envoyés par le bébé qui fait ses premiers apprentissages de la vie, il a tout un univers à apprendre, il doit ajuster son existence à ce monde tellement différent de celui qu'il vient de quitter : les sons, les odeurs, ne sont plus les mêmes malgré les réminiscences floues qu'ils réveillent chez lui, et cette lumière ! il était pressé de la découvrir, maintenant, il la trouve trop vive… La nourrice le guide dans cette découverte, au début, il est encore vraiment trop petit et trop perdu pour comprendre ce qu'il perçoit autour de lui. Il était avec sa mère et tout restait cohérent et puis c'est une autre dame qui le berce, le nourrit, fait sa toilette et surtout lui parle dans une langue qui ne lui est pas coutumière, mais il comprend que ce sont des mots tendres et joyeux, il s'émerveille, il rit. Le soir et certains jours, il retrouve celle qui avait été si proche, qu'il connaît mieux que personne et mieux qu'elle ne se connaît elle-même. Elle aussi est heureuse de le retrouver pour de longues heures, comme à son arrivée ici, lorsque serrés l'un contre l'autre, ils ne faisaient plus qu'un.

Il enchaîne les bonheurs

Ses parents attentifs ont pensé qu'il était mieux à la maison : la crèche, les enfants parfois trop bruyants, agressifs, ou maladroits ou encore geignards et des puéricultrices débordées forment un univers qui ne les tentaient pas, même s'il existe des crèches géniales où les enfants s'épanouissent au milieu de multitudes de jouets qu'une simple famille ne peut entasser dans un appartement. La nounou évite tout risque et le bébé apprécie manifestement ses soins.

Et puis, un jour, après des vacances passées en dehors de la maison, il ne retrouve plus sa nounou, il est projeté dans un univers complètement différent qu'il avait brièvement visité au début de l'été, mais sans en garder un grand souvenir. Une dame gentille et énergique lui avait parlé, il l'avait écouté distraitement, il avait tout de même compris qu'il aurait des amis, comme au parc où il allait avec sa nounou : elle bavardait alors avec des amies, tout en gardant sur lui un regard attentif dont il ressentait la chaleur apaisante, et puis il allait apprendre quantité de choses intéressantes, 

Toutes ces explications restaient un peu théoriques dans son esprit : il habitait un univers harmonieux et stable, parfaitement agencé, où il était l'objet d'une attention constante et où tout était organisé pour son confort et pour le familiariser avec la beauté en éveillant des sens qui se perfectionnaient de jour en jour. Jamais il n'aurait imaginé le cataclysme qui allait se déchaîner. Soudainement, sans qu'il ait bien compris comment il se retrouvait dans ce maelstrom, il se voit entouré d'enfants en larmes, parfois hurlant dans un état de profonde détresse. Lui, n'a pas pleuré, il avait confiance dans sa mère, elle ne pouvait le conduire en enfer après avoir veillé si longtemps à son bonheur, mais il commence à se dire que les autres ont une bonne raison de pleurer avec tant de conviction, ils doivent savoir des choses qu'il ignore, perdu dans sa béatitude depuis qu'il est venu au monde, ces choses sont certainement terribles pour provoquer une telle affliction, il tente de comprendre, de reconstruire le monde qu'il connaissait et qui s'est effondré, il sait qu'il va retrouver les douces caresses de sa nounou et les berceuses de sa mère ; tout rentrera dans l'ordre, ce n'est qu'un cauchemar.

Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que ce cauchemar constitue désormais sa vie, la nounou a disparu, quand il ne va pas à l'école, il va dans un "centre aéré" où il retrouve les mêmes enfants braillards et agressifs. Il a bien essayé de se rapprocher des plus calmes pour une conversation banale, mais ses paroles n'ont suscité qu'un vague intérêt et on ne lui répondait pas. Qu'a-t-il fait pour être ainsi privé de tout plaisir et pour être précipité loin de son bonheur ? Sa mère s'occupe bien de lui, mais il est "grand"  maintenant, il peut se prendre un peu en charge, il goûte d'ailleurs cette autonomie nouvelle, mais il garde en lui une blessure profonde, indicible, irrémédiable : sa nounou qui lui prodiguait tant d'amour l'a abandonné, elle ne l'aime plus, ses paroles et ses gestes si tendres étaient donc faux, elle l'a oublié, il est encore plus meurtri qu'il ne saurait le dire. Il fait l'expérience la plus cruelle du désespoir amoureux sans remède, puisque la personne qui l'aimait a disparu, en ignorant la douleur que son absence allait provoquer.

Parfois, elle revient le voir, il comprend qu'elle s'occupe d'un autre bébé, qu'elle doit câliner avec la même attention, mais ce sont de faux sentiments, il croyait que cet amour était éternel, elle lui manque à tous les moments de son quotidien, il découvre la trahison, l'abandon sans espoir, elle est devenue une ombre lointaine, tout comme les amies de ses parents qu'il voit de loin en loin et qui s'extasient poliment sur ses "progrès" alors que son cœur meurtri saigne, ce qui est bien plus important que d'apprendre le nom des couleurs, l'ordre des chiffres et celui des saisons. La musique qu'on lui fait écouter ne vaut pas les chansons qu'elle lui chantait : le lien qu'il pensait éternel a été rompu et personne ne s'en inquiète. La nounou en visite le serre sur son cœur, il sent son odeur, elle ravive sa douleur. Il découvre que devenir " grand " c'est commencer l'apprentissage d'une souffrance indicible que l'entourage ne comprend pas. Sa vie durant, il conservera cette ombre de nostalgie dont l'origine s'estompera au point d'être oubliée. Des réactions, des malaises flous, des accès de tristesse même demeureront inexpliqués.

Conseils : une nounou attentionnée est une source de bonheur et l'assurance d'un développement harmonieux au début de la vie, il est alors bon de prévenir l'enfant longtemps à l'avance de son changement de vie pour qu'il ne le vive pas comme un abandon et une trahison. Conserver si possible des relations avec cette nourrice tant aimée aide à accepter cette séparation.

Les chroniques publiées sur le site du Journal des Femmes sont à retrouver dans le livre d'Arielle Adda intitulé "De l'enfant à l'adulte doué, construire sa personnalité" paru aux éditions Odile Jacob.