"Enfants doués" : les pièges derrière cette terminologie

Rarement une terminologie a été aussi tâtonnante concernant une fraction pourtant précise de la population. Les enfants doués eux-mêmes ne savent pas très bien quel terme employer en parlant d'eux, toujours au conditionnel "on m'a dit que je serais", ensuite le terme exact ne vient pas naturellement.

"Enfants doués" : les pièges derrière cette terminologie
© torwai-123RF

Dans le cas des enfants, on leur impose un terme qu'ils réfutent le plus souvent, parce que justement trop discriminant, réducteur et pratiquement dévalorisant. Dire à un enfant qu'il est "atypique" ne lui cause aucun plaisir. Il refuse catégoriquement d'être considéré comme "atypique" qui a un arrière-goût pathologique, comme s'il était impossible de le définir parce qu'aucune description ne lui conviendrait. Il serait alors d'emblée vu comme hors normes, donc impossible à comprendre et incapable de lier des amitiés, or tout enfant ressent impérativement le besoin d'être compris et celui d'avoir des amis pour rire ensemble et s'amuser sans arrière-pensée.

La problématique du qualificatif être "atypique"

Être "atypique" le priverait d'emblée de ces plaisirs, mais quand il entend parler de "normo pensant" il n'a pas envie d'en faire partie non plus. Il projette en imagination ce terme comme une règle graduée dont il ne faudrait pas s'écarter, sinon on n'est plus normo pensant, mais se situer hors de toute règle graduée n'est pas très attrayant non plus. Ce serait un no man's land grisâtre où quelques individus isolés devraient errer en attendant de se rencontrer, sans même être sûrs de nouer des liens amicaux, tandis que les autres participent à de joyeuses fêtes et y trouvent un grand plaisir.

Ces enfants doués ne seraient pas loin de subir leur sort comme on subit une sorte de malédiction, uniquement parce qu'on leur a attribué un qualificatif, censé les définir et donner à leur entourage un mode d'emploi spécifique, alors qu'ils ont l'impression qu'ils ne se débrouillaient pas si mal jusque-là. Ils oublient leur malaise, qui remonte souvent à la Maternelle, quand ils ne trouvaient pas d'interlocuteur, parce que, bizarrement, les autres enfants ne comprenaient pas ce qu'ils disaient, tandis que chez eux, ils pouvaient dialoguer très naturellement. À l'école, ils s'étaient même astreints à baragouiner pour être comme les autres, mais l'échange reste court quand la parole n'est que balbutiements. Ils nient leur ennui en classe, prêts à toutes les concessions pour éviter d'être classés dans une catégorie dont l'intitulé leur déplaît.

Le cas du terme "HPI"

Ce serait comme un enfermement, donc avec les limitations que tout enfermement suppose, uniquement parce que des "jeux" pourtant amusants ont indiqué qu'on pouvait être catalogué comme "HPI" pour employer le dernier terme médiatisé. C'est une terrible dénomination : un "potentiel" surtout élevé, laisse entendre que le développer est une obligation, tout comme il s'applique au rendement particulièrement satisfaisant de certaines céréales dans des conditions qui le favorisent.

Qui, d'ailleurs, affirme sereinement qu'il est plus intelligent que la moyenne ? Même les termes édulcorés ou imagés ne cachent pas la triste vérité, tant l'image de ces extrêmes dans la distribution du don intellectuel est désastreuse. Les enfants concernés n'ont pas du tout envie de prendre ce chemin, mais, bien évidemment, ils se leurrent en pensant qu'ils ont le choix. La réalité les rattrape très vite, elle se manifeste dans un ressenti qu'on peut difficilement négliger.

Le poids de sentir sa différence

Le sentiment d'une différence, parfois massive, parfois subtile, est impossible à ignorer, le nier place celui qui s'obstine dans son refus dans une situation encore plus difficile : il constate bien qu'il n'a pas les mêmes réactions, qu'il comprend les choses autrement et il peut difficilement attribuer chaque fois ces décalages au hasard.

L'imposture occuperait alors la fonction de refuge : "c'est bien le hasard qui m'a permis de comprendre si vite, de trouver la solution sans tarder, d'avoir une idée originale permettant de résoudre un problème paraissant insoluble, il faut se garder absolument de m'accorder un mérite particulier, on ferait fausse route. La solution d'un problème m'apparaît toute seule, je n'y suis pour rien, je peux m'exprimer facilement dans une langue étrangère, même avec un entraînement purement scolaire, parce que cette langue me plaît, c'est tout. Si les autres fournissaient un petit effort au lieu de se plaindre de la difficulté, ils arriveraient au même résultat que moi. Je n'ai pas de mérite, je fais seulement un peu attention. Tout ce qu'on nous demande est facile, je suis constamment à la limite de l'ennui, j'adorerais affronter une réelle difficulté, je ne comprends pas les autres qui gémissent à la seule idée de devoir exécuter un travail un peu plus difficile. Je reste discret dans mon enthousiasme sinon on se moquerait de moi. L'année prochaine sera plus intéressante, me dit-on,, mais ce n'est pas la première fois qu'on me fait prendre patience. Certaines années, je me suis tellement ennuyé que je ne faisais plus rien, on a pensé me faire redoubler, j'étais terrifié".

La rencontre des êtres "atypiques"

Être "atypique" représente une rude contrainte, il faut faire très attention, rester sur ses gardes pour ne pas transformer en mal l'image qu'on donne de soi. L'enfant doué ne se sent pas plus rassuré quand on lui dit qu'ils sont finalement nombreux comme lui : en leur compagnie, il se sentira à son aise. Il frémit à la pensée de se trouver au milieu d'un troupeau, et pourtant il soupire à l'idée de trouver un véritable ami. Il se sent finalement plus individualiste que moutonnier. Même si la chaleur d'un groupe est parfois réconfortante, ce doit être terrible de se trouver pris dans un ensemble où on est censé se sentir bien.

Et quand on rencontre un semblable, une communication subtile, se passant de mots, s'établit presque aussitôt et c'est alors que l'enfant doué qui refusait sa condition en voit les avantages : une amitié quasi instantanée, une entente complète, avec une complicité de pensée qu'on aurait pu croire impossible.

Conseils : expliquer à l'enfant qui se révèle doué l'avantage de toutes les possibilités qui s'offrent à lui, ce n'est pas un enfermement dans une catégorie, mais une ouverture sur de multiples routes parmi lesquelles il choisira celles qui l'attirent le plus, sans restriction. La fréquentation de semblables est conseillée, elle seule permet la véritable amitié, mais sans se penser obligé d'insister sur cette similitude. Il ne faut jamais oublier qu'on a du mal à admettre posséder une intelligence particulière, l'enfant doué ne serait pas loin de penser que tous les autres sont plus habiles que lui.